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vendredi, 10 février 2017 09:40

«Tu ne tueras point», un film de Mel Gibson

Tunetueraspoint 1Critique cinéma pour notre revue, Patrick Bittar était au micro de Rafael Wolf pour Vertigo, le 7 février et pour Nectar le 8 février, deux émissions culturelles de la RTS,  Il a  livré son point de vue sur Tu ne tueras point, de Mel Gibson, et sur Silence, de Martin Scorsese.

Après avoir manqué de tuer un jour son frère d'un coup de brique, Desmond Doss, jeune et fervent adventiste du septième jour, s’est engagé à obéir à la lettre au commandement biblique «Tu ne tueras point».

En cette fin d’année 1941, il est donc objecteur de conscience, ce qui satisfait son père, un vétéran de la Grande Guerre, encore tourmenté par les souvenirs de ses amis dégorgeant leurs boyaux sur les champs de bataille. Après l’attaque de Pearl Harbor, Desmond décide pourtant de s’enrôler, comme son frère, mais en tant qu’infirmier dans l’infanterie. Leur père pacifiste (qui bat néanmoins sa femme lorsqu’il est soûl) n’arrive pas à les en dissuader.

Desmond tombe amoureux d’une infirmière, qu’il demande en mariage juste avant de partir en caserne pour un stage d’entraînement. Très vite, son refus de toucher une arme va lui attirer l’hostilité de tous: ses camarades le traitent de lâche, sa hiérarchie veut l’emprisonner. Malgré les coups et les humiliations, Desmond tient bon. Au juge de la cour martiale, il explique: «Dans ce monde qui s’entredéchire, ça ne me semble pas une mauvaise idée de contribuer un peu à le raccommoder.» Il est finalement autorisé à aller, sans arme, se faire tuer au Japon.
Il se retrouve alors avec son régiment à escalader une falaise surnommée Hacksaw Ridge («la crête scie à métaux»), qui mène à un territoire dont la conquête représenterait une étape décisive dans la bataille d’Okinawa. Au terme de combats d’une violence inouïe, alors que les rares survivants ont battu retraite, l’infirmier reste seul sur le champ de bataille pour porter secours à ses camarades laissés pour morts. Un à un, il porte les blessés jusqu’au bord de la falaise, les attache à une corde et les treuille à la force de ses bras. Les deux soldats de faction en bas vont réceptionner ainsi 75 de leurs compagnons qu’ils croyaient perdus. L’histoire est véridique.

Tu ne tueras point (Hacksaw Ridge titre anglais) commence comme un mélo romantique qui pourrait paraître désuet: on se croirait dans une production hollywoodienne des années 50, tant le film convoque une ingénuité disparue depuis longtemps de nos écrans. Andrew Garfield (Desmond) par exemple, - qui a quelque chose de Federer -, campe un héros positif, bouleversant d’innocence, comme le cinéma n’en fait plus sous nos latitudes.
Ensuite la séquence d’initiation militaire en caserne, avec ses scènes de groupe un peu balourdes, rappelle les films à grosses ficelles des années 80.
Ce n’est que dans sa seconde moitié que Hacksaw Ridge devient un film de guerre tout à fait actuel dans sa facture, avec des scènes de bataille d’une efficacité impressionnante. Il y a d’abord cette imposante paroi que les troupes escaladent, avant de charger sur un terrain jonché de cadavres, ceux de leurs prédécesseurs. Les projectiles tirés par un ennemi souvent invisible font tant de victimes que progresser dans ce chaos ahurissant paraît constamment suicidaire. Evidemment, cela renforce l’héroïsme des personnages, et en particulier celui de Doss, qui fait preuve d’une détermination et d’une bravoure extraordinaires. Notons au passage que la violence est ici beaucoup moins gratuite et sadique que celle imposée par quantité de films non réalisés par Mel Gibson, et donc non soumis au réflexe pavlovien de la critique, qu’elle soit chrétienne («un film abject et complaisant» pour La Croix) ou post-moderne («Entre le spectacle barbare et la guimauve religieuse, Tu ne tueras point relève presque du cas psychiatrique et fait basculer le cinéma de Gibson dans l’ère du “catho-porn”, cet Hollywood parallèle destiné à remplir les multiplexes de l’Amérique bigote», selon Les Inrocks).

tu ne tueras point grd 2L’originalité de cette histoire est dans la voie choisie par Desmond pour défendre son pays: celle de la non-violence. C’est bien celle-ci, résultant d’un choix individuel structurel, qui est glorifiée, pas la violence collective contextuelle. Comme le fait remarquer l’entourage de Desmond dans la première partie: sur un champ de bataille, respecter le cinquième commandement semble irréaliste ou suicidaire. Or Desmond répond en acte, grâce à sa foi en la Providence: «Seigneur s’il vous plaît, aidez-moi à en sauver un de plus», prie-t-il chaque fois avant de retourner sur les charniers à la recherche d’un autre survivant (y compris ennemi d’ailleurs).
Dans l’épilogue documentaire, le vétéran - récipiendaire de la Médaille d’honneur du président Truman en 1945 - raconte avec modestie comment, ayant nettoyé le visage d’un blessé qui se croyait aveugle, il s’est vu gratifié d’un sourire qui lui aurait suffi pour toute récompense.
Les applaudissements à la fin de la séance m’ont étonné et réjoui, d’autant que le public était nombreux, jeune et que c’était le jour anniversaire de l’armistice de 1918.

Deux jours après, l’Évangile entendu à la messe a résonné singulièrement: «Vous serez détestés de tous, à cause de mon nom. Mais pas un cheveu de votre tête ne sera perdu. C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie.»

Patrick Bittar

Tu ne tueras point
Un film de Mel Gibson / 2h11min.
Sortie en salle en Suisse romande le 1er février 2017
Avec Andrew Garfield, Vine Vaughn, Teresa Palmer

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