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jeudi, 04 mai 2017 11:28

François en Egypte: le pari de la paix

Caire«La charité est l’unique extrémisme des croyants...» Naïf? Pas tant que cela. Le pape François est malin. Par là il nomme directement le cœur du problème: la vengeance dans les mentalités arabes (et juives) qui empêche toute réconciliation, prolonge les guerres indéfiniment et refuse que la paix s’installe.
Au Caire, les 28 et 29 avril, il a prononcé à son arrivée deux discours de paix et de réconciliation très applaudis, qui ont été retransmis à la Une de la TV égyptienne. Le premier lors de la Conférence pour la paix à la célèbre université millénaire sunnite d’Al-Azhar et l’autre à l’accueil du maréchal Al Sissi devant un parterre de diplomates. Il fallait voir l’accolade chaleureuse du grand imam Ahmed al-Tayeb pour saisir les profonds sentiments d’amitié qui lient les deux hommes, en même temps que le vif désir de l’imam que son «frère de Rome» vienne l’aider à établir la paix dans son pays si fragilisé.

L’iman al-Tayeb est originaire d’une grande famille soufie de Louxor; il a étudié à la Sorbonne en 1973 la philosophie islamique et souhaite faire barrage aux djihadistes qui veulent détruire toute influence occidentale en Égypte. Lui et le pape prennent cependant deux voies différentes. François veut démontrer qu’il n’y a pas de guerre de religion, mais que ce qui est en œuvre en Égypte, en Irak, en Syrie, c’est un choc entre la barbarie et l’humanisme. Il veut signifier que le christianisme et l’islam se tiennent du même côté contre le barbarisme et l’obscurantisme, et il a bien insisté dans son discours «que le christianisme en Égypte n’est pas un produit d’importation, et qu’il a même précédé l’islam...» Pour sa part, l’imam al-Tayeb, démuni face aux mouvements islamistes, Daech et les Frères musulmans, veut montrer sa légitimité et qu’il a un rôle très important pour défendre un islam modéré. (Un mot honni par beaucoup de musulmans qui ne veulent pas être «modérément» musulmans.) Il souhaite apparaître comme la voix autorisée pour contester le monopole médiatique du diabolique calife Abou Bakr al Bagdadi.

Le voyage du pape s’est aussi inscrit dans le désir d’unité avec les coptes orthodoxes; 10% de la population égyptienne qui compte environ 90 millions d’habitants ; les coptes catholiques ne sont que 0,3% de l’ensemble des coptes. Tawaros II, patriarche d’Alexandrie et de toute l’Afrique, est lui aussi un ami de François, auquel il a rendu visite à Rome. Les deux Églises sont séparées depuis quatorze siècles. «Il est urgent de se réconcilier», ont affirmé leurs deux dirigeants.
François a désiré aussi apporter aux coptes, durement touchés par des attentats répétés, courage et soutien. Le régime d’Al Sissi est dur, musclé, autoritaire, et la Charia est encore théoriquement la religion officielle. Si les coptes ne sont pas persécutés, ils sont des citoyens brimés de deuxième catégorie, comme cela avait été fixé par Nasser. Un document signé en février à Al-Azhar, ce centre théologique de première importance pour le sunnisme, affirme que les différentes communautés, quelle que soit leur importance numérique, doivent avoir les mêmes droits. Un pas donc vers une saine laïcité, qui va vers la reconnaissance de la pleine citoyenneté et de la liberté religieuse demandée par François.

Priorité à l’éducation
Le pape a encore souligné que «le défi majeur à relever pour les chrétiens du Moyen-Orient, et donc des coptes, est l’éducation sans évangélisation». En effet, si la barbarie et l‘obscurantisme caractérisent une partie des populations de ces pays, c’est dû à des méthodes d’enseignement moyenâgeuses. Les chrétiens doivent s’atteler à la tâche éducative commencée il y a longtemps et qu’ils n’ont pas complètement abandonnée. D’ailleurs, la majorité des enfants dans les écoles chrétiennes sont musulmans. Un espoir pour évoluer vers un esprit de plus grande ouverture et de liberté.
Une illusion? Un pari difficile plutôt, fragilisé par les mouvements fondamentalistes, par une situation économique précaire, le chômage, le tourisme durement touché. La première manche est gagnée. Les djihadistes n’ont pas provoqué un attentat qui les aurait auréolés de gloire. Le président égyptien avait pris d’exceptionnelles mesures de sécurité, que les coptes ont relevées en le remerciant. Le courage de l’évêque de Rome a fait le reste.
Il faut soutenir l’Égypte par des investissements et surtout ses écoles, renforcer le barrage de l’imam al-Tayeb. Dans ce sens, espérons que le président Trump qui doit se rendre en Sicile fin mai pour le G7, fera le détour par Rome pour écouter les conseils d’un «expert diplomate non militaire».

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