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mardi, 12 juin 2018 10:00

Le pape François, un homme de parole

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052 PFAMOHW WendersptiuteDe la liesse de la première heure, celle de sa nomination le 13 mars 2013, à la ferveur populaire qui prendra son apogée en Suisse le 21 juin prochain, qu’est-ce qui fait de ce pape François le saint homme qui séduit au-delà de son clocher? Premier admirateur du Saint-Père, le réalisateur allemand Wim Wenders lui dresse un portrait certes élogieux, mais qui ne tombe pas dans la béatitude. Le pape François - Un homme de parole sort ce 13 juin dans les cinémas suisses, la visite imminente du Pontife à Genève oblige.
Au titre Le pape François - Un homme de parole, Wim Wenders aurait sans doute pu ajouter: et d’actions. À maintes reprises, François exhorte à agir! Et il n’est pas le dernier à se mettre en marche, l’écriture d’encycliques telle Laudato si’, ses nombreux voyages et ses prises de position courageuses en sont les témoins.

Le documentaire du réalisateur allemand le démontre tout au long de l’heure et demi du film tricoté d’images d’archives et de celles des interviews accordées à Wenders par François, ce dernier fixant de son regard la caméra. Impossible d’échapper à ses yeux qui interpellent et soutiennent des idées énoncées à coup de phrases fortes: «Tant qu’une église place son espoir dans la richesse, Jésus n’est pas là», «On ne peut pas servir deux Maîtres. Soit on sert Dieu, soit on sert l’argent». Un regard sans équivoques quand il dénonce «la culture du déchet», des mots qui claquent à de nombreuses reprises comme autant de gifles pour réveiller les consciences d’une société malade qui produit tant de dégâts matériels et humains liés à des idées qui nourrissent un monde d’inégalités et d’égoïsme.

«On dit, le temps s’enfuit, mais nous ne comprenons pas ce qu’est le temps… nous sommes tous soumis au temps mais ne le contrôlons pas. Ou moins que ce que l’on croit. Tremblement de terre, inondations, ouragans s’abattent sur nous, mais pire que ces catastrophe naturelles, il y a celles que nous créons nous-même.» Au début de son film, Wim Wenders plante le décors sur une musique mélancolique qui colle à des images désolantes d’un monde qui se cannibalise et s’autodétruit. Mais ne vous y trompez pas, Le pape François - un homme de parole n’est pas un film triste ou catastrophiste. Cela serait revenu à trahir la personnalité même du pontife qui s’érige en médecin universel des maux du monde.

Un tantinet énervante de prime abord, la première salve de paroles où Wim Wenders décline quelques «poncifs». Mais loin d’être anodines, elles servent bien le film. Au fur et à mesure de sa progression, on mesure la puissance du discours de François, à la fois si sobre, accessible, mesuré, vulgaire dans le sens noble du terme, et tellement profond parce que dénudé de fioritures et de sous-entendus: dépouillé, comme le corps du Christ sur la croix qui ne montre rien, mais dit tout. C’est un documentaire sur un homme qui se veut le représentant du Christ sur Terre. Un Christ qui a souffert dans sa chair pour sauver les hommes. Mais ce n’est pas un film religieux ou «prosélytiste», et c’est ce qui fait sa force.

St François d’Assise
Wenders commence son documentaire par un constat «coup de poing» dénonçant les attaques écologiques, les guerres territoriales et économiques, les inégalités sociales, comme il l’avait fait dans le documentaire qu’il a consacré au photographe franco-brésilien Sebastião Salgado, Le sel de la terre.

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Le jésuite impressionne le cinéaste qui accepte son invitation au Vatican pour discuter du projet de film. Pourquoi le Vatican projette-t-il de faire un film sur le pape alors que la dernière chose qui doit intéresser cet homme c’est un portrait sur sa propre personne? s’interroge le cinéaste. Sa proposition va être la suivante: réaliser un film sur les idées de François et ses préoccupations. Ce ne sera pas un biopic, mais un documentaire avec pour figure principale les idées du pape.

Les archives du Vatican -coproducteur- lui sont alors largement ouvertes, et il en use rappelant, pas à pas, ce que le pape a initié comme réflexions et combats passifs au sein de l’Église et hors ses murs. Il prend également le parti d’entrecouper le film de scénettes reconstituées de la vie du saint patronyme du pape: saint François d’Assise. Le choix de François, premier pape du nom, n’a certes rien d’anodin. Wenders nous le rappelle en mettant l’accent sur son service aux plus pauvres et son souci constant de la création et de ses créatures. Si elles permettent de tirer un parallèle entre les deux François, il n'est pas sûr que le film aurait perdu en puissance en se passant de ces reconstitutions en noir et blanc inesthétiques.

Les images retraçant la vie du Saint homme dont le Souverain Pontife a pris le nom, sont très particulières et très caractéristiques du cinéma de Wim Wenders. Tournées en noir et blanc.

Plus convainquant, le choix des documents d’archives dont, parmi eux, l’incroyable séquence où le souverain pontife sermonne ses cardinaux leur rappelant leur rôle de serviteur et leur devoir de résistance face à toute tentation de richesse et de sentiment de supériorité mal placé. Il y relate les célèbres quinze «maladies curiales» dont l’«Alzheimer spirituel», la «schizophrénie existentielle», la «pétrification mentale et spirituelle», le «terrorisme du bavardage», la «maladie du visage funèbre»… On y voit également son soucis pour les migrants, l’environnement, le dialogue avec les autres religions, l’ouverture aux plus pauvres, à tous les humains, à la communauté LGBT: «Qui suis-je pour juger?» On le voit aussi s’adresser aux Nations Unies, au Congrès américain, se recueillir sur le mémorial du World Trade Center ou encore le monument commémoratif de l’Holocauste à Jérusalem. On le suit à travers le monde entier, en dialogue avec des détenus, des réfugiés, des dirigeants, des représentants de toutes les religions…

Parallèlement, Wim Wenders mène plusieurs entretiens personnels avec le pape qui permettent au cinéaste la réalisation d’un film à la personnalité forte qui interpelle le spectateur au lieu de le laisser regarder passivement son documentaire.

Le poids de l’histoire, le choc des mots
Derrière le film, on devine un homme transportant le poids d’une institution et de 2000 ans d’histoire de l’Église sur les épaules, mais aussi un homme qui projette vers le futur les desseins d’un avenir plus juste. Un homme qui propose à tous de s’arrêter pour discerner sur la marche du monde et repartir sur de nouvelles bases. «Il faut savoir écouter», nous dit François. «Les différences nous effraient car elles nous font grandir» […] «Nous avons tant de choses à faire. Et nous devons les faire ensemble.»

Tel un médecin du monde, François se penche sur les maux de la Terre, il les écoute, cherche à les comprendre et propose des pistes de guérison. Un médecin du monde qui nous rappelle que «la tendresse n’est pas une faiblesse, mais une force» et nous prouve à quel point nous, humains, sommes si souvent inadéquats pour nous-mêmes et pour la pérennité de nos civilisations. Sans chercher à nous accabler, il nous tend la main pour nous rendre notre liberté, celle du choix de nos actes.

Sortie en salle en Suisse le 13 juin, le 14 juin en Allemagne et le 12 septembre en France.

FilmWendersPape2018Le Pape François – Un homme de parole
Un documentaire de Wim Wenders
Écrit et produit par Wim Wenders et DAVID ROSIER
Distribution Universal Pictures International et Focus Features
Durée: 1h36


À voir encore cet entretien avec Wim Wenders, réalisé par La Croix & Pèlerin en janvier 2019. Le réalisateur revient sur la genèse du film sur le pape François. Un film qu'il a voulu réaliser avec peu de moyens, sobrement, en accord avec l'option du pape pour une vie plus simple. Il revient aussi sur cet aspect particulièrement important dans sa vie de réalisateur, le lien à l'invisible. "Le cinéma remplit ce devoir nous fait oublier notre vie au lieu de nous faire apparaître notre vie. (..) Peu à peu j'ai compris que le cinéma avait accès à l'invisible, au mystique... Il y a de plus en plus de films qui essaye de retrouver le domaine de la transcendance. Je suis très content. Car cela signifie retrouver l'amplitude de ce que le cinéma sait faire."

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