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mercredi, 04 novembre 2009 01:00

Confiance et liberté

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Novembre 1959, le premier éditorial de choisir, signé par Jean Nicod, relevait combien il est difficile pour une revue suisse romande d'intérêt général de survivre longtemps : 50 ans plus tard, le pari est gagné. Choisir a survécu et prend même place parmi les plus anciennes revues culturelles de Suisse romande !

Reste à savoir si les promesses du début ont été tenues. Impressionnés par l'étroitesse culturelle du pays, prenant acte du sentiment d'asphyxie ressenti par de nombreux intellectuels et artistes, les fondateurs voulaient se situer au-delà des particularismes et recueillir les aspirations d'une « vie au grand large ». Ils prétendaient répondre à la vocation internationale de la Suisse et participer à la construction d'un monde plus humain et plus chrétien, en accueillant toute valeur spirituelle authentique, en s'ouvrant aux peuples et aux cultures du monde entier. Vaste programme !

Comme rarement dans l'histoire récente du monde, les cinquante dernières années ont été riches en bouleversements de toutes sortes. L'évolution des mentalités, les soubresauts sociopolitiques, les progrès des sciences et le développement des moyens de communication ont imposé de nouveaux paradigmes lorsqu'il est question de l'homme, de sa vie en société, de son destin et de son salut. Déconcertée, la vieille civilisation occidentale a assisté à l'émergence d'une nouvelle culture, enfant illégitime qu'elle peine à reconnaître. Libérée et autonome, la société contemporaine se passe fort bien de Dieu et de ses représentants. Les Eglises elles-mêmes, ces témoins imperturbables d'une tradition séculaire, ont perdu une part de leur crédit et vacillent encore jusque dans leurs convictions les plus fondamentales. L'oecuménisme, le dialogue interreligieux, l'accès des laïcs aux charges pastorales et le déclin du cléricalisme ont remis en cause bien des certitudes aux allures de dogmes.

Choisir s'est intéressée avec beaucoup de sympathie à tout ce qui bougeait dans le monde, s'efforçant de discerner avec attention les signes annonciateurs d'une société meilleure et plus juste. Les grands mouvements religieux et spirituels, les audaces de la théologie et de la philosophie, les remises en questions de l'éthique et de la morale, les vicissitudes de la politique nationale et internationale, les déviances de l'économie, les progrès des sciences, les arts, presque tous les secteurs de l'activité humaine ont fait l'objet d'informations, d'analyses, de questionnements et, parfois, de prises de position. Des personnalités de référence et des prophètes plus dérangeants se sont exprimés dans les pages de la revue. Le petit florilège de cette livraison en rend compte. Le lecteur attentif y découvrira les harmoniques ou les dissonances d'un vaste kaléidoscope, reflet bigarré d'une période agitée mais passionnante de notre histoire contemporaine.

L'attention portée aux événements et les prises de position qu'ils ont inspirées ont été dépendantes des circonstances. Elles portent immanquablement la marque des divers rédacteurs qui se sont succédé à la tête de la revue. Ce qui paraissait évident à une époque, s'est trouvé relativisé à un autre moment. L'enthousiasme des uns ne fut pas nécessairement celui des autres. Et si certaines circonstances justifièrent les coups de trompette triomphants d'un « manifeste », une plus grande modération s'imposa quelques années plus tard. Cependant, au-delà des différences de sensibilité, un même esprit de service a animé les éditeurs de choisir. Puisant sa justification dans la Parole évangélique, il est fait d'ouverture, de liberté, de tolérance, avec une estime de principe pour tout ce qui vit et va de l'avant dans un monde qui progresse laborieusement vers son achèvement. Par principe, choisir ne se situe pas sur le terrain dogmatique et n'a jamais proposé un enseignement systématique. D'aucuns l'ont regretté. En des temps troublés où les catholiques avaient besoin d'orientation, ils auraient souhaité que la revue des jésuites soit plus exclusivement le porte-parole de l'enseignement officiel catholique. Telle n'est pas sa vocation.

Fidèle à son titre et à la pédagogie ignatienne, choisir veut, aujourd'hui encore, être un instrument de discernement. Elle propose des informations, des réflexions, des analyses et des témoignages susceptibles d'éclairer une situation, en vue de faire des choix. La revue ne s'adresse pas uniquement à des chrétiens convaincus, désireux d'entendre leur hiérarchie, mais à des hommes et des femmes confrontés à une réalité complexe, qui cherchent leur chemin et souhaitent voir un peu plus clair pour prendre des décisions constructives et porteuses d'espoir. Sans donner des mots d'ordre, choisir renvoie ses lecteurs à leur liberté et à leur propre responsabilité. Nos contemporains n'attendent plus des directives de la part de leurs responsables. En politique, dans le domaine social ou religieux, l'argument d'autorité a vécu ! Chacun veut décider par lui-même, sans autre instance que celle de sa propre conscience. Or les décisions, de plus en plus compliquées, exigent toujours plus d'informations, de réflexions et d'échanges. Parce qu'elle propose encore ce service, en toute indépendance, notre revue tient les promesses de sa jeunesse. Tant que la liberté, l'ouverture, le respect des consciences, la tolérance et l'optimisme inspireront ses propos, choisir restera une revue utile et d'actualité.

Cinquante ans, l'âge de la maturité, celui où, riche d'une expérience et d'un bout de chemin, on affronte l'avenir avec plus de confiance et de liberté.

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