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mercredi, 01 juin 2016 16:18

Synode. Entre universalité et diversité

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Mgr Jean-Marie Lovey a été le délégué de la Conférence des évêques de Suisse au Synode ordinaire sur la famille de 2015. Nous l’avons rencontré en novembre pour recueillir son avis sur le déroulement de ce Synode et notamment sur la façon dont l’assemblée a géré la tension entre dogmes et réalités du terrain.

Le Synode des évêques sur la famille s’est clôturé le 24 octobre dernier, avec l’adoption par les Pères synodaux du Rapport final du Synode ordinaire des évêques sur la famille en 2015 et une demande adressée au pape François de produire un document sur la famille.
Le « carrefour linguistique » francophone auquel a participé Mgr Lovey était composé de 26 évêques, cardinaux et experts, en provenance d’Afrique majoritairement, du Moyen-Orient et d’Occident. Lors des deux premières semaines de travail, l’accent a été porté sur les socles culturels sur lesquels reposent les visions de la famille de chaque participant, puis sur leurs expériences familiales personnelles. « Ces échanges libres et sincères ont permis à chacun de comprendre, de sentir l’autre, de le rejoindre dans son expérience », mais aussi de toucher du doigt la difficulté d’adopter dans l’Eglise une approche commune vis-à-vis de la famille, témoigne Mgr Lovey, qui se dit très marqué par cette expérience de la diversité et de l’universalité dans l’Eglise. Un vécu que l’on retrouve déjà dans le document de synthèse préparé pour aborder le Synode 2015,[1] très éclaté car reflétant des subjectivités additionnées.
Dans le document envoyé par la Suisse, c’était aussi le cas, souligne l’évêque de Sion. Deux consultations de la base ont été ouvertement organisées par l’Eglise dans le pays pour préparer les Synodes extraordinaire et ordinaire sur la famille de 2014 et 2015. Le document de synthèse des réponses aux questionnaires a été élaboré par l’Institut pastoral des évêques de Suisse de St-Gall. Mais pour Mgr Lovey, ce document manque de nuances, même s’il reflète la multiculturalité du pays. Ainsi la synthèse a mis en avant de façon assez systématique les questions de l’accès des divorcés remariés à la communion et de l’attitude de l’Eglise vis-à-vis des homosexuels, mais elle a peu insisté sur la disponibilité à s’engager dans la famille comme réponse à une vocation. Des préoccupations pourtant palpables dans bien des courriers reçus par son diocèse, affirme l’évêque de Sion.

Le jeu synodal
Reste que c’est bien sur les questions des divorcés remariés et de l’accueil des homosexuels que s’est focalisée une grande partie des désaccords des Pères synodaux. Les paragraphes 84 à 86 du Rapport final 2015 qui concernent les divorcés remariés ont été adoptés de justesse à la majorité des deux tiers. On y propose de lever certaines interdictions qui frappent les divorcés remariés dans leur service liturgique, pastoral, éducatif et institutionnel, et d’envisager un accompagnement et un discernement personnel en ce qui concerne l’accès aux sacrements de la réconciliation et de l’eucharistie. Le groupe linguistique allemand, très remarqué médiatiquement car médiatiquement divisé, a voté ces amendements à l’unanimité. Mais est-ce vraiment étonnant ? Le texte final est suffisamment flou - voire édulcoré - pour être consensuel.
C’est là un incontournable du Synode, explique Mgr Lovey : « La synodalité, c’est justement de faire un bout de chemin ensemble. Il ne s’agit pas de l’emporter sur un concurrent. Le pape nous a demandé au début du Synode de nous écouter les uns les autres, et d’écouter ensemble l’Esprit saint. C’est une belle orientation pour une démarche synodale. Que veut transmettre l’Esprit à l’Eglise d’aujourd’hui à partir de ce que nous sommes, de nos différences et de la révélation ? » Comment, en quelque sorte, proclamer à la fois une vérité et accepter la diversité ?
C’est là qu’entrent en scène deux enjeux fondamentaux de l’Eglise : l’inculturation et la subsidiarité (décentralisation des pouvoirs) voulue par le pape. L’enseignement de l’Eglise universelle offre une stabilité pour tous, mais les orientations des Eglises locales données par les évêques doivent tenir compte des cultures, de la pratique pastorale, de l’histoire , et bien sûr de l’unité de l’Eglise.

Le discernement
Sur le terrain bien sûr, les choses ne sont pas aussi clairement différenciées... Comment concilier, par exemple, le dogme de l’indissolubilité du mariage, réaffirmé avec force lors du Synode, et la pastorale de la famille, confrontée en Suisse aux divorces, aux concubinages, etc. ?
Pour Mgr Lovey, saint Augustin a ouvert la voie lorsqu’il a dit : « Dans les choses nécessaires, il faut la vérité l’unité ; dans les choses douteuses, la liberté ; et en toutes choses, la charité. » C’est la toile de fond de l’Eglise. La question est plus complexe quedépasse le champ du « le permis » et ou du « le défendu » . « La vérité a son droit à l’existence, poursuit l’évêque, et elle n’est pas accablante si elle est au service de la vie. Si ce n’est pas le cas, si elle empêche la vie de se déployer, c’est qu’elle n’est pas ajustée. Elle doit être accompagnée de la charité, l’amour réel des personnes dans le respect de leur identité. Non pas de leurs envies ou attentions du moment, mais d’un projet, d’une vocation. »
C’est là que s’impose, selon les Pères synodaux, le discernement au cas par cas. « C’est inconfortable, poursuit Mgr Lovey, mais l’Evangile nous déstabilise-t-il pas tout le temps ? Le cadre évangélique est au-delà des personnes et de leurs sensibilités, du subjectif, car il fait partie du contenu de la révélation, il vient de Dieu. Il est au service du discernement. La seule loi, c’est celle de la charité, mais c’est la plus difficile. Le pape Jean Paul II avait parlé “d’évangéliser les cultures”. Car il y a des vérités culturelles qui se transforment en carcans. Elles sont tellement ancrées qu’elles sont plus fortes que l’Evangile. Il en a été ainsi, par exemple, de la haine entre des chrétiens Hutus et Tutsi, qui a conduit au génocide des derniers. La révélation - Dieu s’est dit à l’humanité au travers le Christ - est une chance extraordinaire au service de l’accomplissement de l’humanité. L’homme parfait, c’est le Christ. Tant qu’on est sur Terre, il y a pour chacun un progrès possible. »
Au-delà des dogmes, des lois et des coutumes, il y a donc la liberté de l’homme, sa conscience personnelle. Mais si le jugement de la conscience (le for intérieur) est bien la norme ultime pour Mgr Lovey, reste que « la conscience personnelle de l’être humain n’est pas spontanément ajustée à l’Evangile. L’évangélisation n’est pas génétique, c’est un chemin ! Nous avons tous à nous convertir à l’Evangile pour ajuster notre conscience personnelle. Chacun doit refaire le parcours de la révélation. La conscience doit se laisser éclairer. » Cette vision n’est pas toujours comprise aujourd’hui par les Occidentaux. « Nous sommes tellement soucieux de la liberté personnelle que nous n’envisageons pas qu’elle soit modifiée par qui que ce soit », rajoute l’évêque de Sion.

Lourde responsabilité
Le discernement pastoral sur le terrain est donc bien la chose la plus difficile à réaliser. Or le Synode l’a réaffirmé : il reste relève de la responsabilité du pasteur, du curé dans sa paroisse et de l’évêque dans son diocèse, même s’il ne peut s’effectuer sur une base arbitraire. Ainsi peut-on lire dans le Rapport final de 2015 à propos des divorcés remariés : « Il est du devoir des prêtres d’accompagner les personnes concernées sur la voie du discernement selon l’enseignement de l’Eglise et les orientations de l’évêque » (n° 85) ; et plus loin : « Ce discernement ne pourra jamais faire abstraction des exigences de vérité et de charité de l’Evangile proposées par l’Eglise » (n° 86).
Une lourde responsabilité repose finalement sur les épaules des évêques et des curés, appelés au jour le jour à répondre aux besoins et aux questionnements des paroissiens. A l’heure où en Europe les prêtres sont déjà surchargés, est-ce envisageable ? Sont-ils formés pour ce faire ? Ne risque-t-on pas de voir s’accentuer la réalité des « Eglises à plusieurs vitesses » ? Telle personne pourra compter sur l’écoute attentive et bienveillante de son pasteur, alors que telle autre se verra recevoir une fin de non-recevoir.
Pour Mgr Lovey, une réponse à ces questions réside dans la proposition du Synode de renouveler la formation des prêtres et des autres acteurs de la pastorale (Rapport final 2015, n° 61). « Il faut absolument intégrer dans les circuits de formation des personnes capables de faire sentir la famille à ceux qui vont être des accompagnateurs du couple et de la famille. Des laïcs, des couples donc. C’est une insistance qui me paraît nouvelle dans l’Eglise universelle. » Une indication de plus que le fil rouge de ce Synode a bien été celui de l’accompagnement pastoral.

[1] Il a été élaboré à partir du Rapport final du Synode extraordinaire sur les familles (2014), des discours du pape tenus lors du Synode 2014, et du rapport établi par le Secrétariat du Synode à partir des retours de toutes les consultations mondiales.

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