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vendredi, 02 décembre 2016 11:07

Marche de l’extrême droite française

Manif tous Paris 13janv2013Manif pour tous, à Paris en 2013 © Marie-Lan Nguyen/Wikimedia CommonsSuite à l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, au Brexit anglais et aux résultats symboliques anti-migrants du référendum hongrois (finalement invalidé à cause du trop faible taux de participation), l’Europe se réveille dans un cauchemar politique et tremble au retour de ses vieux démons. Au lendemain de la désignation de François Fillon comme candidat de la droite et du centre à la présidentielle française de 2017 -  une bien mauvaise nouvelle pour le Front national de l'avis des analystes politiques - la journaliste Giulia Bertoluzzi dresse le portrait de la constellation de l'extrême-droite française.

Avec leur lot de solutions faciles et leurs méthodes musclées de “remigration”, les groupes populistes fascinent les urnes en jouant les cordes de l’anti-migration, du combat contre les élites et du repli identitaire.


En Europe, le 4 décembre sera le théâtre de deux rendez-vous clés: les présidentielles autrichiennes et le référendum constitutionnel italien, considéré comme le prochain casse-tête européen. Quant à la nouvelle année, 2017 s’ouvrira avec les législatives hollandaises (où le parti xénophobe PVV de Geert Wilders est en tête des sondages) et les présidentielles en France, où le parti du Front National (FN) gagne des voix à chaque convocation des citoyens aux urnes.

Galaxie d’extrême droite française
«En France, une force écrase toute l’extrême droite: le Front National», affirme Dominique Albertini, journaliste de Libération, spécialiste de la droite française. Depuis 1972, le FN occupe ainsi l’entier de la scène politique d’extrême droite, englobant une galaxie de mouvements et groupuscules, adeptes d‘une action directe, qui se traduit rarement en course électorale.

Les identitaires
Tous les mouvements qui gravitent autour du FN jouent un rôle bien précis. Par exemple, l’ancien Bloc Identitaire a changé son nom en Les Identitaires cet été pour signifier qu’il n’est plus un parti politique désormais, mais un mouvement qui soutient le FN. Depuis sa création en 2003, le mouvement a beaucoup misé sur la communication autour de ses actions. De même pour sa branche juvénile Génération Identitaire. «Les Identitaires sont devenus célèbres avec l’occupation d’une mosquée», explique Albertini, «et plus récemment par le blocage d’un pont à Calais» pour empêcher les gens de la Jungle d’aller en ville, ou bien encore par la distribution de soupes au porc aux sans-abri français afin d’exclure ceux d’entre eux qui sont de confession musulmane.

Les Identitaires mènent ce type d’actions afin de donner une image de groupes de jeunes, nombreux, motivés et intimidants. «Les militants ont un bon niveau politique», estime Albertini. Ce sont eux qui ont inspiré la création de branches identitaires dans plusieurs autres pays d’Europe, comme l’Autriche, l’Allemagne, la Belgique ou bien encore l’Italie. Ils se forment entre militants dans des "Universités d’été", lors de cours organisés suivant des principes d’ordre et de hiérarchie strictes.

«Notre "Université d’été" est une formation qui se mérite: seuls les militants approuvés par les leaders locaux peuvent y aller», explique le Suisse Jean-David Cattin, leader des Identitaires français. «Pendant la formation, ils apprennent à faire des tracts, à mettre au point une action, à organiser un collage d’affiche, à répondre aux questions des journalistes...» Les Identitaires ont établis leurs quartiers dans le local “Lou Bastioun” à Nice, afin d’élever leurs militants à des postes de «cadres politiques en puissance», selon Albertini. «Les plus doués finissent au FN, pour y trouver les débouchés électoraux qu’ils n’ont pas au sein du mouvement.»

«Au début, Marine Le Pen ne voulait pas intégrer Les Identitaires au FN», précise Jean-Yves Camus, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialiste des nationalismes et extrémismes en Europe. «Elle craignait que le passé activiste de certains puisse remonter à la surface. Au final, au moment des élections régionales, notamment à Nice, elle a accepté.» Cette coopération a été bénéfique pour les deux formations, «pour le FN, qui a gagné des cadres de moins de 40 ans, et déjà expérimentés, dans ses rangs; et pour le Bloc Identitaire, qui est ainsi sorti de l’impasse politique.»

Ce n’est pas un hasard si cette manœuvre politique a été possible en région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, où la nièce de Marine Le Pen, Marion Maréchal-Le Pen tient la tête de liste. Cette dernière est «plus sensible que Marine à la thématique de l'anti-multiculturalisme», clarifie Camus, «elle est plus dure dans son opposition à l’islam, elle est plus catholique». Surtout, «les candidats FN ont habilement exploité tout ce que le Bloc Identitaire a fait à Nice depuis 10 ans» en intégrant des dirigeants Identitaires au FN.

Au fil des années, Les Identitaires ont nettoyé leur discours: «désormais, ils ne parlent plus de la supériorité de la race blanche, ou de la supériorité de la civilisation européenne», explique le professeur Camus, «ils le disent différemment, et ce discours-ci fonctionne très bien auprès des électeurs: “Il y a différentes cultures, différentes civilisations, mais les différences sont tellement grandes que chacun doit vivre sur son propre territoire sans se mélanger aux autres”.» D’autre part, ils font une relecture du passé français: «Historiquement, la France a une culture marquée par le catholicisme, et l’islam n’est tout simplement pas compatible avec les fondamentaux du pays.»

Le rapprochement entre le FN et Les Identitaires a donc mené ces derniers à bouleverser leurs visions européistes (primauté de la double identité locale et européenne) et païennes (issues des mouvances du néo-paganisme “nous sommes des Gaulois”) pour adopter une vision nationaliste française, axée sur la tradition catholique.

Extrême droite réactionnaire
Profitant d’un racisme de plus en plus banalisé dans la société, et de la mise à l’agenda gouvernemental de certaines questions sociales qui réveillent les prises de position conservatrices, l’extrême droite gagne du terrain. «En France, l’extrême droite est réactionnaire, non révolutionnaire, et elle reprend l’idéologie anti-Lumières du XIXe siècle: royaliste, catholique intégriste, antisémite, contre la prise de pouvoir des humanistes», explique Hervé*, membre actif à La Horde, un site antifasciste lancé il y a vingt ans par un collectif qui se donne pour mission de surveiller l’extrême droite en France.

Avec l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du FN, en 2011, les catholiques traditionalistes se sont sentis mis à l’écart du parti: «Aussi longtemps que son père, Jean-Marie Le Pen, était au Front National, il y avait une place au FN pour les catholiques, pour les défenseurs de la vie et de la famille. Aujourd’hui, on a l’impression que le FN de Marine a totalement changé d’avis. Un personnage comme Florian Philippot -qui a rendu publique son homosexualité- prend de plus en plus d’importance au sein de la direction du FN. En réalité, vous avez un très grand nombre d’élus du FN qui sont ouvertement homosexuels.» Marine Le Pen elle-même est loin de faire l’unanimité au sein de l’extrême droite, où elle est vue par certains comme «une femme divorcée, indépendante, affranchie de son père», égrène Hervé. Pour eux, «Marine représente l’anti-France... Et le mépris va dans les deux sens!»

Ainsi, Civitas, une association catholique intégriste d'extrême droite, avait depuis quelques années pour projet de s’éloigner du parti mené par la fille Le Pen qu’elle juge trop progressiste. Cependant, «quand il s’agit de l’action pratique, l’extrême droite a du mal à recruter», continue Hervé. Après avoir pendant longtemps attendu "leur heure de gloire", certains d’entre eux ont pensé que «les Manifs Pour Tous pourraient être le bon endroit pour mobiliser de nouvelles personnes», souligne ce membre actif de La Horde. Les Manifs Pour Tous font référence aux manifestations de 2012-2013 organisées contre la loi Taubira, qui a ouvert le mariage aux personnes de même sexe.

«Manif pour Tous n’est pas un phénomène lié uniquement à l’extrême droite», précise le journaliste Dominique Albertini, «c’est un mouvement plus large qui regroupe aussi la droite traditionnelle et conservatrice» et qui atteint toute personne «attachée à la loi naturelle, aux valeurs de l’autorité, de hiérarchie, du conservatisme social». Les franges intégristes -comme Civitas et Action Française- y ont donc vu une formidable opportunité pour recruter de nouveaux membres. De fait, tout le travail de Civitas pour se reconstituer et renforcer ses rangs a été accéléré par les Manifs Pour Tous. Constatant que «les catholiques sont des orphelins politiques», le président de Civitas Alain Escada a décidé d’en faire un parti politique le 15 septembre dernier.

Le nouveau parti Civitas, comme avant lui l’association, est contre-révolutionnaire (à savoir contre la Révolution française de 1789), ne reconnaît pas le concile Vatican II et suit les préceptes de Monseigneur Lefebvre et de la Fraternité Saint Pie X, excommunié en 1988. Alain Escada se définit d’ailleurs lui-même comme «fièrement patriote, intégralement catholique, radicalement antisystème». Il renchérit: «Quand le pape parle de société nous avons l’impression d’entendre le discours du nouvel ordre mondial de George Soros», le milliardaire philanthrope qui a fondé Open Society, une fondation qui défend l'idée d’une société ouverte et multiculturelle.

La création du parti coïncide quasiment avec la reprise des Manifs Pour Tous, le 16 octobre dernier, avec l’ouverture des débats parlementaires sur la loi concernant la GPA et la PMA (gestation pour autrui et procréation médicalement assistée). Manifestations auxquelles les membres de Civitas ont participé, aux côtés de Marion Maréchal-Le Pen et en l’absence de sa tante, Marine, qui n’a pas souhaité prendre position.

À la faveur des Manifs Pour Tous, l’historique Action Française (AF) a également fait peau neuve, et est devenus le plus actif des mouvements d’extrême droite depuis 2015. Fondé dans les années 1890, ce mouvement tristement célèbre pour ses positions antisémites a connu une décennie de déclin à la fin des années 1990. Aujourd’hui, Antoine Berth, le jeune porte-parole du mouvement, incarne l’image que l’AF veut donner d’elle-même: à la fois traditionaliste et jeune, rebelle, contre le système et les élites. Berth a organisé des sit-in avec le Printemps Français, la branche juvénile de la Manif Pour Tous: «Nous avons posé des tentes dans la rue», s’enthousiasme Berth, «comme à la Place Tahrir! Nous voulions rester jusqu’à que la loi Taubira soit retirée: la Manif Pour Tous, ça a été notre Mai 68.» L’AF s’est construite sur des idées antirépublicaines, en s’appuyant principalement sur la pensée de Charles Maurras, un philosophe antisémite, monarchiste, traditionaliste et admirateur de Mussolini. Leur anti-républicanisme les empêche de s’allier au parti frontiste, mais les militants de l’AF demeurent très proches de Jean-Marie Le Pen, et apportent un soutien électoral au parti. Dans certaines municipalités, comme à Marseille par exemple (en région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, au sud-est de la France), FN et AF ont travaillé main dans la main pour les élections régionales de 2015.

Le monde Soral - Dieudonné
Certains mouvements d’extrême droite tirent également parti de leur bon maniement des théories du complot et conspirationnistes. En France, deux personnalités ont su se démarquer avec cette méthode, grâce à leurs liens affichés avec Marine Le Pen: Alain Soral, fondateur et président d’Égalité et Réconciliation (d’où le chef de la campagne électorale 2017 de Marine Le Pen, David Rachline, est issu) et Dieudonné, humoriste et militant politique condamné pour avoir tenu des propos antisémites notamment. Au début des années 2000, Soral s’est construit un nom en tant que «“dandy de la télé”, porteur d’un discours machiste du type “les femmes ont un cerveau plus petit”», selon Mathieu Molard, journaliste à StreetPress et auteur du livre Le Système Soral, où il dévoile le “facho-business”, le fonds de commerce d’Égalité et Réconciliation basé sur la haine. À cette même époque, «le FN pensait qu’avec les votes des quartiers populaires et des musulmans, il pourrait gagner les élections», raconte Mathieu Molard. Soral séduit le parti, commente encore le journaliste: «il fait croire à Marine Le Pen (alors qu’elle n’est pas encore présidente de parti, n.d.l.r.) qu’il connait bien ces milieux populaires et musulmans (ce qui n’est pas vrai). Le FN espère, qu’en rejoignant ses rangs, Soral lui fera bénéficier de sa notoriété présumée auprès de ces électeurs qu’il convoite. Quant à Dieudonné, il représente pour le Front «un noir drôle et de gauche», raconte Mathieu Molard. «Marine Le Pen le voulait dans son camp pensant que si Dieudonné lui serrait la main, tout le discours de diabolisation du FN s’effondrerait.»

Au final, ni Soral, ni Dieudonné n’ont donné l’accès des quartiers populaires au FN: aujourd’hui, «ces quartiers sont abandonnés», constate Hervé de La Horde. «Même les manifestations contre la violence policière n’arrivent pas à rassembler beaucoup de monde. Les quartiers, qui étaient à gauche dans les années 90, sont devenus très méfiants vis-à-vis de la politique aujourd’hui.» Suite à ce double échec, le Front a abandonné Égalité et Réconciliation et Dieudonné, qui ont rebondi à travers la marchandisation des complots.

GUD connection
Le GUD (Groupe Union Défense), créé en 1968, était un groupe étudiant violent et antisémite, «mais pas nationaliste», explique Hervé de La Horde. «À part Lyon, où ils ont leur petit magasin de vêtements et leur tatoueur, le GUD n’est plus très actif. Mais ses membres sont rentrés dans le cercle rapproché de Marine Le Pen.» Ils ont d’ailleurs été impliqués avec le FN dans un scandale dévoilé par Médiapart et qui avait comme protagoniste l’ancien chef du GUD, Frédéric Chatillon, et sa société de communication Riwal, qui avait obtenu la sous-traitance de l’ensemble de la communication de campagne de Marine Le Pen par voie préférentielle en 2012. Axel Loustau, ancien GUDard et trésorier du micro-parti de Marine Le Pen Jeanne, est quant à lui soupçonné d’avoir payé la caution du président du GUD parisien, Logan Djani, et de ses deux complices, mis en examen pour «violences aggravées» (tabassage et viol présumé) contre un ancien responsable du GUD.

Cette galaxie de mouvements sans espace électoral propre a toujours fait partie de l’électorat du FN de Jean-Marie Le Pen. Avec l’arrivée de Marine Le Pen en 2011, le jeu a changé. «Avec Jean-Marie, le FN était une auberge espagnole», dit Hervé, «maintenant, pour les plus radicaux, Marine l’a transformé en club privé homosexuel -une référence au conseiller de Marine, Florian Philippot-, où ceux qui lui sont proches sont envoyés en région.» Marine souhaite également imprimer une nouvelle stratégie politique au parti avec, pour fers de lance: la sortie de l’Union européenne, la fermeture des frontières, la fin de l’immigration massive - elle prône la remigration et la déchéance de nationalité. «Cette stratégie risque de contrarier les vieux militants, mais son calcul est qu’ils voteront FN de toutes manières, parce qu’ils n’ont pas d’autres choix», indique Hervé.

Quitte ou doubl(é)e
En ce moment, le FN est lancé dans la campagne présidentielle. Si la stratégie "Bleu Marine" perd, la ligne dure de Marion Maréchal-Le Pen marchera sur ses échecs. Si au contraire, elle gagne, Hervé affirme: «Tout ce petit monde d’extrême droite va se libérer: ses militants vont se sentir libres de faire ce qu’ils veulent, et ils auront le temps de s’organiser, de faire pression pour que Marine Le Pen tienne ses engagements. Si elle gagne, la porte leur sera grande ouverte.»

Giulia Bertoluzzi, journaliste
«Nawart Press»

*Nom connu de la rédaction. Pour sa sécurité et celle de ses connaissances, Hervé préfère ne pas rendre son nom de famille public ayant déjà été pris pour cilbe une première fois.

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