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mardi, 13 mars 2018 12:00

Le ventre des femmes

FrancoiseVerges ptite© Sandrine Expilly

La Réunion est une île de l’océan indien. Avec la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane française et Mayotte elle fait partie du groupe d’anciennes colonies, qui en 1946 sont devenues des départements français d’outre-mer. Toutes les violences colonialistes ne se sont pas arrêtées pour autant. Dans son récent ouvrage -Le ventre des femmes-, Françoise Vergès se penche en particulier sur celles dont des habitantes de la Réunion ont été victimes jusque dans les années 70 du siècle dernier. Et plus particulièrement les femmes.

Françoise Vergès
Le ventre des femmes
Capitalisme, racialisation, féminisme
Paris, Albin Michel 2017, 230 p.

 

Comme on le sait, la France applique des mesures natalistes depuis 1920 et n’a légalisé la contraception qu’en 1967. Mais attention, il ne s’agissait là que d’accroître le nombre de Français blancs. Dans les colonies, on combattait la «surpopulation» avec des pratiques qui, à la Réunion, sévissaient même après la départementalisation et la proclamation de «l’égalité républicaine». Françoise Vergès s’insurge contre ce cas emblématique d’oppression en raison de la race, du genre ou de la classe sociale. On recommandait aux femmes de l’Hexagone de faire beaucoup d’enfants, et on enjoignait aux Réunionnaises de limiter leur procréation. Tandis qu’en France continentale l’interruption même volontaire de la grossesse était considérée comme un crime passible de réclusion pour le médecin comme pour sa patiente, à la Réunion, pourtant tout aussi catholique, on pratiquait l’avortement à la chaîne.

Avec la complicité des services publics, des Réunionnaises participent sans le savoir et contre leur volonté à la «régulation des naissances». Lorsqu’un ennui de santé amène une femme enceinte à consulter l’Assistance médicale gratuite, elle reçoit un diagnostique fallacieux et un bon d’hospitalisation dans une clinique privée, où on lui propose une «petite intervention». Transférée en salle d’opération, elle subit une interruption de grossesse, parfois assortie d’une ligature des trompes. Les cliniques s’enrichissent en facturant à la Sécurité sociale des actes fictifs.

Ces «traitements» juteux se multipliaient et les médias commençaient à parler d’une «épidémie d’avortements». Trente femmes victimes ont porté plainte et résisté courageusement aux pressions visant à ce qu’elles se rétractent. Ces femmes de couleur, pauvres et peu scolarisées, sont déterminées. La Sécurité sociale reconnaît des «irrégularités» dans la gestion de ses fonds, mais renonce à porter plainte. Le procès, qui s’ouvre en 1971, se focalise sur la responsabilité individuelle du personnel médical et soignant, dont les membres s’en sortent avec des peines très légères. Arguant de leur bonne foi, ils allèguent qu’au moment des faits il y avait consensus général qu’il faut à tout prix endiguer le nombre des naissances pour prévenir la surpopulation.

Avec son livre, Françoise Vergès entend rendre hommage aux trente femmes qui ont eu le courage de témoigner contre des hommes blancs occupant des places de pouvoir. Elle déplore le peu d’écho que les féministes européennes ont donné à cette affaire. Le livre est composé de cinq chapitres assez indépendants les uns des autres, précédés d’une introduction qui familiarise bien le lecteur avec le sujet. Les notes en bas de page contiennent de nombreuses pistes d’approfondissements.

VergesFrançoise Vergès
Le ventre des femmes
Capitalisme, racialisation, féminisme
Paris, Albin Michel 2017, 230 p.

Bon à savoir
Dans la revue choisir de ce printemps (avril-juin 2018), Françoise Vergès signe un article sur la natalité et le colonialisme. Pour le lire, rendez-vous à la rubrique s'abonner ou commandez le numéro à l'adresse:

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