lundi, 05 octobre 2020 09:14

Act of God

Téléphone interdit dans l'église, appel de Dieu, Paris © GODONG, Fred de Noyelle Certains voient dans la Covid-19 la main de Dieu. Mais pourquoi, dans une situation émotionnelle majeure, faire référence à l’Invisible, à l’Inatteignable? Lors des «cas de force majeur», les anglo-saxons utilisent l’appellation Act of God (le fait de Dieu).
Quand l’être humain utilise «Dieu» à toutes les sauces, selon ses besoins, ses désirs ou ses peurs. Un article de Gérald Morin, paru initialement dans le numéro de juillet de CultureEnJeu.

«La complexité inextricable des causes et des effets n’est maîtrisable par personne.
Le hasard vient nécessairement contrecarrer les projets les mieux établis.»
Friedrich Dürrenmatt

La devise des jésuites, Ad majorem Dei gloriam (pour la plus grande gloire de Dieu), a parfois été détournée par ceux qui désiraient avant tout servir leurs propres intérêts, sans parler du cri de ralliement Gott Mit Uns (Dieu avec nous) des chevaliers teutoniques (XIIIe siècle) que l’on retrouvait sur les fermoirs des ceinturons des armées allemandes depuis la Première Guerre mondiale jusqu’en 1961. Sur les billets de banques des États-Unis, on lit encore aujourd’hui In God We Trust (En Dieu nous croyons) et quand, le 11 septembre 2001, deux avions s’écrasent contre les Twins de New-York, de très nombreux passants sur place ou les spectateurs devant leurs écrans TV s’écrient: «Oh my God!». Ah, j’oubliais! Même madame, au lit avec son amant, entendant son mari monter les escaliers, s’exclame en français: «Ciel! Mon mari…»

Certes, les intentions des promoteurs des trois devises citées sont nobles et le choc devant la surprise totale de l’impensable des événements du 11 septembre ou celle de l’arrivée impromptue du mari sont compréhensibles.

Mais pourquoi, dans une situation émotionnelle majeure, faire immédiatement référence à l’Invisible, à l’Inatteignable?

N’ai-je pas entendu plusieurs fois, au début des années 90, des connaissances m’affirmer que le sida est une punition de Dieu? Et cela s’est répété, dans une moindre mesure, avec l’arrivée de la Covid-19.

Pour de très grands projets, les initiateurs essaient de mettre dans leur poche l’Éternel afin d’entraîner avec eux le plus grand nombre. Les Teutons dans la christianisation du nord-est de l’Europe, les jésuites dans l’esprit de la Contre-Réforme, les Étasuniens suite au traumatisme de la guerre de de Sécession. Quant aux individus, devant l’inexplicable ou l’inattendu, chaque fois que «le hasard vient nécessairement contrecarrer les projets les mieux établis», se sentant abandonnés, ils cherchent souvent un refuge à travers un appel à l’aide de l’Au-delà. Les plus engagés, devant la mort, s’écrient «Vive la République!» ou «Vive le Roi!», les plus sensibles lancent un déchirant «Maman!»

Dans de très nombreux cas d’accidents ou d’imprévus (mais prévisibles parce que récurrents), les assurances acceptent d’être des bouées de sauvetage contre primes payées à l’avance. Elles jouent le jeu, comme les casinos ou les loteries, puisqu’elles fonctionnent selon des algorithmes qui, par principe, font toujours d’eux les grands gagnants. Ils sont un peu le bouc émissaire (payant) dont on se sert pour sortir des ennuis. Un peu comme l’homme que l’on payait autrefois pour partir à la guerre à sa place. Mais quand le hasard intervient et qu’il n’y a plus de gagnant possible, alors les assurances et les individus lèvent les mains au ciel devant un Act of God. Ne pouvant pas faire intervenir directement l’Éternel, les humains vont tout d’abord chercher des responsables, coupables ou innocents, pour tranquilliser les esprits, quitte à mentir effrontément (situation du manque de masques en France). Et dans les meilleurs des cas, ils vont se retrousser les manches et prendre rapidement les meilleures décisions possibles.

Dieu a bon dos...

En 2009, je participais à la production d’un film helvético-franco-canadien à gros budget. Je me souviens de son interruption brusque à quelques jours du début du tournage. L’État d’Iowa (USA), qui intervenait dans le financement avec un apport de 6,5 millions de dollars, venait de faire faillite. Le gouverneur coupât immédiatement dans les budgets de l’éducation, de la culture et de la santé. Ces coupures ne suffisant pas, il décida de ne pas honorer les engagements financiers pris par l’État. Pour cela, il chercha immédiatement un bouc émissaire, accusant faussement le responsable des investissements en tax shelter (déduction fiscale) de corruption, dénonçant et annulant ainsi environ 120 contrats, dont le nôtre. En 48 heures, nous dûmes interrompre la production du film et renvoyer chez eux près de 150 techniciens et comédiens. Devant cet Act of God, la raison d’État et le mensonge sont entrés en scène et ont gagné.

L’arrivée de la Covid-19 a provoqué des situations chaotiques assez proches de celle-ci, et dramatiques, acculant souvent les gouvernements à des tromperies et des impostures.

Dès que le hasard change les cartes, les hommes ne respectent plus les règles du jeu au détriment de l’individu.

Car l’homme aujourd’hui se prend pour un dieu sans pour autant assumer sa responsabilité devant l’imprévisible.

L’histoire se répète souvent. Et comme Sisyphe nous devrons remonter la pente en roulant de nouveau notre rocher jusqu’à la cime, en espérant que celui-ci ne retombe pas de sitôt au bas de la pente. Si les dieux nous assistent!

Notre revue a consacré son numéro 697, d'octobre 2020, au Covid-19. Par rapport à la thèse développée ici, voir en particulier -pour les abonnés- l'article de Philippe Lefebvre op, Un signe venu de Dieu?

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