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mercredi, 20 juin 2018 08:28

Œcuménisme et transformations culturelles

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md1205041981Les problèmes de rupture ecclésiale sont intimement liés aux changements culturels. La séparation du XIe siècle entre les Églises d’Orient et d’Occident provient en grande partie de l’éloignement linguistique entre le monde oriental de culture grecque, dominé par le patriarcat de Constantinople, et celui du monde latin, gouverné par la papauté romaine. La liturgie, la pensée, les sensibilités, les mœurs, le droit avaient évolué de manière autonome et devenaient incompréhensibles aux autres, jusqu’à provoquer la rupture.

On peut dire la même chose du schisme protestant au XVIe siècle. Il suffit de passer du monde de la Renaissance italienne en 1500 à Florence et de se plonger dans celui de l’Allemagne du nord, à Wittenberg par exemple, pour le constater. Comparez Raphaël ou Michel-Ange à Cranach, et les oppositions sautent aux yeux! Il y a des moments où les différences de sensibilité deviennent telles que les mots ne possèdent plus la même signification.

Par contre, les évolutions culturelles peuvent entraîner des rapprochements religieux. C’est ce qui s’est passé en Suisse romande dans les années 1920-1945. Les tensions confessionnelles restaient vives. À Genève, l’abbé Journet répliquait aux piques anticatholiques des publications protestantes par médias interposé, dans Le Courrier. Mais dès 1917, Alexandre Cingria, peintre et écrivain, lança le débat sur un autre terrain par son brûlot: La décadence de l’art sacré. Habitué aux grands vents de la culture internationale, il met en cause à la fois le vieil iconoclasme protestant et la méfiance catholique moderne face à l’art et aux sens. Il invoque le dogme de la résurrection de la chair, qui lui paraît la meilleure justification théologique de l’art, «puisque l’amour de l’art justifie les sens et les conduit à adorer Dieu, source de toute beauté.»

Il attire aussitôt l’attention d’artistes catholiques et protestants. Cingria fonde -avec Marcel Feuillat, Marcel Poncet et François Baud- le Groupe de Saint-Luc et de Saint-Maurice. Cette association va regrouper plus de 160 artistes en 1936. «Nous avons une école», exulte Gonzague de Reynold, avec des précurseurs, des maîtres et des disciples. L’écrivain fribourgeois, qui a fondé avec Ramuz et les frères Cingria La Voile latine, est un catholique classique, mais il est un grand connaisseur de la culture allemande et sait tout ce que la littérature romande doit aux écrivains d’origine protestante: Rousseau, Madame de Staël, Benjamin Constant, le doyen Bridel. Il est très soucieux des équilibres culturels de la Suisse.

Ce mouvement est appuyé par Jacques Maritain, un philosophe français d’origine protestante, qui a fait la découverte du thomisme. En 1920, il publie Art et scolastique. Il se lie avec l’abbé Journet, rencontré en Valais, et convoque à Meudon pour des sortes de retraite une élite intellectuelle et artistique venue de toute l’Europe. Ensemble, ils lancent une collection littéraire, «Le Roseau d’or», où l’on retrouve Ramuz, Cocteau, Ghéon, Lefèvre, Massis, Fumet. Ils suscitent un écho en Valais, où l’abbé de Saint-Maurice, Mgr Mariétan, publie la vision programmatique du groupe: Vie intellectuelle et vie d’oraison. De son côté, le collège de Saint-Maurice reçoit plusieurs étudiants de grandes familles protestantes vaudoises qui découvrent à cette occasion les beautés de la liturgie et ses liens avec l’art et la pensée. Le mouvement Église et liturgie en terre vaudoise, remet en valeur de son côté la période précédant la conquête bernoise, avec la restauration de Romainmôtier et la construction de Crêt-Bérard. La tradition monastique est réintroduite par le pasteur Roger Schutz qui fonde la communauté de Taizé avec le pasteur Max Thurian. La communauté féminine de Grandchamp, près de Boudry, lui fait pendant.

L’évêque Marius Besson (1920-1945), né lui-même, d’un couple mixte, accompagne avec attention cette évolution. Dans son ouvrage Après quatre cents ans, il retrace en historien les chapitres parfois très conflictuels des relations confessionnelles. Il veille à ne pas les laisser réapparaître.

Nous n’en sommes pas encore aux accords théologiques, ni aux relations institutionnelles, mais les rapprochements culturels, artistiques et spirituels ont déjà profondément modifié les rapports humains en Suisse romande. Aussi, quand la réconciliation entre les Églises est donnée comme un des buts du Concile Vatican II par le pape Jean XXIII, la perspective soulève un immense espoir.

La visite actuelle du pape François au Conseil œcuménique à Genève est appelée à marquer un pas de plus dans cette direction.

Cet article est issu de la chronique de Jean-Blaise Fellay D'hier à aujourd'hui  du site des jésuites de Suisse: www.jesuites.ch

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