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lundi, 25 juin 2018 15:00

La messe de Genève est dite

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PapeGe JoannaLindenMontes WCCLe pape saluant la foule sur sa papamobile © Joanna Lindén-Montes/WCCLe pape était à Genève! Jeudi 21 juin 2018, les fidèles étaient aux anges! Et le Saint Père a une nouvelle fois conquis les cœurs par son sourire bienveillant et ses paroles réconfortantes. Il a aussi déployé tout son charisme d’homme d’État et de leader d’Église lors de ses interventions devant le Conseil Œcuménique des Églises (COE). Retour sur événement avec le provincial des jésuites de Suisse, Christian Rutishauser sj, le supérieur de la Communauté des jésuites de Genève, Bruno Fuglistaller sj, et le scolastique genevois Julien Lambert sj (sur www.jesuites.ch).

Avant de célébrer une messe à Palexpo devant près de 38’000 fidèles et curieux, le pape François -est-il bon de le rappeler- était avant tout venu dans la cité de Calvin pour marquer le 70e anniversaire du Conseil Œcuménique des Églises (COE). Dans son homélie du matin, devant les membres de l’Institution et son secrétaire général le pasteur Olav Fykse Tveit, il s’est notamment exclamé: «Après tant d’années d’engagement œcuménique, à l’occasion de ce soixante-dixième anniversaire du Conseil, demandons à l’Esprit de revigorer notre pas. Trop facilement, il s’arrête devant les divergences qui persistent; trop souvent, il est bloqué au départ, miné par le pessimisme. Que les distances ne soient pas des excuses! Il est déjà possible de marcher dès maintenant selon l’Esprit: prier, évangéliser, servir ensemble, c’est possible et cela plaît à Dieu! Marcher ensemble, prier ensemble, travailler ensemble: voilà notre route principale d’aujourd’hui!»

CRutishauser messePapeGE juin2018 petiteC. Rutishauser sj © C. FossatiCélébrer les 70 ans d’une institution, ce n’est pas vraiment dans nos habitudes occidentales plus enclines à marquer les 75 ans. Christian Rutishauser sj, le provincial des jésuites de Suisse note que théologiquement, le chiffre 70 n’est pas anodin: «Le Saint Père a rappelé dans son discours devant le COE que: «Bibliquement, soixante-dix années évoquent une période de temps accompli, signe de bénédiction divine. Mais soixante-dix est aussi un nombre qui fait affleurer à l’esprit deux célèbres passages évangéliques. Dans le premier, le Seigneur nous a commandé de nous pardonner non jusqu’à sept, mais "jusqu’à soixante-dix fois sept fois" (Mt 18,22). Le nombre n’indique certainement pas un terme quantitatif mais ouvre un horizon qualitatif: il ne mesure pas la justice, mais il ouvre tout grand le critère d’une charité démesurée, capable de pardonner sans limites. C’est cette charité qui, après des siècles d’oppositions, nous permet d’être ensemble, comme des frères et des sœurs réconciliés et reconnaissants envers Dieu notre Père.»

Une visite en trois temps
Christian Rutishauser sj observe que la journée comportait trois temps forts bien distincts. L’arrivée du pape sur sol suisse tout d’abord, avec la rencontre du pape avec le président de la Confédération Alain Berset: «Un entretien qui se déclinait sur le plan politique, avec notamment pour thématiques fortes les droits de l’homme et l’engagement pour l’écologie. Le pape s’exprimait en temps que chef d’État, celui, du Vatican. Rien de très concret n’était à attendre de cette rencontre, mais une confirmation des intérêts communs entre nos deux États. C’était néanmoins importante à rappeler en ces temps instables où Donald Trump décide de retirer les États-Unis du Conseil des droits de l’homme et de tant d’autres traités internationaux.»

Le deuxième temps était évidemment celui de sa visite au Conseil Œcuménique des Églises (COE). «Cette présence de François était un geste fort, le témoignage de l’engagement de l’Église catholique pour l’œcuménisme alors que la question s’enlisait depuis quelques années», note Christian Rutishauser sj. «François est venu en pèlerin de l’unité. Ce n’est pas anodin. Opter pour l’œcuménisme, c’est accepter de perdre une partie de sa propre identité pour se vider de ses convictions et être plus accueillant envers l’autre. Le pape en est bien conscient», souligne le provincial de Suisse. «L’Église est en route aux côtés de tous les chrétiens, sur le chemin de l’unité, un chemin à parcourir ensemble. La visite du pape était un signe d’espérance et d’engagement sur ce chemin.»

PhotoByAlbinHillert WCC petiteLors de la prière œcuménique du pape au COE © WCC/AlbinHillert

De l’avis de Christian Rutishauser sj, cette visite aurait gagné en force si elle avait été le théâtre d’une concrétisation, d’une déclaration d’intention commune sur le plan théologique. «J’ai été un peu déçu que les paroles échangées ne débouchent pas sur un projet concret à propos de l’un ou l’autre des détails théologiques sur lesquelles nous discutons en ce moment telle que l’eucharistie. Nous sommes restés sur un niveau d’échange fraternel et de réaffirmation du besoin de cheminer ensemble, sans qu’aucun débat profond n’ait été engagé. Et c’est bien dommage», relève celui qui participe aux discussions vaticanes autour des relations interreligieuses en temps que consulteur de la Commission pour les rapports avec l'hébraïsme du Vatican. Il regrette également que la mise en commun de convictions humanistes profondes -notamment en matière de promotion de le paix- n’ait pas davantage donné lieu à une déclaration officielle commune avec le COE. «Nous travaillons ensemble pour la paix, mais aucune concrétisation n’a été esquissée à Genève, alors que le pape le fait en d’autres occasions.»

La messe en latin, mais pas seulement

MessePapeGadmer petiteMesse papale à Genève © Diocèse LGF/Jean-Claude Gadmer

Troisième et ultime temps, celui de la messe à Palexpo qui clôturait la visite papale en terre suisse. Une messe vécue par certains comme une étrangeté alors que la venue du pape avait été placée sous le signe de l’œcuménisme.
C’était une fête bien sûr pour les catholiques. Mais c’était surtout une messe traditionnelle qui ressemblait à celle que le pape célèbre à Sainte-Marthe. Une messe de vie quotidienne, pas si solennelle ou si festive, une occasion pour tous de prier ensemble. Et cette simplicité a touché Christian Rutishauser sj.

DeRaemypetitejpgMgr Alain de Raemy © Céline FossatiSi la messe était catholique, l’œcuménisme et le multiculturalisme étaient bien au centre du message papal. Et Mgr Alain de Raemy avait donné le ton quelques heures auparavant en saluant la foule, citant toutes les origines susceptibles d’être présentes à Palexpo. Une intervention très applaudie et bienvenue dans ce pays aux quatre langues nationales, et cette ville cosmopolite de Genève aux 190 nationalités.

«On aurait pu profiter davantage du temps d’attente du public à Palexpo avant la messe -les portes s’ouvrant à 10 heures et la messe débutant à 17h30- pour proposer des moments de réflexions autour de l’œcuménisme avec des interventions filmées ou en direct, et des animations appropriées, ce qui aurait permis de faire une transition douce entre les différentes étapes de la journée papale», relève Bruno Fuglistaller sj qui dit avoir été très ému par l’arrivée du Saint Père dans la halle aménagée pour la messe. «J’ai été pris par l’effet de surprise dès l’arrivée du pape sur sa papamobile. On a tout d’abord entendu des gens crier. Puis, en le voyant, le contraste entre la fragilité, la vulnérabilité de l’homme sur sa papamobile et la force de la ferveur populaire était saisissante», note le supérieur de la Communauté de Genève qui avait commenté en direct, le matin même sur Léman Bleu télévision, l’arrivée du pape à Genève. Son ressenti de la messe elle-même est contrasté. «Je l’ai vécue comme une messe "classique" même s’il y avait une ambiance très émotionnelle qui ne m’est pas familière dans le cadre d’une célébration. Des manifestations de foule -qui relevaient davantage d’une forme d’excitation populaire" et ne venaient pas de la cérémonie en elle-même mais du comportement de certains- m’ont un peu gêné. Mais globalement, j’ai trouvé ce moment émouvant.»

Une rencontre réussie
«La messe de cette fin d’après-midi était un temps pour la Suisse romande, pour l’Église catholique locale. Elle n’avait pas de lien explicite avec la visite de François au COE», note en effet Christian Rutishauser sj. «C’était un parti pris des organisateurs. On aurait évidemment pu prendre celui d’une continuité en proposant une messe et une célébration qui reflètent un peu cet engagement œcuménique, mais cela n’a pas été l’option retenue.»
Reste que tous ont été pris par l’émotion et l'atmosphère fraternelle qui a régné lors de cette grande messe. Et Christian Rutishauser sj de relever la chance pour l’Église locale d’avoir pu célébrer avec le pape. Et c'était aussi important.

Le décor, les chants et autres moments musicaux, les 300 bénévoles, tous ont œuvré pour que la fête soit belle et elle l’a été. L’organisation d’un tel événement en partenariat avec les autorités politiques, le premier du genre depuis des décennies pour le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, était un vrai challenge. Et tout s’est passé dans le calme et la bonne humeur!

Lire également le témoignage du scolastique genevois Julien Lambert sj Une messe à 360 degrés sur https://www.jesuites.ch/news/commentaires/1050-messe-papale-geneve

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