«Profond est le puits du passé. Ne devrait-on pas dire qu’il est insondable? […] C’est lui qui communique à nos propos leur feu et leur intensité et confère à toutes les questions qui s’y rapportent, leur caractère d’instance.» (Thomas Mann) Faire mémoire, c’est y puiser quelques morceaux d’histoire réputés à l’origine, capables de cautionner le présent en lui offrant la lointaine assise qui se confond avec l’existence. Naissance d’un mythe fondateur, socle sur lequel se construit une identité personnelle, familiale, culturelle, nationale ou religieuse.
À n’en pas douter, l’irruption de la Covid-19 sera consignée comme un moment marquant de l’Histoire. Non pas tant sur le plan sanitaire, comme énième super épidémie sévissant dans le monde, mais en tant que révélateur des dysfonctionnements et forces de nos systèmes et, peut-être, comme moteur de changements marquants.
Le bonheur ne s’achète pas. Le savetier de la fable en a fait l’amère expérience. Dégrisé, il a rendu au financier son argent et ses soucis. Le bonhomme La Fontaine ne nous a rien appris, mais on ignore peut-être que le bonheur s’enseigne à l’université. En Amérique évidemment! Dans la très prestigieuse Université de Yale, depuis janvier 2018, vous pouvez apprendre comment vivre heureux. Le succès du cours est à la mesure des espoirs éveillés. Le nombre croissant des inscriptions n’a pas son égal dans toute l’histoire de l’Université, vieille pourtant de 300 ans. Au programme, l’inévitable panoplie des recettes psychosomatiques, pour aboutir, finalement, au critère décisif d’une vie heureuse: le lien social ou l’ouverture au prochain.
Nous vivons une époque anxiogène, traversée de grandes peurs collectives: dangers climatiques, surpopulation mondiale, nouvelles épidémies (celle du coronavirus faisant office de dernière née), exodes migratoires, brutalités urbaines, complots de toutes sortes, transhumanisme et intelligence artificielle... Face au danger, deux réactions sont courantes: l’évitement, qui peut se traduire en déni ou je-m’en-foutisme, ou la riposte. Si cela se révèle souvent opportun sur le plan individuel, c’est rarement le cas au niveau politique.
En 2017, 750 personnes ont été condamnées en Suisse pour délit de solidarité et les poursuites pénales se multiplient contre les personnes qui viennent en aide à ceux et celles qui sont dans la détresse. Les requérants d’asile qui ont reçu une décision négative ou une non-entrée en matière et qui doivent quitter le territoire national ont bien droit à une aide d’urgence jusqu’à leur départ… à condition d’en payer le prix fort en renonçant à l’accès à la formation, à l’intégration, au marché du travail, en un mot à une vie digne. Résultat de la négociation: repoussés dans les marges, nombre de requérants entrent en clandestinité, et les personnes qui leur offrent une aide désintéressée sont condamnées.
Novembre 1959, le premier éditorial de choisir, signé par le jésuite suisse Jean Nicod sj, relevait combien il est difficile pour une revue romande d’intérêt général de survivre longtemps: 60 ans plus tard, le pari est gagné. choisir prend même place parmi les plus anciennes revues culturelles de Suisse romande! Nous sommes heureux de partager cet événement, avec vous, chers lecteurs et lectrices, qui nous suiviez fidèlement depuis des années ou depuis peu.
Synode sur l’Amazonie, forêts en feu, politique anti-indigènes du président brésilien Jair Bolsonaro. Depuis l’été, cette région du monde enflamme les esprits, au vu de son importance écologique pour la survie de l’humanité. Forts de ce motif, d’aucuns, comme le président français Emmanuel Macron, appellent à donner à l’Amazonie un statut international -et tant pis pour les États concernés- dans la droite ligne du droit d’ingérence humanitaire régulièrement brandi. Aussi séduisante qu’elle puisse paraître face à l’urgence climatique, l’idée relève d’une nouvelle forme de colonialisme et ne fait qu’apporter de l’eau aux moulins des nationalistes.
Dépaysement, mot magique, qui évoque aussitôt des horizons nouveaux prometteurs d'espace, la distance prise par rapport au quotidien, l’affranchissement des contraintes habituelles pour se retrouver libre et léger. Adieu stress, fatigue, routine ennuyeuse qui émoussent la vivacité de l’être!
Nul besoin de s’appeler Cendrars, Bouvier ou Maillart pour gagner d’autres cieux. Les marchands vous emmènent à petit prix easy flirter avec des vieilles pierres et des cultures exotiques, sans trop vous éloigner de votre propre monde. Un zest de dépaysement pour l’illusion, et le wifi pour ne pas se retrouver orphelin de son environnement familier, avant de retourner au pays. «Heureux qui comme Ulysse…»
Le 10 décembre 2018, la Déclaration universelle des droits de l’Homme a commémoré ses 70 ans. Ses rédacteurs avaient bien compris la corrélation entre la préservation de la dignité humaine, via les droits fondamentaux, et la construction de la paix. Cette édition de choisir s’attache à deux de ces droits, celui de l’accès à l'eau potable (reconnu en 2010 seulement par l’ONU !) et celui au logement (art. 25 de la Déclaration), primordial en hiver sous nos latitudes.
Au Nord de la lagune de Venise, à Torcello, dans la cathédrale Maria Asunta datant de 639, une inscription sur le bandeau de l’abside m'a enchanté: «Je suis Dieu et homme, l'image du père et de la mère; du coupable je ne suis pas loin, mais du repenti je suis proche.» Dieu, image de la mère tout autant que du père! Aussitôt surgit l’inévitable question: où donc dans l’Église se cache l’image de la mère?
Qui n’a jamais vécu cette expérience troublante -décrite diversement par des existentialistes comme Sartre- d’apercevoir son reflet au détour d’une vitrine et de ne pas se reconnaître, l’image projetée ne correspondant pas à celle que nous nous faisons de nous-même, nous renvoyant à celle d’un corps réduit à l’état d’«objet»? Il nous faut alors nous «réidentifier» à notre propre enveloppe physique. Ce processus jalonne nos vies, avec ces étapes où le corps se transforme radicalement (vieillissement, régime drastique, grossesse, accident). Il est particulièrement aigu chez les adolescents. Rien d’étonnant à ce qu’ils jettent un œil à chaque miroir devant lequel ils passent, pour apprivoiser ce Moi corporel qui, hier encore, était celui d’un enfant, mais qui les projette aujourd’hui dans le monde des adultes.