vendredi, 31 janvier 2014 10:59

Un voyage audacieux !

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La confirmation est tombée en début d'année : le pape François se rendra en Terre sainte les 23, 24 et 25 mai prochains. Il s'agit, précise-t-on au Vatican, d'un pèlerinage ! L'accent est donc mis sur la dimension spirituelle du déplacement de François, avec les célébrations en Jordanie, en Palestine et à Jérusalem : une messe dans le stade de la capitale jordanienne, avec un temps de prière au lieu du baptême au bord du Jourdain, une messe sur la place de la Mangeoire dans la ville où Jésus est né, et, « le 3e jour », une célébration œcuménique au St-Sépulcre, lieu de la crucifixion et de la mise au tombeau de Jésus, avec le patriarche orthodoxe Bartholomée de Constantinople et les autres chefs des Eglises chrétiennes. Mais comment ne pas penser à la dimension politique que revêtira le voyage ? Sont prévues le 24 une rencontre avec le roi Abdallah II en son Palais à Amman, le 25 un accueil à Bethléem par le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, et le 26 une réception à Tel-Aviv par le président Shimon Peres et les autorités israéliennes.

Que peut-on lire entre les lignes d'un tel programme ? Sur le plan politique, il s'agit d'une grande « première » : le pape volera d'Amman à Bethléem par hélicoptère, c'est-à-dire sans traverser le pont Allenby et le check-point imposé par l'armée d'occupation d'Israël (personne aujourd'hui ne peut passer de Jordanie en Territoires palestiniens sans être contrôlé par Israël). Autrement dit, le voyage du pape fait fi des frontières nées de la guerre. De plus, c'est une reconnaissance implicite que Jordanie et Palestine sont naturellement voisines et que les entraves militaires ne sont qu'une anomalie qui ne saurait subsister longtemps encore. De même lorsque, toujours en hélicoptère, le pape quittera Bethléem pour atterrir à Tel-Aviv, comme s'il se rendait dans l'Etat hébreu, par la seule entrée possible à toute personne qui arrive par avion directement de l'Ouest. Et c'est à Tel-Aviv - que les Etats membres des Nations Unies, à quelques très rares exceptions, reconnaissent comme « capitale » d'Israël en y maintenant leurs ambassades - qu'il rencontrera le président et les autorités israéliennes. Quant à Jérusalem - capitale choisie par Israël mais non reconnue par l'ONU -, il n'y est prévu qu'un temps de recueillement au Mur et à Yad Vashem, pour prier l'Eternel, béni soit-il, que « jamais, jamais plus la guerre ».

Ces paroles de Paul VI rappelleront qu'il y a 50 ans ce même Paul VI rencontrait à Jérusalem, pour la 1re fois depuis le grand schisme qui a déchiré la chrétienté, le patriarche de Constantinople Athenagoras. N'est-ce pas du reste cet anniversaire qui a motivé le pape François à entreprendre son voyage ? Le baiser de paix échangé par les deux pontifes avait provoqué une onde de choc jusqu'auprès de l'homme de la rue. Dans les souks de Jérusalem, on ne se regardait plus de la même façon entre religieux des deux confessions ; on voyait même franciscains et popes se saluer lorsqu'ils se croisaient ! L'Eglise romaine était alors en plein Vatican II et les orthodoxes parlaient de la nécessité de mettre sur pied un concile panorthodoxe. Mais depuis, les partenaires ne sont plus les mêmes et les Eglises qu'ils président non plus. Le patriarche œcuménique a vu son primat de plus en plus mis en cause et « de nombreux orthodoxes considèrent Moscou comme le nouveau centre de l'orthodoxie ».[1]

Alors, quel geste François et Bartholomée pourraient-il échanger pour réchauffer l'enthousiasme très refroidi depuis, malgré 50 ans de dialogue théologique ?

Le 3 janvier dernier, le pape François a célébré en l'église du Gesù la fête du St Nom de Jésus, fête patronale de la Compagnie. Aux centaines de jésuites présents, il a adressé, dans son langage imagé et fraternel, deux recommandations : « Soyez audacieux ! Soyez in­quiets ! » Oserait-on lui souhaiter de les appliquer à sa prochaine visite à Jérusalem ? Audacieux, il devra l'être pour inviter dans l'égli­se du St-Sépulcre, sur un territoire qui appartient à l'Eglise orthodoxe, ses pairs dans la foi en Jésus-Christ. Inquiet - c'est-à-dire ne pouvant se contenter d'être quiet, figé sur des positions acquises -, il devra le manifester à ses frères en Christ, pour aller plus loin dans la réalisation de cette parole du Christ : « Que tous soient un ! » La proclamation d'une date commune pour Pâques, en l'église même où on célèbre le souvenir de la Résurrection, en serait un signe.[2] Car c'est de communion que le monde, et non seulement le peuple de Dieu, a le plus besoin.

1 • Cf. Jerry Ryan, « Dialogue panorthodoxe » in choisir n° 649, janvier 2014, pp. 13-16.
2 • Par le hasard des calendriers, Pâques sera commune à tous les chrétiens le 20 avril 2014, puis à nouveau en 2017. (n.d.l.r.)

 

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