jeudi, 06 mars 2008 01:00

« Ils ne savent pas ce qu'ils font ! »

Écrit par

La presse quotidienne est, paraît-il, redoutable. En quelques paragraphes, un fait, une allusion, un nom, et à une rumeur furtive succède une information qui devient un événement et déclenche parfois une mise en accusation, une condamnation. Ce processus est classique ; il piège nombre de lecteurs qui, avides de « sensationnel », oscillent entre une quête de clarification et de curiosité malsaine, voire de secrète perversité.

Le travail des journalistes est admirable aussi ! Car, jour après jour, ils ne cessent de nous sensibiliser à des réalités qui détruisent notre monde : guerres, viols, génocides, etc. Or, à l'égard de ces données brutes, les émotions des lecteurs semblent se désagréger et, si elles existent encore, elles se réfugient discrètement derrière les barrières élégantes d'une indifférence de bon ton. On ne peut tout de même pas porter en soi toute la violence du monde, n'est-ce pas ? Et cependant, réfléchir de temps à autre aux violations du droit, au malheur des victimes, à l'impunité des coupables, voilà qui est à même d'entretenir en nous un espace minimum d'humanité.

Qu'est-ce que je fais personnellement de cette masse de violence et de souffrance qui pèse sur des hommes, des femmes, des enfants, de maints pays, y compris le nôtre ? Certes, je puis me contenter d'être sérieusement renseigné, puis d'analyser et de discourir sur ces actualités internationales. Il est même utile d'établir de mémoire une liste actualisée des zones sensibles : Irak, Afghanistan, Tchad, Sri Lanka, Colombie, etc. C'est déjà une performance qui me sort de mes horizons nationaux et, en tout cas, d'un mauvais silence. Une autre étape gagne toutefois à être franchie. Ainsi, comment parler de vie démocratique en faisant l'économie d'une justice dont la fonction essentielle est de restaurer la dignité des victimes en affirmant la responsabilité des coupables ? Comment ne pas m'indigner devant des lois d'amnistie promulguées avant que des procédures pénales aient fait la lumière sur des actes criminels ? La fin justifierait tous les moyens. Mais est-ce acceptable ? Deux articles de ce numéro de choisir nous invitent à ce questionnement, avec une mise en perspective du danger d'un développement d'une tolérance pernicieuse, sous prétexte du respect de la liberté d'autrui.[1] Une autre incitation à la réflexion s'appuie sur la description d'atrocités en Afrique du Sud (1960-1994) et au Rwanda (1994) et surtout des profondes tentatives de réconciliation dans ces sociétés traumatisées.[2]

J'imagine qu'en voyant passer Jésus le Nazaréen, entouré de gardes sur le chemin du Calvaire, des hommes et des femmes de l'époque devaient se poser des questions de ce genre. Pilate, lui aussi, a affronté ce type de préoccupations, avant de faire relâcher Barabbas « qui avait été mis en prison pour émeute et pour meurtre » et de la sorte se débarrasser habilement du lourd dossier qui lui était soumis. Personnellement, dans cette foule qui était là et regardait, je me demande quel aurait été mon comportement, surtout après avoir entendu ces paroles qui viennent de haut : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font . »

Assurément, le Carême n'est pas trop long pour se préparer à mieux percevoir que le démon (anagramme du mot « monde » !) est, comme disait Charles Péguy, bien à l'oeuvre parmi nous et qu'il joue subtilement son jeu en travaillant dans les émotions, les sentiments, les passions qui le servent : la complicité, la duplicité, l'hypocrisie, la vengeance, la haine, la domination à tout prix.

Des Pères spirituels recommandent aux personnes qu'ils accompagnent de porter et d'offrir les souffrances du monde en les confiant à Celui qui, voici deux mille ans, fut injustement crucifié. Nombre de contemporains, forts d'une rationalité éclairée, stigmatiseront volontiers ces conseils édifiants, pour ne pas dire lénifiants ou irresponsables. N'empêche qu'il y a pourtant là un trésor à découvrir: l'émergence nouvelle d'une intelligence émotionnelle, marquée simultanément par l'indignation et la compassion et, disons-le sans réserve, par la foi en la victoire du Christ sur les forces de ténèbres. Alors que « le don de la vie »[3] nous est de nouveau offert, faisons et de Sa mort et de Sa Résurrection notre affaire. Le travail du pardon prend sa source en Un plus grand que nous : le Maître de l'impossible. Encore convient-il de le Lui demander.

1 - L'impunité en procès, pp. 21-24.

2 - Sociétés en refondation, pp. 25-31.

3 - Voir le texte de Nicolle Carré, aux pp. 9-12 de ce numéro.

Lu 23260 fois
Plus dans cette catégorie : « Carême de femme L'hospitalité du visage »

Nos revues trimestrielles