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mardi, 04 juin 2019 03:30

De la place des femmes au Soudan du Sud

GordonNyiel Gordon Kuol est professeur assistante à l’Université John Garang en Faculté de Sciences et Technologie de Bor, au Soudan du Sud. Mais c’est sur son travail en tant que présidente bénévole de la Fédération des femmes d’affaires que nous lui avons donné la parole. L’objectif de cette fédération fondée en 2013 est d’aider les femmes à obtenir un travail rémunérateur.
«Officiellement, les femmes devraient occuper 35% des postes, mais il n’en est rien. Seul 40% des Soudanaises du Sud sont alphabétisées», commente Nyiel Gordon Kuol. «Nous contactons les femmes qui sont instruites et nous poussons les entreprises à les embaucher, ou le gouvernement à leur donner des contrats d’importation sur le riz, les lentilles ou bien encore le sucre. Nous aidons en outre les femmes illettrées, en leur proposant un enseignement (dans tous les dialectes) des rudiments d’arithmétique nécessaires pour tenir une petite activité commerciale.»

Femmes d’affaires

La Fédération des femmes d’affaires soutient les femmes entrepreneuses dans leur activité d’importation: «Nous avons notamment organisé des voyages à Dubaï, en Chine, en Turquie; certaines ont été au Kenya, d’autres en Argentine. Nous avons participé à des conférences, notamment en Égypte, pour écouter les témoignages de femmes d’affaires et rechercher des partenariats. Et lors de nos voyages, il y a souvent des foires où nous présentons des produits traditionnels comme par exemple du miel.»

Un Prix de la réussite a été créé et «décerné à certaines femmes dont l’activité de vente de thé dans la rue avait bien été gérée, ou à la première femme pilote de ligne (pour Fly Dubai), ou encore à la première gouverneur élue.» Mais la Fédération n’oublie pas les hommes non plus: «Nous avons attribué un Prix au gouverneur de l’État de Jonglei (devenu depuis le ministre de la Défense). Il avait construit des échoppes sur un terrain dont il disposait, et les avait données à des femmes. Nous avons aussi décerné un prix au maire de Juba, qui avait construit des petites structures le long des routes, avec des parasols, au bénéfice des vendeuses de rue.»

La dégringolade du cours de la livre sud-soudanaise a un effet dévastateur pour les femmes qui essayent de monter des petites affaires dans un pays où tout est importé: «Leurs économies perdent brusquement de la valeur. Nous espérons qu’avec la paix, le taux de change va se stabiliser.»

Besoin de soutien

La Fédération des femmes d’affaires compte quelque 450 adhérentes (la majorité étant de classe modeste), mais beaucoup n’ont pas pu renouveler leur inscription car leurs affaires ont pâti des conditions économiques désastreuses. «Or la grande majorité de notre budget de fonctionnement provient de nos adhérents. Nous ne recevons que quelques petites aides ponctuelles de certains ministères. Ni l’ONU ni Oxfam ne nous ont aidées. L’ambassade chinoise nous a donné des ordinateurs.»

De nombreuses ONG viennent au Soudan du Sud et donnent des formations sur la création d’entreprise. «Mais sans capital, ça ne mène nulle part. Car pour emprunter, les banques exigent quelques biens à hypothéquer. Il y aurait beaucoup à faire, par exemple, dans la transformation des denrées alimentaires, avec des petits crédits pour aider les femmes à démarrer.»

Changer le regard sur les femmes

En favorisant le travail des femmes, l’objectif de la Fédération est aussi de faire changer les mentalités sur les mariages des mineures (14,15 ans), les mariages forcés et les problèmes liés aux violences faites aux femmes. «Parce que ces phénomènes découlent du fait que les femmes n’ont pas de revenus. La pauvreté engendre souvent la violence domestique. Les parents ont pour habitude de pousser leurs filles à se marier pour obtenir une dot.»

Concernant la scolarisation des filles, le gouvernement n’est pas encore passé des paroles aux actes. «Ici, culturellement, on privilégie l’éducation des fils parce que ceux-ci sont supposés subvenir aux besoins des parents. Ce qui en réalité n’est pas le cas: c’est souvent les filles qui s’occupent des parents. Et puis, dans la mentalité des familles, la fille va se marier, elle va devenir la propriété de quelqu’un d’autre. Nous essayons donc de faire passer ce message: si vos filles travaillent, cela permettra d’une part de scolariser vos petits enfants, quel que soit leur sexe, et d’autre part, vous bénéficierez de revenus qui ne seront pas ponctuels, contrairement à la dot. Et nous disons aux femmes: ne restez pas à la maison, sortez et allez travailler. Et songez que si vos filles sont éduquées, elles pourront mieux assurer la santé de leurs enfants.»

La Fédération ne cherche pas à faire la révolution contre les hommes et leur pouvoir: «Nous voulons seulement encourager l’égalité hommes/femmes dans la société soudanaise.»

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