C’est dans la banlieue nord de la ville, sur un petit terrain boueux offert par le club local Orlando Calcio et situé derrière le cimetière juif, que les joueurs de l’Africa Academy s’entraînent deux fois par semaine. Les demandeurs d’asile s’y rendent à bicyclette ou à pied après avoir demandé l’autorisation de sortir pour quelques heures aux CAS où ils sont hébergés, ces «Centres d’accueil extraordinaires» issus d’un accord entre coopératives et diverses associations pour suppléer au manque de place dans les structures d’accueil ordinaires.
L’initiateur de ce projet est un cinquantenaire, Franco Marrucci, à la fois président et entraîneur du club. Il figure sur la liste des instructeurs de l’A.C. Milan. «En poursuivant le parcours entrepris à l’Académie sportive de Milan, j’aurais pu choisir d’entraîner une équipe haut de gamme, explique-t-il. Mais quand j’ai fait la connaissance de ces garçons et entendu leurs histoires, j’ai compris qu’en leur offrant la possibilité de s’intégrer dans une équipe, je ferais quelque chose de concret pour eux; alors, évidemment, les émotions ont pris le dessus.» Franco ne se préoccupe pas seulement de la formation sportive de ces garçons, mais il accorde une grande importance à la ponctualité et à une pratique correcte de l’italien. Il donne ainsi aussi des leçons de langue au SDI, le Centre de service pour femmes immigrées.
Unis par le football
Les jeunes portant le maillot de l’Africa Academy ont tous entre 23 et 30 ans, professent différentes religions et sont issus pour la plupart d’Afrique occidentale. Même si, à l’entraînement, on perçoit sans peine une Babel de langues et de cultures, en réalité, ils sont profondément unis par la volonté de jouer au football et par une commune précarité. Mohammed*, d’origine sénégalaise, est l’un des joueurs «historiques» de l’équipe et vit en Italie depuis quatre ans. Chaque été, il passe de longues périodes en Espagne pour travailler comme ouvrier agricole, vu qu’il n’a jamais réussi à trouver en Italie un emploi similaire ou plus lucratif. Yossou*, qui vient de Gambie et s’entraîne chaque semaine, travaille comme jardinier, alors qu’il était autrefois pêcheur: «J’aime fabriquer des filets pour la pêche, et quand je suis arrivé en Italie, j’avais trouvé un travail au port de Livourne.» En général, Antho* est aux buts. Il jouait déjà au football dans les rues de Lagos. Il est actuellement au bénéfice d’une protection internationale, qu’il faut renouveler tous les six mois et qu’il risque de perdre bientôt. Lorsqu’on lui demande s’il préfèrerait aller vivre dans un autre État européen, il répond en riant: «Je suis italien et ma place est ici.»
Une situation précaire
Le nouveau décret sur la sécurité, demandé par le parti gouvernemental de la Ligue du Nord, a été approuvé par les deux Chambres, et les demandeurs d’asile accueillis dans les centres «non ordinaires» ou ceux du projet SPRAR (Système de protection des demandeurs d’asile et des réfugiés) risquent de se retrouver sous peu à la rue. À Livourne aussi, les centres où vivent les joueurs de l’Africa Academy ont déjà reçu des lettres en vue du retrait de leurs permis humanitaires et de l’expulsion de ceux qui y vivent.
Franco ne cesse de le dire: «La politique du nouveau gouvernement finira par accroître encore la marginalisation et les conflits sociaux, en abandonnant ces personnes à elles-mêmes ou, pire encore, entre les mains du crime organisé.» Un tel scénario renforcerait l’adhésion à la propagande de Matteo Salvini, basée presque exclusivement sur la criminalisation des migrants.
Bien que l’African Academy soit composée majoritairement de jeunes d’origine africaine, le club est ouvert à qui désire en faire partie. Son objectif est de favoriser l’intégration et de lutter contre les préjugés liés aux phénomènes migratoires. Cela a été rendu possible grâce à la collaboration de certaines écoles de la ville, notamment l’Institut Technique (ITI - Galileo Galilei) qui, dès le début du projet, a été prêt à mettre son équipe -qui comprend aussi des filles- à disposition pour des matches amicaux avec l’African Academy.
Le jour très attendu du match amical entre l’ITI, en ce samedi pluvieux, se déroule dans un climat très serein, alors que la radio diffuse la nouvelle de la énième saisie d’un bateau appartenant à une ONG. Au premier goal de l’Africa Academy, les élèves de l’institut explosent de joie sur les gradins, comme si le but avait été marqué par leur propre équipe. «Évidemment, la partie n’est qu’un prétexte, explique le président de l’Institut. Quand Franco est venu à l’école pour présenter son projet, il avait avec lui trois garçons qui ont raconté à toutes les classes ce qu’ils avaient vécu, et nous avons accepté la proposition sans hésitation. Beaucoup d’élèves et d’enseignants ne connaissaient ces évènements qu’au travers de ce qu’en diffusent la TV et les réseaux sociaux, souvent de manière déformée.»
Besoin de reconnaissance
Le club est affilié au Centre sportif italien (CSI), mais Franco se mobilise depuis longtemps pour obtenir son inscription officielle auprès de la Fédération italienne de football, au moins pour les joueurs qui sont prêtés à d’autres équipes locales.
«La prochaine application du décret sur la sécurité aura pour effet que nos joueurs ne pourront plus faire de sport et notre projet pourrait cesser d’exister d’un jour à l’autre. En revanche, s’ils sont reconnus par la Fédération italienne de football, ils pourraient être domiciliés officiellement sur le terrain où ils s’entraînent», affirme Franco. Jusqu’à maintenant l’Africa Academy est parvenue à survivre financièrement grâce à des récoltes de fonds et à une contribution importante de quelques magasins qui ont offert du matériel tel que chaussures, serviettes et maillots. Mais les institutions demeurent absentes, la commune s’est contentée d’offrir son patronage. Pour remplir sa fonction de gardien de but, Antho* a souvent dû emprunter des gants à l’équipe adverse et on aurait besoin d’un minibus pour d’éventuels transports.
Sur la page Facebook du club, on trouve des messages venus directement d’Afrique. De là-bas, un supporter de cette équipe «de la diaspora» a exprimé son désir de pouvoir porter un jour ce maillot rouge orné du logo du continent africain. Des équipes semblables ont vu le jour ailleurs en Italie. Mais celle de l’Africa Academy a la particularité d’entrer parfaitement dans la ligne de la tradition cosmopolite de Livourne, une ville italienne qui n’a jamais eu de «ghetto» et où il est difficile pour quiconque de se sentir étranger.
(traduction: Claire Chimelli)
Les auteurs:
Giacomo Sini est un photographe indépendant italien, diplômé en sciences sociales de l'Université de Pise. Voyageur inconditionnel, il a traversé une cinquantaine de pays. Passionné par le Moyen-Orient et l'Asie centrale, il a photographié à plusieurs reprises les réalités des conflits en Syrie, au Liban et au Kurdistan. Il s'intéresse surtout aux récits de réfugiés dans les zones de conflit et d'après-conflit, et aux rapports interculturels. Aujourd'hui, il vit à Livourne (Italie).
Francesco Moisés Bassano, de Livourne, est un écrivain-voyageur indépendant. Il a étudié les sciences humaines à l'Université de Pise. Ses domaines de recherche sont liés aux phénomènes migratoires, aux minorités et aux identités diasporiques.
* Noms modifiés pour assurer la sécurité des réfugiés sous protection internationale et respecter leur sphère privée.
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