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mardi, 28 avril 2015 14:17

Examen de foi

Écrit par

Joseph Moingt, Croire au Dieu qui vient. T1. De la croyance à la foi critique. Essai, Paris, Gallimard 2014, 612 p.

Le beau titre Croire au Dieu qui vient, modestement dénoté essai, constitue le point d’aboutissement d’une œuvre théologique exceptionnellement longue. Commencée il y a un demi-siècle par l’étude sur la Trinité du premier théologien d’expression latine, le nord-africain Tertullien, elle s’est poursuivie vingt-cinq ans plus tard par L’homme qui venait de Dieu (1993), centrée sur la christologie, c’est-à-dire l’expression de la foi ecclésiale sur Jésus-Christ, puis, dix ans plus tard, par une trilogie sur la Trinité (2002-2007), Dieu qui vient à l’homme.


L’essentiel de la foi chrétienne semblait donc réfléchi et exposé, selon le plan de ce professeur rompu aux problématiques d’un enseignement universitaire. Alors pourquoi ce nouvel ouvrage ? Le jésuite Joseph Moingt s’en explique dans un long avant-propos, rédigé sous la forme d’un journal qui retrace les étapes de la genèse de l’essai.
L’auteur part d’un questionnement très personnel : « un souci de véracité de ma foi et un égal souci de véracité de ma pensée ». Il s’agit donc de relire à nouveau l’ensemble de la dogmatique à partir d’une foi critique.
Très au fait de la tradition philosophique moderne, Joseph Moingt observe qu’elle est comme « le lit dérivé et desséché par lequel la tradition chrétienne avait longtemps charrié le flot de ce qui était intelligible et qui s’est évaporé ». Il ne porte pas, comme d’autres, un regard dénigrant sur la pensée moderne : il estime que « la foi peut se réconcilier avec la raison, en lui rendant justice et en reconnaissant les excès d’autorité de la religion ». La foi peut reprendre confiance en soi, renoncer à s’imposer par la puissance des raisonnements. Elle tient « sa vérité de la Parole de Dieu et ses promesses d’avenir de l’Esprit de Dieu ».
En même temps, l’auteur vise à trouver un langage intelligible aujourd’hui. Il connaît, en effet, le grave désaccord entre le magistère de l’Eglise et un grand nombre de chrétiens qui la quittent ou menacent de le faire ou la contestent. « Une Eglise qui ne sait tenir qu’un langage d’endoctrinement est devenue inapte à parler un langage d’annonce, d’invitation, de dialogue, d’appel au bonheur. »
L’auteur est motivé plus qu’auparavant par un effort de véracité : d’abord en soumettant la foi de l’Eglise à un nouvel examen, en respectant avec rigueur les méthodes des sciences de la religion, en particulier l’histoire, dans l’étude des textes. Le jésuite ne limite pas son examen critique aux textes bibliques (étudiés à l’aide des meilleurs auteurs, R. Brown, J.-P. Meier, J. Becker et d’autres) ; il le prolonge en incluant les textes qui aboutissent dans les premiers conciles aux expressions de la foi du Credo chrétien. Et il se soumet lui-même à la véracité de la foi d’un croyant moderne.
Joseph Moingt part de la croyance : il observe dans les religions les plus anciennes et jusqu’à aujourd’hui une foi-confiance qui est le soubassement des relations humaines : « l’acte de faire confiance, de se confier… qui est une sortie de soi vers l’autre ». Et « l’acte de croire en Dieu jaillit d’un appel au salut ».

Révélation
Après cette approche sur le croire anthropologique, le théologien suit les lignes de la révélation de Dieu qui se fait dans la révélation du salut, et la ligne de la foi depuis les temps les plus reculés, avant même la révélation biblique. Il les repère ensuite plus nettement dans les temps du premier Testament, en particulier chez les Prophètes, et dans la révélation des Evangiles.
La révélation du Nouveau Testament se concentre dans la relation d’amour du Père à Jésus. Le théologien en suit les traces dans les évangiles synoptiques et dans les écrits de Paul et de Jean. Le cri de joie de Jésus adressé au Père et rapporté par Luc (10,21-22) tout comme l’invocation « Notre Père » sont l’expression très forte de cette relation d’amour entre le Père et le Fils qui peut conduire au mystère de la Trinité, « la vie de Dieu en nous grâce au don de l’Esprit ». Au lieu d’être une sorte de théorème abstrait, la Trinité exprime que Dieu est amour.
Le théologien revient aussi longuement sur les affirmations johanniques de la préexistence de Jésus auprès de Dieu. Il faut éviter de les interpréter de manière chronologique, au premier degré, comme si l’horloge de l’existence de Jésus était remontée vers le début, mais plutôt les comprendre comme la présence en Dieu, depuis toujours, du dessein et de la mission de Jésus.
Le salut, déjà espéré par les peuples dans les temps primordiaux, devient présent dans la destinée de Jésus - mort et ressuscité - reconnue par le témoignage des disciples. C’est le salut d’un Dieu qui s’est dépouillé des attributs de la Toute-Puissance dans la destinée de son fils, en particulier à la croix. La révélation porte sur l’humanité de Dieu, l’amour par lequel il entre en communication avec les hommes. Sa venue s’effectue pour le croyant, suite à son baptême, par l’approche, la rencontre et la défense des petits et des faibles. Croire au Dieu qui vient n’est pas un objectif renvoyé dans un avenir inaccessible et lointain : c’est, dès à présent, un appel et une tâche pour les croyants, et cela peut constituer un point d’attraction, peut-être, pour les autres.

Un essai libre
L’essai magistral de Joseph Moingt aborde sans érudition inutile mais avec grande rigueur toutes les grandes questions de la pensée chrétienne (le sens du mythe, la foi personnelle et la foi de l’Eglise, la résurrection du Christ, l’incarnation et la rédemption, la Trinité…). On saura gré à l’auteur d’avoir écrit, à près de cent ans, avec grande liberté, cet ouvrage de synthèse pour la réflexion des croyants et aussi pour ceux qui sont éloignés de la foi chrétienne.
Le théologien jésuite annonce une deuxième partie sur la vie et la mission de l’Eglise, comprise comme humanisation du monde. Souhaitons-lui une prochaine parution.

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