Depuis quelques semaines, le Parti démocrate-chrétien (PDC) s’est doté d’un nouveau président, le Zougois Gerhard Pfister, en lieu et place du Valaisan Christophe Darbellay. Autre tête, autre profil: le conseiller national Pfister serait le membre «le plus à droite» du groupe PDC - à en croire les ranking qui font foi - alors que Darbellay est encore (assez peu, en vérité!) estampillé «chrétien-social».
Ce changement revêt une dimension régionale importante dans un pays fédéraliste comme la Suisse: un représentant de l’Arc alpin s’efface devant un représentant du canton le plus riche de Suisse, connu pour être un paradis fiscal et un centre de la finance. La répartition des ressources entre les cantons étant un véritable serpent de mer de la politique nationale, l’arrivée d’un Zougois à la tête d’un parti gouvernemental dépasse la simple signification symbolique, d’autant plus que le parti radical est lui aussi dirigé depuis peu par une ressortissante de la Suisse centrale, la Schwytzoise Petra Gössi. Il n’est pas à exclure qu’au sein du PDC, comme en politique nationale, les revendications des cantons périphériques passent à l’arrière-plan ces prochains temps.
Bien sûr, il ne faut pas exagérer la portée de ces changements de personne: un président de parti a un pouvoir limité en Suisse. Et vu la structure fédéraliste du PDC, qui fait la part belle aux sections cantonales, il est peu probable que le parti subisse des modifications majeures du seul fait de son nouveau président. Pourtant le PDC aurait réellement besoin d’une transformation majeure. Gerhard Pfister en est le premier conscient, car comme il l’a reconnu sa formation ne va pas bien. Les années à venir seront décisives pour la survie de ce parti au passé si prestigieux.
Pendant des décennies, le PDC a joué un rôle de pivot dans la politique suisse, non seulement parce qu’il figurait, avec le Parti radical et le Parti socialiste, parmi les trois plus grandes formations politiques du pays, mais aussi de par sa position médiane entre la droite (les radicaux, les libéraux et l’Union démocratique du centre - UDC), d’une part, et la gauche, de l’autre. Cette position au centre lui permettait d’arbitrer les conflits entre les deux côtés de l’échiquier politique. Et lorsqu’en 1959, le Parlement fédéral inventa la fameuse «formule magique» - sept sièges du Conseil fédéral, distribués selon la clé de répartition suivante: radicaux, PDC et socialistes, 2 sièges chacun, UDC, 1 siège - ce fut sous l’impulsion du PDC. Cette configuration, qui allait survivre pendant 44 ans, permit au parti chrétien de faire pencher la balance soit du côté bourgeois, soit du côté de la gauche.
Une lente descente
Ces dernières décennies, le PDC a entamé une descente inquiétante. Son électorat, qui représentait plus de 20 % des citoyens suisses, a progressivement diminué et n’atteint plus que 11,6% des Suisses. Cela est du en bonne partie à la montée de l’UDC de Christoph Blocher. Depuis les années 80, l’UDC s’est transformée de parti agrarien modéré, implanté surtout dans les cantons protestants, en fer de lance de la droite nationaliste anti-européenne, maraudant sévèrement dans les cantons catholiques acquis autrefois au PDC. Conséquence: la «formule magique» a volé en éclat en 2003. En élisant Christoph Blocher au Conseil fédéral, au détriment de la conseillère fédérale démocrate-chrétienne sortante Ruth Metzler, le Parlement fédéral a relégué le PDC au rang de junior partner au sein des partis gouvernementaux. L’actuelle formule gouvernementale - radicaux, socialistes et UDC, 2 sièges, PDC, 1 siège - reflète cruellement la perte d’influence de ce dernier, perte que la forte personnalité de la conseillère fédérale PDC Doris Leuthard n’arrive pas à occulter.
Sur le plan parlementaire, les choses ne vont pas beaucoup mieux. Certes, le PDC pèse encore lourd au Conseil des Etats : il y occupe 11 des 40 sièges. Mais au Conseil national, avec 27 sièges sur 200, il est désormais loin derrière l’UDC et les socialistes.
Une perte d’identité
Cette baisse numérique n’est qu’un aspect de la crise traversée par le PDC, et sans doute pas le plus important. Ce qui est encore plus inquiétant, c’est la perte d’identité palpable du parti, et donc sa raison d’être. Etre délesté d’une partie de son électorat est une chose; perdre son âme en est une autre, autrement plus grave.
Ce n’est pas faire preuve de sévérité exagérée que de souligner que, de tous les grands partis de Suisse, le PDC est celui qui présente le profil le plus flou. Certes, tous les partis d’une certaine importance sont peu ou prou des formations «attrape-tout», qui fédèrent un large éventail d’intérêts et de revendications. Mais presque tous possèdent des spécificités et des spécialités largement reconnues. Ainsi le Parti radical était et reste, allié aux libéraux, le parti de l’économie suisse, le Parti socialiste celui des employés et des fonctionnaires, les Verts celui des écologistes par excellence. Et l’UDC, malgré tous ces efforts pour se présenter lui aussi comme le parti de l’économie, reste celui des paysans et des artisans et, bien sûr, de ceux qui s’opposent à l’ouverture du pays.
En revanche, on est bien en peine de dire quelle est la marque d’excellence - comme le disent les spécialistes du marketing, l’USP (Unique Selling Proposition) - du PDC. Son site internet indique qu’il poursuit l’idée d’une Suisse «prospère et attractive, grâce à sa politique empreinte de responsabilité, d’équilibre et de respect», en mettant l’accent sur le principe de l’économie de marché libérale et sociale, et sur la garantie des droits sociaux fondamentaux. Le PDC s’organise autour de quatre piliers: une Suisse favorable aux familles, une Suisse du plein emploi, une Suisse socialement sûre et une Suisse écologiquement durable.
De solides principes, indéniablement, mais qui ne fonde pas encore un véritable profil et un programme. Etre libéral et social à la fois, c’est bien beau, mais c’est aussi passablement flou. Quand il faut choisir (et en politique, c’est tout le temps le cas), les radicaux se font toujours plus libéraux que sociaux, les socialistes plus sociaux que libéraux. Mais le PDC? Parfois il penche d’un côté, parfois de l’autre, selon les circonstances. Ce constat ne concerne pas seulement la politique sociale et économique, mais aussi, par exemple, la politique européenne, dans laquelle le PDC ne suit pas une ligne clairement tracée. D’où sa réputation d’impénitent spécialiste du slalom politique.
Il n’est qu’un domaine où le PDC, de l’avis unanime, est plus ou moins prévisible: la politique familiale. Depuis toujours, ce parti lutte pour alléger notamment les grandes familles. Et parfois, il se trouve bien seul, comme récemment quand son initiative fédérale pour un allègement fiscal des couples, intitulée Pour le couple et la famille - Non à la pénalisation du mariage, a sèchement été balayée par les citoyens et les citoyennes suisses.
Dans les autres domaines, en revanche, les démocrates-chrétiens ont la réputation d’alliés peu fiables. En 2007, ils ont contribué, sous la férule de Christophe Darbellay, à éjecter Christoph Blocher du Conseil fédéral. Par la suite, on a parfois évoqué un rapprochement entre le PDC et les partis du centre et de centre-gauche. Cela n’a pas empêché le PDC de jouer à de nombreuses reprises la carte de l’alliance bourgeoise. On peut appeler cela «politiser au centre», mais l’habilité tactique, dont le PDC fait souvent preuve, nuit à sa lisibilité stratégique et - à long terme - à sa crédibilité auprès des électeurs. N’être ni de gauche ni de droite ne définit malheureusement pas une position autonome. Si le christianisme se définit par le mot biblique «que votre parole soit oui-oui, non-non» (Mt 5,37) on peut dire du PDC qu’il n’est pas toujours très chrétien...
Le poids de l’histoire
A la décharge de ses dirigeants, il faut avouer que ce profil passablement flou -wischiwaschi, dirait-on en suisse allemand- est en bonne partie le résultat de son histoire. Car ce parti, plus que les autres, a toujours réuni des milieux socio-économiques et des courants idéologiques disparates, allant de la droite dure à la gauche. Or pendant longtemps ces ingrédients disparates ont été, en quelque sorte, liés par le C du PDC ou, plus précisément, par l’appartenance de ces mouvements au milieu catholique. Aujourd’hui, ce liant fait de plus en plus défaut.
Le PDC est issu du parti catholique-conservateur, lui-même un produit du XIXe siècle et des luttes entre le libéralisme radical et le catholicisme politique. Longtemps, le parti KK (katholisch-konservativ) a été dominé par les élites des cantons catholiques. Il se voulait alors, comme son nom l’indique, conservateur, rural et fédéraliste- donc de droite. Dès la fin du XIXe siècle, il a aussi réuni un fort courant chrétien-social, implanté surtout parmi les travailleurs catholiques immigrés dans les cantons protestants, et inspiré par la doctrine sociale de l’Eglise catholique.
Cette évolution vers une configuration plus sociale et populaire a été accompagnée par une intégration progressive dans l’Etat fédéral, dominé initialement par les radicaux des cantons protestants. En 1891, les radicaux-libéraux offraient aux conservateurs un siège au Conseil fédéral. En 1919, les catholiques-conservateurs obtenaient un deuxième siège. Leur coloration farouchement fédéraliste et anticentralisatrice s’estompa peu à peu.
Comme déjà dit, ce qui les caractérisait et les unissait jusque dans les années 60 a été leur appartenance au catholicisme. Par la suite, face à une sécularisation accélérée, ils ont essayé de sortir du «ghetto catholique». Et en 1970, le parti a pris son nom actuel : Parti démocrate-chrétien. On relève le terme «chrétien», qui se substitue à «catholique . L’intention est claire: s’ouvrir aux non-catholiques. Aujourd’hui on est bien obligé de constater que cette tentative est un échec. Contrairement à la CDU allemande, qui a réussi le pari de devenir un parti populaire en se défaisant de son «parfum» confessionnel, le PDC a perdu une partie des catholiques, mais sans réussir à s’implanter suffisamment hors de son milieu d’origine.
Un mauvais calcul
En prenant ses distances non seulement avec les autorités de l’Eglise catholique, mais aussi avec la doctrine sociale de l’Eglise, le parti a dilué son programme, au point qu’aujourd’hui on ne voit plus très bien quelles valeurs il défend. Ce n’est pas un hasard si la revendication d’abandonner le C de PDC revient régulièrement à la surface, tel le monstre du Loch Ness. Jusqu’à maintenant, elle a été régulièrement repoussée. Néanmoins, le désir de paraître absolument moderne et la peur de passer pour un ringard en affirmant fortement des valeurs chrétiennes frappent nombre de représentants - et représentantes! - du PDC. Ce qui ne profite pas au parti, bien au contraire.
Il y aurait une place en politique suisse pour un parti attaché aux valeurs chrétiennes et sociales. Le PDC devrait saisir l’opportunité de sa nouvelle présidence pour s’interroger sérieusement s’il ne veut pas occuper cette place à l’avenir, au lieu de se cantonner dans son rôle de parti «ni-ni» ou «et-et», un peu social et un peu libéral. S’il gagne ce nouveau défi, il aurait peut-être encore de belles années devant lui.