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mercredi, 01 juin 2016 15:13

Obligations et libertés

Eric FuchsQ
Quand l’obligation se noue avec la liberté
Genève, Labor et Fides 2015, 132 p.

C’est un riche petit ouvrage que celui d’Eric Fuchs, professeur émérite d’éthique à la Faculté protestante de théologie de Genève. Un livre dont le titre reprend l’un des trois piliers sur lesquels repose la réflexion.

Le premier de ces piliers, appelés nœuds de sens, est la coexistence du bien et du mal dans le monde ; le second consiste en la tension entre obligation et liberté, et le troisième réside dans le paradoxe d’un Dieu à la fois proche et lointain. Trois nœuds de sens, d’origine biblique, qui permettent à une éthique de se construire.
La morale ne pouvant pas avoir la prétention de dénouer ces nœuds, elle doit se résoudre à travailler avec ce qu’ils révèlent : des limites de fait à respecter et des limites constituantes. Ces limites positives s’imposent à l’homme, enclin à la démesure. D’abord comme être sexué appelé à l’amour, mais pris entre vertige et violence ; comme individu appelé à vivre en société, mais incapable de solidarité ou au contraire fondu dans la masse ; comme vivant mortel épris de vie au-delà du raisonnable, incapable d’accepter la mort mais prompt à la donner.
Autre est la limite de la liberté : un bien qu’on imagine et désire volontiers limité, mais qui, sans obéissance et sans obligation, devient arbitraire. Puis celle de l’obéissance qui, sans liberté, devient asservissement. « L’Ecriture sainte ne parle jamais de l’obligation sans parler de la liberté. »
Le troisième nœud de sens porte sur le statut religieux de l’homme. Ici l’excès de proximité porte à conférer à toute chose une sacralité indue, ou au contraire à tant éloigner l’homme de Dieu que c’est l’homme qui se divinise. « D’un côté l’idolâtrie, de l’autre l’humanisme comme religion séculière. »
Vingt belles pages (70-90) disent ce que sont une éthique sans idolâtrie - sans exaltation de ses propres principes - et une éthique nourrie de spiritualité. Une éthique qui donne sa place à la raison, mais qui ne lui confie pas le destin de l’humanité - et où l’amour peut transcender la loi.
C’est au sujet de la prudence (reprise d’Aristote et sauvée des incohérences du principe de précaution) et du sens de la mesure qui s’y dessine, qu’Eric Fuchs se résume et se profile : « ... le premier nœud récuse aussi bien l’idéalisme que le découragement ; le deuxième nœud fait percevoir le bienfait des limites posées par la loi ; le troisième nœud enfin révèle que le cœur spirituel de la prudence est la vigilance envers les tentations religieuses : se construire des dieux à notre image au service de nos mauvais désirs ». Une réflexion à savourer.

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