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dimanche, 13 septembre 2020 10:20

Laudato si’ face à l’initiative pour des multinationales responsables

Usine de traitement des déchets ménagers, France © GODONG, Fred de NoyelleLors des votations fédérales du 29 novembre 2020, le peuple suisse se prononcera sur la proposition d’un article constitutionnel exigeant que les multinationales basées en Suisse soient tenues responsables quand les entreprises qu’elles contrôlent à l’étranger violent les droits humains ou dégradent l’environnement (pour une présentation plus précise de l’initiative: www.initiative-multinationales.ch). Agent pastoral de l’Église catholique dans le canton de Vaud, engagé dans la pastorale œcuménique dans le monde du travail et en charge de la promotion de l’enseignement social de l’Église, Jean-Claude Huot relit l'initiative au regard de l'encyclique du pape François Laudato si'.

En publiant son encyclique en 2015, le Pape François n’avait évidemment pas cette initiative en tête. Sa préoccupation était le cri de sœur la Terre «en raison des dégâts que nous lui causons par l’utilisation irresponsable et par l’abus des biens que Dieu a déposés en elle» (LS 1). Il n’en reste pas moins que sa contribution à l’enseignement social de l’Église contient des points de repère utiles au moment de voter pour ou contre cette initiative. J’en relève ici quelques-uns que je mets en évidence par des sous-titres.

Regard critique sur certaines activités polluantes

«Les exportations de diverses matières premières pour satisfaire les marchés du Nord industrialisés ont causé des dommages locaux, comme la pollution par le mercure dans l’exploitation de l’or ou par le dioxyde de souffre dans l’exploitation du cuivre. […] À cela, s’ajoutent les dégâts causés par l’exportation vers les pays en développement des déchets solides ainsi que de liquides toxiques, et par l’activité polluante d’entreprises qui s’autorisent dans les pays moins développés ce qu’elles ne peuvent dans les pays qui leur apportent le capital.» (LS 51)

Distorsion d’une économie qui n’assume pas les coûts externes

«Le principe de la maximalisation du gain, qui tend à s’isoler de toute autre considération, est une distorsion conceptuelle de l’économie: si la production augmente, il importe peu que cela se fasse au prix des ressources futures ou de la santé de l’environnement; si l’exploitation d’une forêt fait augmenter la production, personne ne mesure dans ce calcul la perte qu’implique la désertification du territoire, le dommage causé à la biodiversité ou l’augmentation de la pollution. Cela veut dire que les entreprises obtiennent des profits en calculant et en payant une part infime des coûts.» (LS 195)

Faiblesse de la réponse internationale

«La soumission de la politique à la technologie et aux finances se révèle dans l’échec des Sommets mondiaux sur l’environnement. Il y a trop d’intérêts particuliers, et très facilement l’intérêt économique arrive à prévaloir sur le bien commun et à manipuler l’information pour ne pas voir affectés ses projets. En ce sens, le Document d’Aparecida (de la Conférence générale de l’épiscopat latino-américain et des Caraïbes de 2007) réclame que «dans les interventions sur les ressources naturelles ne prédominent pas les intérêts des groupes économiques qui ravagent déraisonnablement les sources de la vie.» (LS 54)

Nécessité de normes contraignantes

initiative multinationales responsables, oui ! © Initiative-multinationales.ch«Il devient indispensable de créer un système normatif qui implique des limites infranchissables et assure la protection des écosystèmes, avant que les nouvelles formes de pouvoir dérivées du paradigme techno-économique ne finissent par raser non seulement la politique mais aussi la liberté et la justice.» (LS 53)

Le rôle du politique

«Qu’en est-il de la politique? Rappelons le principe de subsidiarité qui donne la liberté au développement des capacités présentes à tous les niveaux, mais qui exige en même temps plus de responsabilité pour le bien commun de la part de celui qui détient plus de pouvoir. Il est vrai qu’aujourd’hui certains secteurs économiques exercent davantage de pouvoir que les États eux-mêmes. Mais on ne peut pas justifier une économie sans politique, qui serait incapable de promouvoir une autre logique qui régisse les divers aspects de la crise actuelle.» (LS 196)

Fragilité de l’État

«Si l’État ne joue pas son rôle dans une région, certains groupes économiques peuvent apparaître comme des bienfaiteurs et s’approprier le pouvoir réel, se sentant autorisés à ne pas respecter certaines normes, jusqu’à donner lieu à diverses formes de criminalité organisée, de traite de personnes, de narcotrafic et de violence, très difficiles à éradiquer.» (LS 197)

Rôle régulateur de l’État

«Face à la possibilité d’une utilisation irresponsable des capacités humaines, planifier, coordonner, veiller, et sanctionner sont des fonctions impératives de chaque État. Comment la société prépare-t-elle et protège-t-elle son avenir dans un contexte de constantes innovations technologiques? Le droit, qui établit les règles des comportements acceptables à la lumière du bien commun, est un facteur qui fonctionne comme un modérateur important. Les limites qu’une société saine, mature et souveraine doit imposer sont liées à la prévision, à la précaution, aux régulations adéquates, à la vigilance dans l’application des normes, à la lutte contre la corruption, aux actions de contrôle opérationnel sur les effets émergents non désirés des processus productifs, et à l’intervention opportune face aux risques incertains ou potentiels.» (LS 177)

Devoir de discernement

«Dans toute discussion autour d’une initiative, une série de questions devrait se poser en vue de discerner si elle offrira ou non un véritable développement intégral: Pour quoi? Par quoi? Où? Quand? De quelle manière? Pour qui? Quels sont les risques? À quel coût? Qui paiera les coûts et comment le fera-t-il? Dans ce discernement, certaines questions doivent avoir la priorité. Par exemple, nous savons que l’eau est une ressource limitée et indispensable, et y avoir accès est un droit fondamental qui conditionne l’exercice des autres droits humains. Ceci est indubitable et conditionne toute analyse de l’impact environnemental d’une région.» (LS 185)

Amour social

«L’amour de la société et l’engagement pour le bien commun sont une forme excellente de charité qui, non seulement concerne les relations entre les individus mais aussi les "macro-relations: rapports sociaux, économiques, politiques" (Benoît XVI, lettre encyclique Caritas in Veritate 2). C’est pourquoi, l’Église a proposé au monde l’idéal d’une «civilisation de l’amour» (Paul VI, Message pour la journée mondiale de la paix 1977). […] Dans ce cadre, joint à l’importance des petits gestes quotidiens, l’amour social nous pousse à penser aux grandes stratégies à même d’arrêter efficacement la dégradation de l’environnement et d’encourager une culture de protection qui imprègne toute la société. Celui qui reconnaît l’appel de Dieu à agir de concert avec les autres dans ces dynamiques sociales doit se rappeler que cela fait partie de sa spiritualité, que c’est un exercice de la charité, et que, de cette façon, il mûrit et il se sanctifie.» (LS 231)

Que ces quelques lignes tirées de l’encyclique Laudato si' puissent vous éclairer.

D’autres passages auraient aussi pu être retenus. N’hésitez donc pas à découvrir l’ensemble de ce magnifique texte, d’un accès agréable. Il est notamment édité aux Éditions St-Augustin.


À lire aussi sur notre site à propos de cette initiative: Des entreprises responsables

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