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jeudi, 23 mars 2017 16:02

Vivant mais blessé

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L’histoire de Numbi pourrait servir de scénario à un film dramatique. Au même titre que celles de nombre de requérants d’asile qui parviennent en Suisse. Son récit comporte inévitablement des trous, pour la plupart comblés, en ce qui concerne la rédaction, au cours des moments partagés.

Numbi (prénom fictif) est un Congolais de 37 ans qui a déposé une demande d’asile en Suisse, en août 2016. Il est accueilli par le canton de Vaud et a reçu le permis provisoire N en tant que requérant d’asile. À l’heure où nous rédigeons cet article, la décision fédérale concernant sa requête est encore pendante.

Numbi fait parti de cette génération d’intellectuels congolais qui ont cru à des lendemains meilleurs lors de l’ascension au pouvoir de Joseph Kabila, en 2001. La RDC, déchirée par la guerre civile, se trouve alors dans un chaos indescriptible. Le président Kabila appaise momentanément la crise en engageant un dialogue inter-congolais. Cinq ans plus tard, la première Constitution du pays voit le jour. Pour Numbi, elle pose les bases d’un futur régime démocratique. Animé d’un sentiment patriotique, le jeune médecin intègre le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie de Kabila. «Je suis entré dans le PPRD auprès de gens que j’admirais, avec l’idée de travailler à la transformation de mon pays, pour le bien de la population.»

Le parti lui confie rapidement des responsabilités en vue des élections présidentielles de 2006, puis de 2011 (qui aboutissent à la réélection de Kabila) et l’envoie en Afrique australe. De là il assiste au durcissement du régime. La contestation est réprimée, la corruption s’amplifie. La mort (assassinat) en février 2012 de Katumba Mwanke, proche conseiller de Kabila, accélère la division du pays. La suspicion gagne les organes dirigeants du parti qui opèrent un «nettoyage». Numbi, qui craint pour sa vie, démissionne du PPRD et intègre un parti d’opposition. «Je voulais continuer à dédier mon énergie au peuple. Je crois toujours que d’autres politiciens peuvent faire mieux et que Kabila doit quitter le pouvoir.»

Lors d’un retour en RDC pour des questions familiales, Numbi est arrêté à l'aéroport de Kinshasa en présence de son petit frère, et il est remis entre les mains de l’Agence nationale de renseignement, la police politique du régime. Il « disparaît » pendant vingt-sept jours, dans une geôle secrète creusée dans le sol, sans lumière. «Nous étions cinq dedans. Il n’y avait de la place que pour se tenir debout ou assis dans de l’eau stagnante. Il n’y avait pas de toilettes. J’ai été fouetté plusieurs fois.»

Il doit sa libération à son métier (il permettra à la femme d’un gardien de guérir, et celui-ci, reconnaissant, l’aidera le moment venu) et à l’action de ses frères auprès de relations. Un ami officier engage des gens de l’intérieur pour enquêter. Une fois Numbi localisé, son évasion est organisée. Elle réussit. Le médecin est caché quelque jours dans une ferme isolée du pays, le temps de mettre au point sa fuite pour l’Europe. Il embarque de nuit dans un avion pour la Pologne, via l'Afrique du Sud. Là, il est pris en charge par des passeurs, qui le font entrer en Suisse par le canton de Vaud, et il se présente au premier poste de police.

Le prix de la sécurité

Après un court séjour au Centre d’enregistrement et de séjour de Vallorbe, Numbi est logé quatre mois durant dans un abri de la protection civile (PC) de Nyon. Avant de partager, avec un ami Érythréen rencontré sur place, une chambre dans un appartement en sous-location. «Comme il ne comprend pas le français, je lui expliquais en anglais le contenu des lettres officielles qu’il recevait, explique Numbi. Quand il a trouvé cette chambre grâce à d’autres Érythréens, il m’a fait venir. C’est une bénédiction. Dans le bunker (de la PC), on devait sortir le matin et ne rentrer qu’à 18h. Je n’aurais pas supporté ça pendant l’hiver. Là je suis à l’abri du froid et je peux cuisiner.»

Le médecin se sent en sécurité depuis son enregistrement à Vallorbe. Mais si sa vie n’est plus en danger, il se dit néanmoins malade. Il attend anxieusement la réponse de Berne, souffre de l’oisiveté, de la solitude et de la séparation avec sa famille et son pays. Les idées noires surgissent. «J’ai rencontré dans le bunker des gens qui étaient là depuis six mois ou même un an, sans réponse. Je demande à la Suisse de regarder mon dossier avec délicatesse et considération. S’il y a des enquêtes à faire à propos de moi et de mes activités politiques, je souhaite qu’elles se fassent. En tant que médecin, je suis habitué à travailler et à aider. Maintenant je ne fais rien. Je raisonne beaucoup et je dors mal.»

Si Numbi trouve légitime que les Suisses passent avant les requérants sur le marché de l’emploi, il juge contreproductif de laisser ces derniers inactifs. « Nous proposer un petit travail nous aiderait à nous intégrer et à nous donner de la considération. C’est un élément central de la dignité humaine. La Bible dit clairement que celui qui ne travaille pas, ne mange pas. Nous ne voulons pas seulement recevoir l’aide sociale mais nous rendre utiles. J’ai des capacités intellectuelles qui peuvent être utiles pour la société en dehors du fait que je suis médecin. Même en tant que bénévole. Ça me rendrait plus libre mentalement. Chez moi on dit : « Si vous n’avez rien à faire, Satan va vous proposer un travail. » Un emploi lui permettrait de se sentir à nouveau membre d’une communauté, insiste-t-il. «En Afrique, on est comme un anneau d’une chaîne. Si elle casse, la vie n’a plus de valeur. » Il s’agirait en quelque sorte de créer une nouvelle chaîne. « Jésus a dit « qui sont mes frères et mes sœurs ? » Ce sont ceux avec qui nous partageons. Je veux créer une nouvelle vie. Je suis comme un nouveau-né en Suisse et j’aimerais devenir majeur.»

Numbi ne peut pas se tourner vers ses compatriotes installés en Suisse, même s’il lui serait plus facile de partager avec eux la réalité de son vécu. Par crainte de tomber sur un indicateur du gouvernement de la RDC, il les fuit. « On est en Suisse, mais on reste Congolais ! » C’est moins pour lui qu’il a peur que pour les membres de sa famille restés au pays : « Ils seront en danger tant que ce régime existera. » En particulier son petit frère, qui était avec lui le jour de son arrestation. Le médecin brouille alors les pistes, privilégiant les mails pour communiquer via des serveurs à l’étranger et ne donnant son numéro de téléphone qu’à ses proches. « Certains au pays me croient encore en Afrique australe. »

Durant la conversation se glisse alors un autre espoir : celui de retrouver une vie normale, avec sa femme et ses deux enfants laissés derrière lui dans un pays africain voisin. De se sentir encore un père et un mari capable de prendre soin des siens. Mais il le sait : il faudra du temps encore avant qu’il puisse envisager le regroupement familial ... si l’asile lui est accordé, bien sûr.

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