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mardi, 10 mai 2016 15:15

La force du groupe. Les 30 ans de l'ABC

«Ignorer les Ecritures, c’est ignorer le Christ», affirmait saint Jérôme, le traducteur de la Bible en latin. La pastorale biblique serait donc indispensable pour accompagner les chrétiens dans leur découverte de la Parole de Dieu. L’Association biblique catholique de Suisse romande s’y emploie depuis 30 ans.

Comme le dit la belle Exhortation de Benoît XVI La Parole du Seigneur (Verbum Domini, 2010), la pastorale biblique n’est pas une pastorale parmi d’autres, à côté de la catéchèse, du service des frères ou de la liturgie. Le pape émérite parle bien de «l’animation biblique de toute la pastorale» (n° 73), c’est-à-dire de la présence centrale de la Parole de Dieu dans l’ensemble de la vie et de l’agir de l’Eglise. Car la Bonne Nouvelle de l’Ancien et du Nouveau Testament se trouve au cœur de l’enseignement et de la catéchèse, des sacrements et de la prière, de la diaconie et de la présence auprès des plus pauvres, comme du rassemblement des hommes et des femmes autour du Seigneur Trinité d’amour.


Favoriser « l’animation biblique de la pastorale » est un art, auquel se consacre dans tous les cantons francophones l’Association biblique catholique de Suisse romande (l’ABC). Elle propose divers moyens (groupes bibliques, formations, soirées, sessions, conférences, cahiers[2] et publications...), afin que chacun(e) puisse faire une rencontre personnelle de Dieu dans sa Parole de vie. Fondée en 1985 par deux Valaisans, le chanoine Grégoire Rouiller et la bibliste Marie-Christine Varone, l’ABC a pu compter ensuite sur la participation du dominicain fribourgeois Jean-Michel Poffet et du signataire de cet article. L’équipe d’animation compte aujourd’hui une douzaine d’exégètes catholiques romands.[3] Avec le soutien et l’accord des évêques de Romandie, l’ABC se met à disposition de toute personne, mouvement, paroisse, unité pastorale, décanat, région, canton ou diocèse désireux d’approcher l’Ecriture et d’en faire une nourriture fructueuse pour l’existence et la vie spirituelle.

S’exposer ensemble
Parmi les diverses approches de l’Ecriture, c’est la lecture en groupe que privilégie l’ABC. En cette période de transformation ecclésiale,[4] les groupes bibliques rassemblent des personnes dont les liens avec les communautés et la foi chrétiennes s’avèrent parfois divers et distendus. L’acte de s’exposer ensemble - athées, non-croyants, agnostiques ou croyants - à la même Parole de vie peut être particulièrement bénéfique, à condition de donner à la lecture « culturelle et existentielle » toute sa valeur. La Bible sert de miroir à tout homme de bonne volonté, elle est un des patrimoines de l’humanité, elle demeure le livre le plus acheté et le plus lu dans le monde, elle renvoie chaque être aux fondements de son humanité, dans sa dignité et sa fragilité, elle peut servir de socle commun pour l’élaboration d’un nouvel humanisme.
Dans un deuxième et troisième temps, l’Ecriture peut interpeller les lecteurs à travers les partages et les témoignages donnés dans le groupe et amener l’un ou l’autre à des démarches de conversion où il se fait disciple-apprenant, à l’école de la figure fascinante du Christ. Le lecteur devenu disciple peut ensuite aller jusqu’à rejoindre explicitement l’Eglise et se laisser engendrer à la vie nouvelle et à la foi.
Ce processus explique pourquoi les sessions de l’ABC sont ouvertes aussi bien aux fidèles catholiques souhaitant approfondir leurs connaissances et nourrir leur relation au Seigneur, qu’aux « chercheurs de sens » d’âges, de conditions et d’origines multiples et aux croyants d’autres confessions chrétiennes (frères et sœurs réformés) ou traditions religieuses. Dans chaque session, la Parole est lue, partagée, expliquée, méditée, priée et célébrée. Ainsi conçus, les groupes bibliques peuvent constituer de petites cellules ecclésiales en devenir, des « ecclesiolae[5] domestiques », des « communautés de base vivantes » et représenter un des « actes instituants » susceptibles de faire naître l’Eglise de demain.[6]
Ainsi que le souligne Verbum Domini (n° 53), « l’efficacité de la Parole », semblable à la pluie et la neige qui fécondent la terre (cf. Is 55,10-11) ou à une épée à deux tranchants qui opère un discernement dans nos existences (cf. He 4,12),[7] se réalise dans la mesure où nous laissons son « travail s’effectuer en nous ».[8] Cela implique une attitude de « dé-maîtrise » des connaissances antérieures et des convictions trop arrêtées, une disponibilité à entendre à neuf le texte, comme si c’était la première fois que nous le percevions, bref, une volonté de répondre au « commandement » central de l’Ancien Testament : « Shema Israël, écoute, mon peuple, tu as deux oreilles et une seule bouche ! » (Dt 6,4).

La voix du texte
Mettre la Parole au cœur de l’activité et des orientations pastorales, ainsi que l’a tenté pendant son ministère à Milan le cardinal Martini à travers la lectio divina pour tous,[9] requiert des responsables et agents de la pastorale un véritable acte de foi. La Parole de Dieu est vraiment à l’œuvre dans le monde et dans le cœur de nos contemporains (cf. 1 Th 2,13), elle est capable de rejoindre et de transformer ceux qui sont prêts à l’accueillir, elle est la source de nos programmes et initiatives d’évangélisation, elle prend corps dans la chair des lecteurs qui la font circuler entre eux et lui donnent espace.[10]
C’est le constat de l’ABC : en ne projetant pas trop vite sur le texte des éléments d’expérience ou de compréhension déjà acquis, en ne figeant pas le sens en une configuration unique qu’apporterait l’animateur ou l’un des membres du groupe plus qualifié, en ne faisant pas trop appel à des informations extérieures, historiques ou même théologiques, qui pourraient devenir envahissantes, en nous laissant traverser par la Parole de manière totalement gratuite, sans vouloir trop vite « l’actualiser » de façon utilitaire, en pariant sur les bienfaits de cette désappropriation vécue à plusieurs dans un enrichissement mutuel très ecclésial, nous constatons combien la lecture nous transfigure. Elle permet d’entendre la voix du texte que l’Esprit fait résonner aujourd’hui à travers les Eglises (cf. Ap 2-3). Et de voir l’invisible, comme le proposait déjà Ignace de Loyola avec ses Exercices spirituels et sa méthode de contemplation biblique à travers les cinq sens.
La lecture en groupe ouvre des chemins du Royaume de Dieu au milieu du chaos actuel, elle suscite en chaque lecteur une vocation de prophète dans la liberté de l’Esprit, elle fait retentir pour le monde la joyeuse annonce du salut en Jésus Christ.[11] Pour que, « piqués au cœur » par l’écoute de la Parole (tels les gens rassemblés le jour de la Pentecôte : Ac 2,37), nous fassions de la lecture une fervente « garde du cœur », à l’image de Marie qui « gardait avec soin toutes ces paroles et les repassait dans son cœur » (Lc 2,19).[12]

[2] Voir les recensions des derniers Cahiers de l’ABC, in choisir n°666, juin 2015, pp. 39-40.
[3] Les Sœurs de Saint Maurice Isabelle Donegani, Jeanne-Marie d’Ambly et Adrienne Barras, François-Xavier Amherdt, Didier Berret, Lionel Bouquin, Luc Devillers, Monique Dorsaz, Barbara Francey, Philippe Hugo, Vincent Lafargue, Philippe Lefebvre et Guy Luisier.
[4] Cf. Christoph Theobald, « Lire les Ecritures dans un contexte de mutation ecclésiale », in Jean-François Bouthors (dir.), La Bible sans avoir peur, Paris, Lethielleux 2005, pp. 263-292.
[5] Petites Eglises.
[6] Cf. Gilles Routhier, « L’Eglise naît de la Parole », in Luca Bresan, Gilles Routhier (dir.), Le travail de la Parole, Bruxelles, Lumen Vitae 2011, pp. 123-138.
[7] Cf. Jadwiga Loulier-Pajor et François-Xavier Amherdt, Catéchèse. La Parole au centre, St-Maurice, Saint-Augustin 2007.
[8] Cf. Gilles Routhier, op. cit.
[9] Cf. Carlo Maria Martini, « Place centrale de la Parole de Dieu dans la vie de l’Eglise et l’animation biblique de la pastorale », in Esprit et Vie n° 254, décembre 2012, pp. 22-29.
[10] Cf. Isabelle Donegani, « Lire la Bible en groupe : une urgente nécessité spirituelle », in Centre pour l’analyse du discours religieux, Sémiotique et Bible n° 153, Lyon 2014.
[11] Voir Evangelii Gaudium, l’exhortation La joie de l’Evangile du pape François, Rome 2013.
[12] Cf. Isabelle Donegani, op. cit.

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