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lundi, 09 mars 2020 12:15

Meilleure alliée ou pire adversaire

Illustration basée sur Joseph E. Le Doux, Memory, and the Brain (1994)Un bruit soudain de source incertaine. Une scène terrifiante d’un film d’horreur. Un animal menaçant qui court dans notre direction. On sursaute, le souffle court, notre cœur s’accélère et notre ventre se noue. Nous pouvons rester paralysés, fuir ou attaquer. Mais pas toujours à bon escient. Que se passe-t-il sur le plan neurologique?

Lia Antico, Genève, doctorante en neurosciences, Université de Genève

La peur est une émotion universelle, associée à des comportements communs aux différents animaux, y compris à l’être humain. Elle est caractérisée par une cascade d’évènements biologiques initiés dans le cerveau et impliquant plusieurs structures. Différentes zones cérébrales dialoguent, échangent, alertent, confirment et mobilisent au sein d’un circuit complexe.

Dès qu’un signal visuel, auditif ou olfactif est détecté par un organe sensoriel, l’information arrive directement aux deux amygdales, considérées comme le centre de la peur. Les amygdales sont appelées ainsi pour leur ressemblance avec une amande et elles sont situées dans le lobe temporal. Elles se comportent comme des vigiles qui scrutent la circulation, détectent d’éventuels dangers et sonnent l’alarme.

En effet, quand elles reçoivent les informations sensorielles de la part du thalamus, les amygdales commencent par les comparer à celles qu’elles ont déjà en mémoire. Si ces informations sont retenues comme « dangereuses », elles déclenchent automatiquement, et inconsciemment, l’alerte via certaines connexions vers d’autres régions du cerveau.

Ainsi, par exemple, les amygdales influencent le système de l’éveil et de l’attention à travers la dilatation des pupilles pour la réception d’une plus grande information; ou celui du stress avec la production d’adrénaline et la sécrétion de cortisol pour préparer le corps à réagir. Elles mettent en action l’hypothalamus, qui fait accélérer la respiration et le battement cardiaque, et informent le système moteur pour induire la fuite. Les amygdales mobilisent aussi une large zone de notre cerveau antérieur, le cortex préfrontal, qui vérifie la véridicité des messages qu’elles ont envoyés avec ceux qui sont traités plus en profondeur par les cortex sensoriels et la mémoire de l’hippocampe.

Nécessaire à notre survie

Ainsi, d’un côté, le cortex préfrontal détermine s’il s’agit d’un vrai danger ou d’une fausse alarme. De l’autre, l’hippocampe réévalue le cas grâce à la mémoire d’autres situations vécues dans le passé associées au danger; il peut donc, si nécessaire, apaiser la réactivité des amygdales. Prenons un exemple classique: lors d’une promenade en forêt, nous apercevons par terre une forme qui ressemble à un serpent, mais qui est en réalité un bout de bois; dans un premier temps, les amygdales déclenchent une alerte, que le cortex préfrontal vérifie ensuite, pour réaliser qu’il ne s’agit pas d’une menace réelle. La sélection naturelle a très bien favorisé ce double mécanisme qui assure soit une réactivité extrême face au danger soit la possibilité de revenir à la normale en cas d’erreur d’évaluation.

Une fois l’alerte lancée, une cascade d’évènements physiologiques liés à la peur se manifestent dans le corps. On les retrouve d’ailleurs dans le langage: avoir la chair de poule, trembler comme une feuille, être blanc de peur… En effet, les amygdales contactent le tronc cérébral et transmettent des messagers moteurs qui nous permettent d’activer les muscles pour combattre le danger ou le fuir. Ces messages s’appellent adrénaline et cortisol, deux hormones produites par les glandes surrénales, situées au-dessus des reins. L’adrénaline augmente la prise d’oxygène par les bronches et accélère le rythme cardiaque, et le cortisol transforme en sucre la graisse stockée dans le corps pour satisfaire la plus grande demande de carburant des muscles. En même temps, la sudation augmente, le système digestif se met au ralenti, avec une baisse de production de salive et l’appétit qui se coupe, une vessie et un colon qui se vident. 

Parfois de trop

La peur, donc, nous permet de fuir un prédateur ou de l’affronter. Grâce aux amygdales, elle se souvient de tous les dangers rencontrés au quotidien et constitue un outil utile à notre survie. Et pourtant, elle peut parfois devenir invalidante, voire même notre ennemie, en conditionnant négativement notre vie lorsqu’elle déborde de son cadre en déclenchant anxiétés, phobies ou attaques de paniques, ce que nous appelons les troubles anxieux.

Les phobies, par exemple, sont de réactions de peur exagérées, liées à un objet, un animal ou une situation. Les plus communes sont les phobies des araignées, des serpents, des voyages en avion ou des prises de parole en public, tandis que parmi les plus rares et les plus bizarres, nous trouvons la coulrophobie et la carpophobie, respectivement la crainte des clowns et des fruits.

Face à la situation ou à l’objet appréhendé, la plupart des personnes souffrant de phobie vont mettre en place des stratégies d’évitement, qui vont malheureusement conditionner leur vie. Lors d’attaques de panique, les sujets expérimentent une profonde angoisse et des manifestations physiques violentes, comme l’accélération cardiaque, l’inconfort intestinal, une sudation excessive et des tremblements. Ils craignent de faire une crise cardiaque ou de s’évanouir soudainement, et veulent fuir et se réfugier chez eux. Malheureusement, ces personnes commencent à développer un conditionnement lié au lieu où la crise est apparue et cherchent de plus en plus à l’éviter.

Les thérapies

Ces troubles anxieux peuvent être très handicapants. Or, avec la dépression, ce sont les maladies psychiques les plus courantes. Selon l’Organisation mondiale de la santé, ils affectent chaque année 25% de la population mondiale et coûtent 170 milliards d’euros en Europe. Nous ne savons toujours pas pourtant si la peur est de l’ordre de l’inné ou de l’acquis chez les humains. Est-ce qu’il y aurait une raison génétique à son existence? Chez les animaux, il existe en effet une mémoire génétique des dangers. Ainsi les souris réagissent-elles très fortement à l’odeur du chat et du renard, même si elles ne les ont jamais rencontrés.

Ce que l’on sait, c’est qu’une phobie peut se développer suite à une expérience traumatique vécue à la première personne ou comme témoin, voire même par la simple évocation d’un danger dans des récits ou des expressions idiomatiques. Cela pourrait être le cas pour un enfant à qui les parents auraient répété de ne pas s’approcher des chiens même s’il n’a jamais été mordu.

Heureusement, des thérapies existent, qui permettent à de nombreux patients de retrouver une vie quasi normale. L’exposition graduelle à l’objet de la phobie est la stratégie proposée par la médecine pour s’en libérer, c’est-à-dire pour redonner au patient la capacité de réguler et de réévaluer l’information, et donc d’apprendre à maîtriser la situation. Les thérapies comportementales et cognitives travaillent donc sur le comportement extérieur et le discours intérieur. Les thérapies pharmacologiques, comme les benzodiazépines, agissent pour leur part sur le cerveau au niveau des synapses, c’est-à-dire des connexions neuronales, en provoquant «un ralentissement» de l’activité des neurones liés à l’anxiété; toutefois, ces médicaments provoquent accoutumance et dépendance.

D’autres outils peuvent se révéler utiles pour réduire le stress, comme les techniques de relaxation ou les programmes de méditation de pleine conscience qui favorisent le recentrement sur soi et une meilleure conscience de son propre corps et de ses manifestations, avec une attitude bienveillante et non jugeante. Des techniques utiles pour nous aider à apprivoiser nos peurs et ne pas les laisser nous apprivoiser. Pour en faire des alliées et non des adversaires.

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