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mercredi, 04 octobre 2017 11:35

Se tenir là

Écrit par

Cimetieres© Pierre Emonet«La mort est grande
Nous lui appartenons
Bouche riante
Lorsqu’au cœur de la vie nous nous croyons
Elle ose tout à coup
Pleurer en nous»
(Rainer Maria Rilke, Le livre des images, 1902)

Croyants ou incroyants, nous autres les humains, dans l’insouciance des jours ou l’inquiétude de la nuit, nous ne cessons de nous croire immortels. Je veux dire qu’absorbés dans les tâches quotidiennes, nous faisons comme si la mort ne nous concernait pas. Et lorsque, atteints par le deuil d’un être cher, deuil qui nous soustrait au divertissement et nous recentre sur l’essentiel, nous exprimons l’intime de ce que nous vivons, demeure comme le sentiment d’être exclu, étranger à cette mort qui nous ravit l’être aimé, comme arrêtés à la frontière d’un monde auquel seule notre propre mort donnera accès.
De la mort comme telle, il n’est donc nulle expérience et nulle pensée possible, car le «rien» qu’elle «est» ne peut qu’imposer le silence à toute pensée, tout discours. En effet, comment en parler puisque cet événement unique, qui nous concerne pourtant, échappe précisément à notre expérience intramondaine?

Que faire alors pour poser malgré tout une parole qui donne vie lorsque la perte d’un être aimé nous atteint? Peut-être, tout simplement, chercher à se tenir, en ces lieux où nous nous savons mortels, fragiles, vulnérables. Se tenir là, c’est refuser de fuir devant notre mort toujours imprévisible et soudaine, c’est lui faire la place qui lui revient dans notre vie. Ne connaissant ni le jour ni l’heure, être à tout moment -maintenant!- prêt à mourir est un exercice de sagesse. C’est connaître la grâce de se «rassembler», d’unifier sa vie puisque celle-ci ne prend son sens total qu’à partir de sa fin. Enfin se tenir là, c’est découvrir étonné et émerveillé qu’exister est un cadeau sans prix, un don qui ouvre à la gratuité et à la joie qui lui est liée.
Mais surtout, se tenir là, c’est entrer en compassion avec celui qui part en se laissant emmener avec et par lui, sans arme et sans bagage, jusqu’au seuil infranchissable qu’il ne peut franchir que seul. Ces instants inoubliables d’accompagnement vers le grand passage restent marqués d’éternité et gravés à jamais en nos cœur. Ce sont des perles précieuses sur le chemin de nos propres vies. Perles ou graines de résurrection déjà présentes mais pas encore pleinement réalisées. Se tenir là est chemin de foi. Une Pâque, que nous découvrons de manière toute nouvelle quand nos proches aimés partent.

Depuis septembre 2016, Luc Ruedin sj est accompagnant spirituel au service de l’aumônerie œcuménique du CHUV. Il est aussi un spécialiste d'Etty Hillesum et membre du comité de rédaction de choisir.

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