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mercredi, 27 juin 2018 13:59

Naissance de la Bible

petite bedetheque tome23Alors que les Bibles en bande dessinée sont légions, les personnes intéressées par les origines de ce texte fondateur n’avaient, jusqu’à présent, pas d’autres alternatives que de se tourner vers des ouvrages à la présentation plus austère. Un manque que les éditions du Lombard viennent de combler en publiant Naissance de la Bible dans une collection originale, la petite Bédéthèque des savoirs, consacrée à la vulgarisation scientifique au travers du 9e art. La bédéiste Léonie Bischoff et le bibliste Thomas Römer sont les auteurs de cet ouvrage. Interview.

Thomas Römer (textes) et Léonie Bischoff (illustrations)
Naissance de la Bible
La petite Bédéthèque des savoirs, t. 23
Paris, Lombard 2018

Une bédé consacrée aux sciences bibliques! D’où vient cette idée?

Thomas Römer: «J’ai été abordé par David Vandermeulen, le directeur de la collection la petite Bédéthèque des savoirs, en marge d’une conférence que j’avais donnée sur l’utilisation et la récupération des recherches archéologiques sur les sites bibliques. Il m’a présenté sa collection comme un Que sais-je? en bande dessinée (BD). J’ai trouvé l’idée ludique et j’ai fait une sorte de scénario.»

Léonie Bischoff: «Le premier texte que j’ai reçu, c’était 18 pages très denses. J’ai eu beaucoup de travail pour essayer de mettre cela en scène et faire un premier story-board. Il y a eu ensuite plusieurs aller-retour avec Thomas Römer.»

BDBibe2T. R.: «J’ai fourni à Léonie Bischoff différents éléments iconographiques pour qu’elle puisse avoir une idée de ce à quoi ressemblait alors le Proche-Orient ou Babylone. Certains éléments ont d’ailleurs été intégrés. Pour le reste, elle a dû imaginer cet univers. Léonie m’a aussi posé des questions. Par exemple, elle a proposé d’intégrer un arbre généalogique des douze tribus d’Israël et j’ai dû lui fournir les données.»

L. B.: «J’ai aussi beaucoup travaillé sur les couleurs pour créer l’univers visuel du livre.»

Ce n’est pas votre premier livre de vulgarisation, Thomas Römer. Mais j’imagine que les contraintes rédactionnelles étaient importantes ici.

T. R.: «Le nombre de signes pour le texte est très limité. C’est à peu près le même nombre de pages qu’un Que sais-je? mais il faut laisser de la place pour le dessin. Le vrai défi est de ne pas être trop compliqué, ni trop elliptique non plus. J’ai trouvé l’exercice assez amusant. Ce n’était pas évident, mais je ne l’ai jamais vécu comme un fardeau, ce qui m’est déjà arrivé sur d’autres projets.»

Vous êtes devenu militant? L’ouvrage débute sur une série de mésusages de la Bible...

T. R.: «C’est un peu l’idée qui m’avait été soufflée par David Vandermeulen. Il m’a dit qu’il faudrait trouver quelque chose d’actualité. En discutant, on est arrivé au constat que des fondamentalismes se manifestent un peu partout. Voilà pourquoi le récit débute de cette façon.»

Oui, mais l’ouvrage se termine aussi par une ode à la lecture historico-critique!

T. R.: «Ce n’est pas nouveau, vous me connaissez… C’est vrai, peut-être qu’à mon âge je deviens un peu plus militant. Je suis de plus en plus effaré, voire énervé, par les fake news, le fondamentalisme rampant ou toute autre maladie postmoderne. Je pense que la postmodernité ne nous a pas beaucoup aidés, au contraire, elle ouvre la porte à toutes sortes de discours. Selon certains sondages, 15% de la population de la France croient que la Terre est plate, et c’est un pourcentage qui augmente évidemment si vous allez de l’autre côté de l’océan. C’est quand même effarant au XXIe siècle! Et il y a des idées sur la Bible qui s’inscrivent dans ce type de visions du monde. Quand j’étais ado, je n’aurais jamais imaginé que cela puisse arriver. Je me disais que la science avait triomphé. Mais elle n’a pas triomphé partout.»

BDbile1L. B: «Cet aspect était important pour moi. Je ne suis pas croyante et je n’aurais pas pu collaborer sur un projet trop religieux, car j’ai un problème éthique avec la façon dont les religions traitent certaines questions d’actualité. Mais Thomas Römer est qui il est, et je n’ai pas beaucoup hésité à travailler avec lui.»

Thomas Römer, c’est parce que cet obscurantisme vous est difficile que vous avez toujours alterné la publication d’ouvrages scientifiques avec celle de livres à destination d’un public plus large?

T. R.: «Oui, peut-être aussi. Mais j’ai toujours été convaincu que si on est payé en tant que chercheur par la société, ce n’est pas simplement pour se faire plaisir entre les 300 scientifiques qui s’excitent autour des dernières théories sur la formation de la Bible  C’est très bien, il faut le faire, mais il faut aussi montrer au public pourquoi c’est important. Et qu’est-ce que cela nous dit à la fois sur l’origine de notre civilisation et sur la manière que nous avons d’aborder ces textes. Ce sont quand même des écrits qui sont constamment mis en avant, cités, critiqués. Seule une information solide permet d’avoir une attitude un peu éclairée par rapport au texte biblique.
»Une partie du christianisme actuel est tentée par une lecture un peu régressive et fondamentaliste des textes bibliques. Je suis désolé de le dire, mais c’est aussi parce que c’est de plus en plus proposé par les Églises elles-mêmes. Je pense que sur ce point mon collègue sociologue des religions Jörg Stolz a raison quand il dit que quand vous vous sentez en minorité ou menacés, vous durcissez le discours. C’est quelque chose qu’on observe aussi dans certains milieux réformés: il y a des gens qui pensent que ce serait beaucoup mieux de faire comme les évangéliques. Mais imiter leurs stratégies me semble vain: si les gens ont le choix entre l’original et la copie, ils prennent l’original.
»C’est aussi vrai qu’il y a des gens qui recherchent des informations sur la Bible qui ne soient pas trop compliquées. Et c’est aussi pour cela que j’étais assez content de faire cette BD. Cela permettra peut-être d’atteindre un public différent. Si vous faites de la vulgarisation et publiez chez Labor et Fides ou Bayard, vous toucherez un public intéressé par avance. Peut-être qu’avec une BD on touchera le public de la BD ou des gens qui se disent Tiens c’est marrant, le dessin est joli et ça ne coûte pas cher!»

Le titre de cette bédé est Naissance de la Bible. Mais vous n’y abordez que la formation de l’Ancien Testament. En milieu chrétien, est-ce qu’il ne nous manque pas le Nouveau Testament?

T. R.: «Il y a une différence de terminologie entre la Suisse et la France. En Suisse, probablement sous l’influence allemande, quand on dit Bible on imagine systématiquement Ancien et Nouveau Testaments. En France, on parlera plus facilement de la Bible et les Évangiles. Je voulais mettre Bible hébraïque dans le titre, mais l’éditeur trouvait cela trop compliqué. Reste que c’était déjà assez difficile de parler de l’ensemble de l’Ancien Testament en si peu de pages.»

Qu’est-ce qui vous passionne tellement dans cette Bible hébraïque?

T. R.: «Contrairement à ce que disent certains, ce n’est pas un livre dogmatique. C’est une sorte de compilation de différentes idées des hommes sur Dieu, sur le monde, sur leur histoire, sur la question des origines et sur celle de la finalité. Ce sont des questions que tout le monde se pose. Je trouve passionnant de voir comment une religion a pu se fonder, non pas sur une sorte de Vérité révélée qui serait uniforme, mais sur une très grande diversité. Le judaïsme se décline ainsi sur le mode de la diversité, tout comme le christianisme et d’une certaine manière l’islam. Je pense donc que l’enjeu, c’est de construire une identité en acceptant cette diversité. Vous allez de nouveau me dire que je suis militant, peut-être, mais je trouve ça important.
»Les lectures littéralistes ont du succès parce qu’elles donnent la vérité. La Vérité avec un grand V. Mais je mets quiconque au défi de me faire une lecture intégrale littéraliste de la Bible. C’est impossible! Déjà parce que les textes sont contradictoires, ensuite parce qu’ils ne sont pas applicables, ou alors il faudrait réintroduire l’esclavage, la polygamie, la peine de mort… Ce sont des réalités à la fois de l’Ancien et du Nouveau Testaments. Donc les lectures qui se veulent littéralistes se basent sur des concepts que l’on souhaite justifier et font en fait une grande sélection dans les textes, n’en gardant que certains.»

 


Léonie Bischoff: Genevoise installée à Bruxelles, elle est dessinatrice et scénariste de bande dessinée. Elle est notamment l’auteure de Hoodoo Darlin (Casterman), et dessinatrice de La Princesse des glaces (Casterman).

Thomas Römer: professeur d’Ancien Testament à l’Université de Lausanne et de Milieux bibliques au Collège de France, il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont L’Invention de Dieu (Seuil). Voir aussi la recension de son livre Moïse en version originale.

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