banner politique 2016
jeudi, 01 septembre 2016 16:54

Relations Église et État

Quels liens sont souhaitables au XXIe siècle entre l’État et l’Église? Et qu’en est-il en Suisse? À une époque où les confessions font trop souvent la Une pour de mauvaises raisons, la politique ne peut faire l’impasse d’une réflexion poussée.

En Suisse, les relations entre l’Église et l’État sont affaire des cantons, comme spécifié à l’article 72 de la Constitution. Toutefois, depuis quelques années, cette orientation respectueuse des sensibilités locales fléchit. Pour preuve, la récente interdiction de la construction de minarets, votée au niveau national en 2009, véritable coup de canif dans la volonté prudente de ne pas interférer au niveau fédéral dans le domaine religieux. La prochaine étape sera très probablement la votation sur l’interdiction de la burqa. Mais la confession visée par la votation de 2009 et la forme choisie pour s’opposer à un rajout au lieu de culte (une initiative populaire) ne démontrent-elles pas une utilisation du fait religieux par l’UDC à des fins peu claires ? S’en prendre aux minarets (ils n’étaient que quatre en Suisse au lancement de l’initiative) ou viser le port de la burqa (estimé à une centaine dans toute la Suisse[1]) revient à s’attaquer à des non-problèmes. La démarche n’engendre que stigmatisation et islamophobie.
La question religieuse n’est pas l’apanage de l’UDC. Depuis 2009, plusieurs interventions parlementaires ont été déposées, tendant à spécifier le lien entre l’Église et l’État. Souvent elles induisent une ingérence plus grande de l’État dans les affaires religieuses, ou vice et versa. Certaines demandent que l’autorisation d’afficher des symboles chrétiens ou de culture occidentale dans les espaces publics soit inscrite dans la Constitution. D’autres que les religions présentes en Suisse respectent davantage les droits démocratiques et les valeurs suisses. À chaque fois, les discussions ont porté sur la séparation de l’Église et de l’État, sur la laïcité, alors qu’il s’agirait d’abord de définir ce terme comme bien d’autres. De quelle forme de laïcité parlons-nous ?

Intérêt renaissant

Il est clair que le fait religieux est devenu une discussion importante en politique, en Suisse et en Europe. Si cette recrudescence d’«intérêt» trouve une origine tragique dans les différents attentats terroristes, elle est également une recherche d’identité. La contradiction réside dans le fait que cela fait bien longtemps que l’Europe n’est plus chrétienne, dans le sens transcendant du terme. Qu’elle s’est sécularisée au cours de son histoire. Et il y a comme une tension à vivre dans une société où plusieurs paradigmes se croisent. De celui de la majorité, où même la foi est rationnelle et vit dans un monde séculier et démocratique, jusqu’à celui de la foi ou transcendance pure, comme chez les créationnistes qui veulent vivre hors de ce monde avec un paradigme qui se donnerait à soi, sans argument rationnel.
Face à cette situation, trois positions politiques s’affrontent: favoriser une religion au détriment des autres, comme évoqué plus haut ; adopter une posture laïque ; favoriser la protection des minorités. La posture laïque consiste à dire que toute trace de religion doit disparaître des lieux publics et de ceux où s’exerce une autorité étatique ou un organe la représentant, afin de garantir l’égalité de traitement et des chances. La non-intervention étatique en matière religieuse assurerait la paix confessionnelle. Certains vont jusqu’à souhaiter la disparition de tout signe religieux, y compris chez les élèves. À ce propos, je citerais l’arrêt de principe (arrêt 2C_121/2015) rendu par le Tribunal fédéral le 11 décembre 2015. Ce dernier mentionne en substance que, malgré l’existence d’une base légale prohibant le port de couvre-chef durant les cours, l’interdiction du foulard islamique (hidjab) à l’école, imposée à une jeune fille de confession musulmane par le cercle scolaire de St-Margrethen, n’est pas compatible avec le droit constitutionnel à la liberté de conscience et de croyance.
La troisième position – dite de défense des minorités et que je fais mienne – est moins une attitude «idéologique» qu’une analyse de la situation politique. Elle part du principe que pour donner le droit d’expression et de liberté religieuse, tout aussi important que la paix confessionnelle, il faut que l’État s’investisse dans les questions religieuses, et non qu’il s’en débarrasse. Dans un contexte mondial où les actions politiques d’États ou de pseudo-États, au nom d’une religion, font régner la terreur et stigmatisent les croyants, il est important que la Suisse protège les minorités, même religieuses, présentes sur son territoire. La reconnaissance de ces religions serait un acte politique fort. Une sorte de cordon sécuritaire institutionnel pour celles et ceux qui pâtissent des suites d’actes avec lesquels ils n’ont aucun lien.

Reconnaissance de tous

En décembre 2014, je demandais au Conseil fédéral de fournir une synthèse actualisée des possibilités pour les cantons de reconnaître les diverses communautés religieuses, notamment en vue de lutter contre l’antisémitisme et l’islamophobie. La forme de reconnaissance pour certains cantons passerait par une reconnaissance de statut d’intérêt public. Pour obtenir cette reconnaissance, on pourrait prendre en compte le nombre de croyants, le nombre d’années d’implantation en Suisse, les services d’intérêt public ou les prestations sociales offerts par cette communauté religieuse. D’autres recommandations pourraient être faites par le Conseil fédéral. La solution la plus poussée de reconnaissance serait celle d’un financement par l’État qui s’accompagnerait de l’interdiction de financement de ces mêmes religions par des fonds provenant de pays en conflits ou sulfureux (selon une liste à édicter).
À l’heure où des discussions sur l’expression de la foi en société ont lieu, des réponses doivent être données. Et selon que l’on privilégie telle ou telle liberté ou concept (paix confessionnelle, égalité, liberté d’expression, liberté de croyance ou de ne pas croire), les réponses seront différentes. Mais le débat est passionnant et il faut l’aborder à bras le corps. C’est la seule façon d’avancer, même si parfois cela peut faire grincer des dents.

* Fille d’immigrés italiens, Ada Marra est engagée dans plusieurs associations caritatives en lien avec la lutte contre la précarité. Elle est notamment présidente du Conseil œcuménique du monde du travail (VD) et de la Fondation Mère Sofia.

[1] Selon le rapport fédéral de 2013 sur la situation des musulmans en Suisse. (n.d.l.r.)

Lu 988 fois

Nos revues trimestrielles