×

Avertissement

JUser::_load : impossible de charger l'utilisateur ayant l'ID 154
bandeau art philo
mardi, 10 mai 2016 15:34

Du déjanté

En avant, marche ! Théâtre danse
mise en scène Alain Platel et Frank van Laecke
les 8 et 9 janvier au Theater Chur, Coire

Mademoiselle Werner, de Claude Bourgeyx
mise en scène et jeu Sylviane Röösli et Yann Mercanton,
au Forum Saint-Georges (Delémont), les 22 et 23 janvier, puis au Théâtre de Poche (Bienne), l’Echandole (Yverdon-les-Bains), Théâtre ABC (La Chaux-de-Fonds), Teatro Comico (Sion)

Les acteurs de bonne foi, de Marivaux
mise en scène Geneviève Pasquier et Nicolas Rossier
à la Grange de Dorigny (Lausanne), du 5 au 8 novembre, puis au Kurtheater Baden, Théâtre des Osses (Givisiez), Stadttheater Schaffhausen, Theater Winterthur, 
Bicubic (Romont)

Près de 50 interprètes, une tournée sur deux ans qui touche quarante et une villes européennes, un port d’attache flamand (Gand) et, à chaque étape de la tournée, une fanfare locale qui devient l’ossature du spectacle. Spectacle musical donc, où l’on entend Mahler, Wagner, Bach, Verdi ou Elgar, sur des arrangements du compositeur Steven Prengels, qui prend l’habit sur scène du chef d’orchestre. On est un peu dans le même style de théâtre que chez le metteur en scène Marthaler et son King Size.
Les danseurs d’Alain Platel parlent, les musiciens dansent, les comédiens font de la musique : tout est mélangé dans ce joyeux et génial bric-à-brac, qui fait vibrer d’enthousiasme la salle. Surpris, bousculés, touchés par la force d’une fanfare de trente et un musiciens sur scène, extraordinaire (La Concordia de Fribourg), on marche à fond dans ce spectacle à la fois rassembleur et irrespectueux, à l’humour parfois gros mais surtout loufoque, porté par le formidable Wim Opbrouck, ventru, cheveux gris, Flamand parlant français et allemand.
Au fond, un mur avec des fenêtres d’où comédiens ou musiciens font des apparitions à trois mètres de haut. Mais tout se passe sur scène et la musique est parfois en coulisses.
Sur le devant, un personnage, seul au début, qui s’exerce aux cymbales pour les frapper au bon moment de la partition. Il est gros, asthmatique, glisse de sa chaise et finit sur le sol dans un gémissement. Rassurons-nous, il va bien, puisque vers la fin du spectacle il nous « chantera» un Lied de Schubert parmi les plus intenses (Der Leierman), en gargarismes, recrachant en grandes pulvérisations l’eau en l’air. Schubert ne lui pardonnerait peut-être pas, mais les spectateurs saisissent que pour cette compagnie, rien n’est sacré, la vie même est une farce, un cirque. C’est un monde de clowns où l’on rit parfois jaune, où l’on parle de la mort évidemment, avec une phrase empruntée à une pièce de Pirandello : « La mort m’a mis ce matin une fleur dans la bouche et m’a dit je reviens dans huit mois. » Pirandello mettait en scène un personnage mangé par un cancer de la bouche. C’est ainsi que l’on comprend cet air d’opéra crié la gueule ouverte par une comédienne, sur un air de Verdi. Affreux et déchirant dans tous les sens du terme ! C’est là que l’on se dit : ils sont très fort, tout de même, ces Flamands ! On pense au chanteur Arno, sûrement un copain de la bande.
Tout joue sur ce contraste entre la beauté que procure la musique (ou la danse, ou la parole) et l’émotion, toujours décalée, comme le veulent Van Laecke et Platel, une émotion incarnée dans l’esprit du clown à la limite du pathétique.
Citations de chansons populaires, phrases définitives qui font rire, liste des maladies de la vieillesse égrenées sans pitié... Le Monsieur Loyal du spectacle demande : « Jouez une petite marche, M. Verdi ! » Le Miserere du Trouvère, funèbre et beau, s’élève porté par les cuivres, tandis que les musiciens défilent en un cercle, sur ce pas lent d’enterrement et qui semble s’arrêter en l’air avant de se poser de nouveau sur le sol.

Mademoiselle Werner
Un pépiement d’oiseaux dans une salle plongée dans le noir, un visage dans un miroir déformant qui raconte. « Je suis née de la rencontre de hasard de deux individus d’âge avancé. Ma mère accoucha dans les douleurs et mourut douze ans après. Je ne peux m’empêcher de me sentir vaguement coupable... » On pourrait être chez Prévert avec ce texte, écrit pour le théâtre par l’auteur bordelais Claude Bourgeyx, dont la figure centrale, Mademoiselle Werner, fait partie de ces personnes à qui il n’arrive rien, comme à tant d’autres. Mais sous l’apparence, un monde imaginaire déjanté couve. Mlle Werner vit seule, elle fait vieille demoiselle avant l’âge.
Dans l’immeuble de Mlle Werner, il y a un voisin du dessus, Monsieur Roger. Un jour il sonne à sa porte, entre, se défait un à un de ses vêtements, imité en cela par Mlle Werner qui ne veut pas mettre son hôte mal à l’aise. Quand il est nu, M. Roger se présente et dit qu’il est venu emprunter un ouvre-boîte. Puis il roule ses vêtements en boule et remonte dans son appartement. L’auteur de ce texte délicieux nous fait sentir le désarroi ou le soulagement, c’est selon, de Mlle Werner.
Elle, c’est Yann Mercanton, comédien et mime, en body noir, collerette à dentelle et collants noirs ajourés. Il incarne ce personnage de femme à la fois touchante et ridicule avec les multiples voix qu’il porte en lui et sa sensualité androgyne.
Il passe de la voix de femme à celle de l’homme chez ce duo de voisins d’immeuble, où lorsque l’un avance, l’autre recule. Cette valse-hésitation capotera à l’aube d’une Nuit de l’électricité, née de l’imagination de M. Roger et dans laquelle Mlle Werner saute à pieds joints, après les dénégations d’usage dues à son éducation. On ne révèlera pas les ressorts de cette invitation digne des surréalistes, pour ne pas gâcher le plaisir.
Un petit bijou de spectacle. Les comédiens Sylviane Röösli et Yann Mercanton donnent à tour de rôle leur flamme à Mlle Werner. L’idéal serait de voir les deux versions, mais ce soir là, sur la petite scène du Centre pluriculturel et social d’Ouchy, seule celle de Yann Mercanton était au programme. Il y a quelques années, Yann Mercanton avait fait connaître son talent en entrant dans la peau des personnages de Régis Jauffret (Microfictions).

Les acteurs de bonne foi
Une riche veuve parisienne, Madame Amelin, fait un voyage à la campagne pour marier son neveu Eraste à la jolie Angélique, moins fortunée (mais la tante y pourvoira), fille de Madame Argante, austère propriétaire de campagne.
Pour charmer sa tante, femme d’esprit, Eraste charge son valet Merlin de composer une comédie, jouée par les serviteurs. Il y aura Merlin, Lisette, sa promise et servante d’Angélique, Colette, la fille du jardinier promise à Blaise, fils de ferme et grand dadais assumé.
Merlin imagine d’inverser les couples de prétendants dans sa pièce, ce qui amènera un beau chaos dans la réalité. Car Lisette sera jalouse de ce que son Merlin courtise Colette, et Blaise furieux que sa Colette se laisse courtiser pour les besoins de la comédie inventée par Merlin, illustrant ainsi le Paradoxe du comédien, de Diderot : le comédien est tenu d’éprouver une autre émotion que la sienne pour pouvoir incarner à la scène un personnage qui n’est pas soi.
Tout se joue dans la grange de Mme Argante, qui ne goûte guère la comédie en général et déboule pour faire cesser le vacarme, mettant un point final à celle-ci. Mme Amelin, qui se réjouissait du projet théâtral de son neveu, très vexée, décide de jouer un bon tour à Mme Argante avec l’aide d’une amie, veuve aussi, la très chic Araminte. Ce jeu, où l’on joue le faux pour faire sortir le vrai, où l’on s’étripe physiquement ou verbalement - selon sa classe - est mené par des comédiens déchaînés. Batterie de cuisine, bottes de foin, portes d’écurie, tout ce qui tombe sous la main est bon à créer l’emballement général, agrémenté d’une variété d’instruments à bruits et à sons, de tours de magie et même d’un petit chien (on craque).
Puisant à la comédie italienne plus qu’au marivaudage, la pièce tourbillonne en tout sens pour le plaisir des spectateurs. Comme il est difficile de marivauder entre les bottes de foin, le poulailler et les battants d’écurie, on est forcément davantage dans la farce, mais le parti-pris est réussi. Madame Amelin (Anne Vouilloz), Araminte (Véronique Montel) et Madame Argante (Florence Quartenou) sont justement croquées selon leur rang. Angélique est délicieuse, Colette, en ingénue des champs, irrésistible, et Lisette, qui se sent flouée, plus subtile (Marie Fontannaz, Laurie Comtesse, Aurore Faivre). Du côté des garçons, Merlin, qui mène le jeu, est étourdissant, au propre et au figuré, Eraste en promis distingué est parfait et Blaise, en simplet, presque touchant (Pierric Tenthorey, Simon Bonvin, Quentin Leutenegger, plus le notaire, Emmanuel Dorand, et la musicienne, Sara Oswald). Avec intermèdes musicaux (Mathieu Kyriakidis) et comédiens-chanteurs, pour cette comédie tardive de Marivaux en un acte, datant de 1748.

Lu 2944 fois

Plus dans cette catégorie : « Le désir archaïque Un juif pour l'exemple »

Nos revues trimestrielles