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mardi, 02 février 2016 15:23

Euthanasie

Gabriel Ringlet
« Vous me coucherez nu sur la terre nue »
L’accompagnement spirituel jusqu’à l’euthanasie
Paris, Albin Michel 2015, 248 p.

« Vous me coucherez nu sur la terre nue. » Cette phrase de saint François, prononcée juste avant sa mort, accompagne Gabriel Ringlet dans sa solidarité avec les souffrants, jusqu’au dénuement final de la fin de vie, acceptée ou provoquée. « Prendre l’habit », « déchirer la robe », « déposer la bure », « revêtir la coule »... sont les étapes qui mènent de l’énigme au passage, en passant par l’impasse et l’apaisement.


Dans le contexte belge qui autorise l’euthanasie sous certaines conditions, le Père Ringlet a accompagné des malades dans leurs ultimes souffrances. Toute demande d’abréger la vie n’aboutit pas quand celui qui accompagne entre en résonnance avec le malade, quand il brise la solitude, quand il écoute de l’intérieur. « Caresser la souffrance dans le dénuement de la fraternité partagée. » La Parole ne peut que s’enraciner dans le réel et ne doit pas fuir les derniers instants, quels qu’ils soient. Alors l’accompagnement inconditionnel peut aller jusqu’au rite de passage d’une mort volontaire.
Gabriel Ringlet s’aventure dans un terrain vierge, dans un climat de solidarité entre tous les acteurs autour de celle ou celui qui conduira le rituel. « Célébrer ce n’est pas finir la vie ordinaire, c’est s’en emparer et la soulever pour lui offrir plus de légèreté. » Devant le tragique de l’existence, « on peut être moralement obligé de dépasser les frontières entre le permis et le défendu ».
Ce livre, qui aborde en dernier lieu l’accompagnement des corps jusqu’au cimetière et la résurrection, nous dit que c’est la poésie qui sauve le monde ! La poésie comme la « douceur d’une caresse » jusqu’aux confins de la souffrance et de la mort demandée ; la poésie pour qui le présent de la vie se fraie un chemin dans « l’égrènement de l’alphabet de la souffrance ». Une « parole à hauteur d’impossible ».
La profondeur de l’expérience de l’auteur, sa proximité avec la souffrance, sa lucidité sur la difficulté de mourir m’ont ouvert les yeux, alors que je ne supportais pas que des gens encore bien portants puissent envisager l’euthanasie lorsque la souffrance serait insupportable. L’euthanasie n’est pas un acte banal devant l’interdit fondateur de tuer : la condamner sans nuances, c’est abandonner l’humain à une souffrance intolérable, physique et morale ; la banaliser sans accompagnement, c’est laisser la liberté de l’homme sans repères.
Quand la tendresse est au rendez-vous, le sublime est passage de l’ange.

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