mardi, 23 mars 2021 07:45

Être un homme du voyage en temps de covid

May Bittel © Gabrielle DesarzensAvec la pandémie, les gens du voyage se retrouvent comme bloqués dans leurs quartiers d’hiver. Grâce aux beaux jours qui reviennent, ils se déplacent en Suisse et espèrent franchir les frontières sous peu. Pour l’heure, leurs itinérances se font, du moins pour certains d’entre eux, aussi en musique. Rencontre.

choisir, dans son numéro d'avril, Hautes Fréquence, le 21 mars, et le Festival Histoire et Cité, du 24 au 29 mars 2021, se font partenaires et s’attèlent ensemble à la thématique du voyage, le temps d'une édition ou d'une émission.

Il a le chapeau noir enfoncé sur la tête, le regard qui raconte ce qu’il ne dit pas. Cet après-midi de mars, le Manouche May Bittel, qui se définit comme pasteur évangélique, s’exprime au bord d’un feu, à la lisière des caravanes et du mobile home dans lequel il habite. Une petite rivière borde ce quartier de Céligny (VD) et les flammes crépitent. «Le feu, c’est ce que nous faisons pratiquement toujours quand on arrive quelque part. C’est important: il rassemble, permet de cuire, dit le partage et la fête! Et il nous met aussi en mémoire tous les feux qu’on a vécus précédemment avec nos parents et grands-parents…» Une voiture arrive. Le Tsigane de 70 ans cause avec son petit-fils, puis invite à poursuivre la discussion dans l’habitation qu’il a construite de ses mains. Dans quelques semaines, il va partir «en mission», dit-il. Et notre homme d’énumérer Etoy, Zurich, le canton d’Argovie, Lausanne, Morges, puis le Tessin. «Et en août, on espère comme chaque année pouvoir aller en France à la Convention évangélique des gens du voyage. Un rassemblement qui réunit de 6 à 12'000 caravanes, ce qui correspond à un nombre qui varie entre 60 et 120'000 personnes.»

Une histoire de gènes…

May Bittel © Gabrielle DesarzensLe voyage? « C’est dans nos gènes. On ne peut pas expliquer pourquoi on est toujours en route, c’est comme ça. Vous pouvez arrêter de respirer, vous? Eh bien moi, je ne peux pas m’arrêter de voyager. Il s’agit de se voir entre nous. Et puis de voir, tout court.» Aux murs de sa maison, deux guitares sont suspendues. Des instruments essentiels dans sa vie de nomade: «Ce sont les objets qui symbolisent le plus notre manière de vivre. Parce qu’à travers la musique, les gens ressentent ce qu’on essaie d’exprimer. La colère, la haine. Mais l’amour aussi. Et la joie. C’est le moyen par excellence de voyager.» May Bittel en saisit une et explique: «On est passé maître dans le fait de s’adapter. Alors quand je vais en Suisse allemande, j’accompagne des personnes qui jouent de l’accordéon. Puis ailleurs, j’accompagne des cantiques. Notre musique n’est jamais statique.» Il joue alors un morceau qu’il dit emprunter à Django Reinhardt, célèbre musicien de jazz manouche. Et c’est vrai qu’au fil de ses notes, le feu et la vision d’une communauté réunie ne sont pas loin.

…et de transmission

Mais May Bittel pose l’instrument et reprend: «Ma petite-fille est déjà loin. Elle s’est mise sur un emplacement avec d’autres gens du voyage. Il faut comprendre que le nomadisme nous permet de nous rapprocher les uns des autres. Les enfants apprennent par ce biais beaucoup de choses en voyant les plus anciens travailler. Comprenez: on a besoin les uns des autres. On vit pour et par le groupe.» Il évoque alors la transmission de valeurs, comme le respect de l’autre. Et de Dieu. «Parce que le côté spirituel chez nous est très développé. Nous avons toujours été très croyants. C’est simple: on a tellement été pourchassé comme des vauriens, que l’on s’est réfugié dans la foi où on savait que là au moins, il y avait quelqu’un qui ne nous mettrait pas dehors!»

Covid oblige, le Manouche a dû apprendre à pianoter sur l’ordinateur. «Une autre façon encore de voyager!» Car tous les lundis, il organise par ce biais des rencontres avec des gens «qui ne parlent que manouche», se réjouit-il. Jusqu’à 800 personnes de quelque huit pays se retrouvent ainsi pour entendre parler de l’Évangile. «Mais on attend d’être débarrassé de cette pandémie pour aller quand même en Allemagne, en Hollande où on nous demande!» Et quand il part, May Bittel prend toujours sa vieille bible au revêtement de cuir. Des versets y sont soulignés. «C’est aussi le moyen par excellence de cheminer, d’ailleurs. Et nous l’utilisons. Car Dieu a dit que l’homme ne vivra pas de pain seulement.» Son petit-fils Kenzo passe la porte, saisit la guitare et se met à chanter… en manouche. On l’écoute. Puis il traduit et indique avoir chanté des paroles qui invitent Jésus à venir dans sa vie pour lui apporter de la joie. Il ajoute que ce n’est pas qu’un chant. Que c’est quelque chose qu’il vit tous les jours.

La Bible, il faut vivre ses textes

Son grand-père acquiesce. Et évoque enfin ses voyages en Terre sainte, où il emmène régulièrement «ses gens», à raison de 100 à 200 participants par périple: «Je fais souvent ça pour expliquer un peu la vie de Jésus. Car il faut vivre les textes. Sur place, on voit les endroits dont ils parlent, et on peut s’imaginer comment les choses se sont passées. Les personnes que j’emmène comprennent ainsi que la Bible, ce n’est pas un mensonge.»

Le nom Tsigane est le nom générique pour les gens du voyage. Il regroupe les communautés manouches, roms, yéniches et gitanes.


Partir en voyage sans se déplacer

Une émission à écouter sur Hautes Fréquence RTS La Première, le 21 mars à 19h, puis en podcast ici. Deux spécialistes des voyages racontent leurs expériences à travers leurs souvenirs. Tout d’abord, le pasteur évangélique manouche, May Bittel, un homme qui appartient aux gens du voyage bloqués dans leurs quartiers d’hiver. Puis, le jésuite et archéologue Jean-Bernard Livio, spécialiste du Proche-Orient, qui organise depuis plus de 50 ans des voyages dans les lieux cités dans la Bible. Tous deux aiment particulièrement se rendre en Terre sainte. Les journalistes Gabrielle Desarzens et Laurence Villoz sont allées à leur rencontre.

 

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