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lundi, 30 octobre 2017 13:03

Conditions d'accueil et santé mentale des migrants

MerhawiMerhawi © Anne KearneyLes demandeurs d’asile ont souvent vécu des événements traumatiques dans leur pays d’origine ou durant leur parcours migratoire, pouvant occasionner une vulnérabilité psychique, voire des troubles psychopa­thologiques. Des chercheuses des Universités de Genève (UNIGE) et de  Neuchâtel (UNINE) ont effectué une synthèse de dix ans de recherches menées dans différents pays européens, dont la Suisse, sur l’impact des conditions d’accueil sur la santé mentale des demandeurs d’asile et des réfugiés. Elles montrent que les conditions d’accueil difficiles et les contraintes liées à l’intégration rapide dans les pays d’accueil provoquent un épuisement psychique et agissent comme des facteurs de maintien des troubles.

Historiquement, les pays d’accueil redoutaient les maladies physiques des demandeurs d’asile, telles que le VIH ou la tuberculose. Mais, de ma­nière inattendue, c’est bien de détresse psychologique dont souffrent les populations de réfugiés, indique dans un communiqué de presse du 20 octobre l'Université de Genève.. Les chercheuses démontrent dans leur synthèse que les symptômes du syndrome de stress post-traumatique (PTSD) et de la dé­pression, par exemple, sont aggravés, réactivés, voire parfois provoqués par les conditions d’accueil difficiles réservées aux migrants. Pourtant, l’on pourrait s’attendre à ce que ces troubles s’atténuent lorsque ces per­sonnes se trouvent enfin dans un environnement offrant la sécurité et répondant aux besoins matériels minimaux. Or ils sont maintenus par l'insécurité lié à leur statut précaire.

L’insécurité d’un statut précaire

La Suisse compte 1,4% de demandeurs d’asile, dont 22% seulement ob­tiennent finalement le statut de réfugié. «Aujourd’hui, les conditions d’asile se durcissent partout en Europe, alors que la migration, y compris celle des mineurs non accompagnés, ne cesse d’augmenter», souligne Betty Goguikian Ratcliff, chercheuse à la Section de psychologie de la Fa­culté de psychologie et des sciences de l’éducation (FPSE) de l’UNIGE. «La synthèse que nous avons réalisée montre que loin de résoudre les pro­blèmes de la migration, le durcissement des conditions d’accueil génère au contraire une incompréhension, un épuisement et une importante détresse psychologique chez des populations déjà passablement vulné­rables qui s’attendent à être accueillies et à trouver refuge en Europe», ajoute-t-elle. La durée de la procédure d’asile et la crainte du renvoi, cu­mulées aux expériences pré-migratoires, créent un phénomène d’usure et débordent les capacités de résilience des réfugiés.
«Une demande d’asile peut durer des mois, voire des années, durant les­quelles le réfugié vit dans un état d’incertitude et d’anxiété constantes, pouvant raviver les troubles d’un état psychique fragilisé par des expé­riences antérieures», explique Laure Kloetzer, professeure à la Faculté des lettres et sciences humaines de l’UNINE. Chacun fait alors face à sa manière: alcoolisme, dépression, difficultés respiratoires ou douleurs somatiques. «Ces maux somatiques sont des douleurs réelles, mais souvent sans raison physique. Ils sont l’expression d’une importante détresse psychologique, liée aux enjeux de la migration, que de meilleures conditions d’accueil pourraient en partie éviter», ajoute Gail Womersley, chercheuse à l’UNINE, qui a interrogé directement des réfugiés dans des camps à Athènes.

Des exigences contradictoires

Il est demandé aux réfugiés de subvenir rapidement à leurs besoins, afin de ne plus dépendre des aides financières du pays hôte. Mais la préca­rité de leur statut légal, notamment le permis F (admission provisoire renouvelable à l’année, accordé pour des motifs qui rendent le renvoi non exigible) leur bloque, de fait, l’accès au marché du travail. En effet, ce permis, mal connu des employeurs, entraine une frilosité à l’embauche, alors que ces personnes ont légalement le droit de travailler. Les deman­deurs d’asile sont ainsi confrontés à des attentes contradictoires, pris entre l’exigence d’une intégration rapide et les obstacles mis à cette même intégration. «Il faut raccourcir les délais d’attente et cesser de criminaliser, ou psy­chiatriser, la migration d’asile. Une politique inclusive permettant de recréer un sentiment d’appartenance à une communauté est le meilleur remède pour créer les conditions de la résilience. Il s’agit d’une approche psychosociale visant à remettre sur pied et à intégrer des personnes ayant perdu leurs repères», analyse Betty Goguikian Ratcliff.

Appel à la reconnaissance

Cette synthèse des chercheuses des Universités de Genève et Neuchâtel rejoint l’analyse du psychiatre Jean-Claude Métraux, responsable du cours « Santé et migration » à l’Université de Lausanne, parue dans le dossier Fuites et migrations de choisir n°683. Il y établit les liens entre migrations, deuils et santé et plaide Pour une thérapie de la reconnaissance. Aider les migrants à se sentir acteur de leur devenir exige de notre part que nous les regardions autrement, non comme des personnes porteuses de déficits, mais comme des sources de créativité. Pour prévenir les maladies dues à l’absence de liens sociaux, rien de tel que la reconnaissance! Se fondant sur les formes principales de reconnaissance établies par Paul Ricoeur, il rappelle l’importance du lien social fondé sur l’échange de dons, l’approbation et la gratitude. «Dans les faits le donateur n’est peut-être pas toujours celui qu’on croit. Les personnes en état de survie offrent souvent des pans de leur vécu, de leur intimité, de leurs souffrances -ce que j’appelle des paroles précieuses. Ils nous montrent ainsi qu’ils nous jugent dignes de les recevoir. La balle de la reconnaissance est dès lors dans notre camp: nous devons les remercier pour ces cadeaux de grande valeur, au lieu de les considérer comme un dû.»

À lire aussi l’article de Rosette Poletti sur les deuils des migrants dans notre numéro d’automne 2017. Découvrez ici le sommaire de ce numéro.

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