Il est beaucoup question du nom dans ce numéro. Le sujet ne mérite-t-il pas un début de réflexion au moment où les notions de paternité et de filiation sont modifiées et la personne détachée de son identité individuelle? Le nom tire de l’anonymat la personne qui le porte, pour la faire exister ou mourir au regard des autres et lui assigner une place dans la société et dans l’histoire. Privé de nom, un être n’existe plus, il devient invisible.
Ulysse le rusé avait bien compris que, pour échapper au cyclope, il lui fallait disparaître en se débarrassant de son nom (G. Morin). Les diaboliques organisateurs des camps d’extermination avaient retenu la leçon. En dépouillant leurs victimes de leur nom pour les réduire à des matricules, ils les assassinaient avant même de les enfermer dans les chambres à gaz.
Le psalmiste l’a chanté, nos âmes ont soif d’absolu, nos cœurs soupirent après la complétude (cf. Ps 63). À cause de ce manque, nous souffrons, parfois de manière stérile, mais sans lui nous n’irions pas à la rencontre des autres et de l’Autre. Ce numéro présente deux voies pour remédier à cet état d’insatisfaction: la compassion et l’ivresse. Elles ont en commun qu’elles partent du désir de «sortir de soi». Quant à leurs retombées…
Le confinement a été bénéfique pour l’activité littéraire. En dépit de la fermeture des librairies, la demande de livres a été particulièrement forte et les éditeurs croulent sous les manuscrits. La littérature a donc permis aux uns d’échapper à l’enfermement, et à d’autres de se donner l’impression d’exister dans le désert social de la pandémie. Si la vraie liberté se trouve là où le moi perd ses limites et ses contraintes, le confinement lui a offert un biotope favorable, et l’œuvre littéraire lui a ouvert le chemin d’un monde plus essentiel que celui dans lequel les mesures sanitaires le séquestraient. Lire pour sortir de l’enfermement, écrire pour repousser les barreaux d’une prison.
Voilà un an que nous vivons avec la Covid-19. Parmi les conséquences les plus difficiles à vivre régulièrement mentionnées, figure la limitation des déplacements. Si l’environnement s’en sort gagnant (moins de 40% d’émissions de CO2 liées au transport au premier semestre 2020 selon le Global Carbon Project), ce n’est pas le cas des Européens, chez qui les cas d’anxiété et de déprime augmentent de manière appuyée. Le frein aux voyages, évidemment, n’est qu’un des éléments déclencheurs du malaise.
«Profond est le puits du passé. Ne devrait-on pas dire qu’il est insondable? […] C’est lui qui communique à nos propos leur feu et leur intensité et confère à toutes les questions qui s’y rapportent, leur caractère d’instance.» (Thomas Mann) Faire mémoire, c’est y puiser quelques morceaux d’histoire réputés à l’origine, capables de cautionner le présent en lui offrant la lointaine assise qui se confond avec l’existence. Naissance d’un mythe fondateur, socle sur lequel se construit une identité personnelle, familiale, culturelle, nationale ou religieuse.
À n’en pas douter, l’irruption de la Covid-19 sera consignée comme un moment marquant de l’Histoire. Non pas tant sur le plan sanitaire, comme énième super épidémie sévissant dans le monde, mais en tant que révélateur des dysfonctionnements et forces de nos systèmes et, peut-être, comme moteur de changements marquants.
Le bonheur ne s’achète pas. Le savetier de la fable en a fait l’amère expérience. Dégrisé, il a rendu au financier son argent et ses soucis. Le bonhomme La Fontaine ne nous a rien appris, mais on ignore peut-être que le bonheur s’enseigne à l’université. En Amérique évidemment! Dans la très prestigieuse Université de Yale, depuis janvier 2018, vous pouvez apprendre comment vivre heureux. Le succès du cours est à la mesure des espoirs éveillés. Le nombre croissant des inscriptions n’a pas son égal dans toute l’histoire de l’Université, vieille pourtant de 300 ans. Au programme, l’inévitable panoplie des recettes psychosomatiques, pour aboutir, finalement, au critère décisif d’une vie heureuse: le lien social ou l’ouverture au prochain.
Nous vivons une époque anxiogène, traversée de grandes peurs collectives: dangers climatiques, surpopulation mondiale, nouvelles épidémies (celle du coronavirus faisant office de dernière née), exodes migratoires, brutalités urbaines, complots de toutes sortes, transhumanisme et intelligence artificielle... Face au danger, deux réactions sont courantes: l’évitement, qui peut se traduire en déni ou je-m’en-foutisme, ou la riposte. Si cela se révèle souvent opportun sur le plan individuel, c’est rarement le cas au niveau politique.
En 2017, 750 personnes ont été condamnées en Suisse pour délit de solidarité et les poursuites pénales se multiplient contre les personnes qui viennent en aide à ceux et celles qui sont dans la détresse. Les requérants d’asile qui ont reçu une décision négative ou une non-entrée en matière et qui doivent quitter le territoire national ont bien droit à une aide d’urgence jusqu’à leur départ… à condition d’en payer le prix fort en renonçant à l’accès à la formation, à l’intégration, au marché du travail, en un mot à une vie digne. Résultat de la négociation: repoussés dans les marges, nombre de requérants entrent en clandestinité, et les personnes qui leur offrent une aide désintéressée sont condamnées.
Novembre 1959, le premier éditorial de choisir, signé par le jésuite suisse Jean Nicod sj, relevait combien il est difficile pour une revue romande d’intérêt général de survivre longtemps: 60 ans plus tard, le pari est gagné. choisir prend même place parmi les plus anciennes revues culturelles de Suisse romande! Nous sommes heureux de partager cet événement, avec vous, chers lecteurs et lectrices, qui nous suiviez fidèlement depuis des années ou depuis peu.
Synode sur l’Amazonie, forêts en feu, politique anti-indigènes du président brésilien Jair Bolsonaro. Depuis l’été, cette région du monde enflamme les esprits, au vu de son importance écologique pour la survie de l’humanité. Forts de ce motif, d’aucuns, comme le président français Emmanuel Macron, appellent à donner à l’Amazonie un statut international -et tant pis pour les États concernés- dans la droite ligne du droit d’ingérence humanitaire régulièrement brandi. Aussi séduisante qu’elle puisse paraître face à l’urgence climatique, l’idée relève d’une nouvelle forme de colonialisme et ne fait qu’apporter de l’eau aux moulins des nationalistes.
Dépaysement, mot magique, qui évoque aussitôt des horizons nouveaux prometteurs d'espace, la distance prise par rapport au quotidien, l’affranchissement des contraintes habituelles pour se retrouver libre et léger. Adieu stress, fatigue, routine ennuyeuse qui émoussent la vivacité de l’être!
Nul besoin de s’appeler Cendrars, Bouvier ou Maillart pour gagner d’autres cieux. Les marchands vous emmènent à petit prix easy flirter avec des vieilles pierres et des cultures exotiques, sans trop vous éloigner de votre propre monde. Un zest de dépaysement pour l’illusion, et le wifi pour ne pas se retrouver orphelin de son environnement familier, avant de retourner au pays. «Heureux qui comme Ulysse…»