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lundi, 21 janvier 2019 11:51

Poèmes à moi-même

poemes a moi meme sylvoisalFatigué depuis bien longtemps déjà des poncifs de la théorie, de la philosophie et de la politique, Sylvoisal croit bien plus à la coïncidence de la bête et du saint. Et à celle de la vie et de la poésie. La poésie, c’est la jeunesse et le chant, c’est la voix et le corps; c’est la voix qui fait corps avec les vers; c’est le cœur meurtri, déchiré, souffrant. Alors que la philosophie donne «la voie du Progrès et de l’Histoire». Dans sa très belle préface de Poèmes à moi-même, Sylvoisal oppose la poésie à la philosophie; l’un est un enchantement et l’autre un simple jouet pour l’adulte.Avant de proposer une série de poèmes classiques, thématiquement liés autour de l’amour et de la mort. Ce sont les pensées d’un homme veuf qui, comme Bernanos, éprouve le désir vif de «voir», de «se voir» et de «se voir mourir», c’est-à-dire le désir de mourir pleinement lucide; de voir le secret de l’au-delà, de le contempler avec les yeux vivants, d’avoir ainsi la vision de sa mort.

L’effacement, jusqu’au bout

Voir la mort à l’œuvre, voilà de quoi il est question dans Poèmes à moi-mêmes, livre-miroir où le poète parle à son visage, à son front déprimé. «Ô Mort, reprenez-moi, je n’ai plus de secrets/Le crime m’a banni, le malheur m’a sacré.» C’est là une thématique assez nouvelle chez Sylvoisal, qui semble entrer en contradiction avec sa thématique plus ancienne de parvenir à l’effacement de lui-même, à tuer les monstres. «Ne plus avoir de moi, ne plus dire: Je suis !» écrit-il. En vérité, cette contradiction n’est qu’apparente car à quoi aboutit l’effacement de soi en dernière instance sinon à la mort? Les vers suivants semblent confirmer cela:

«Je suis mort et je vis sans désir ni espoir,
Sans dessein ni souci, conduit par le hasard;
Mon cœur est un tombeau fait de marbre et de fer
Que la poussière emplit, que sillonnent les vers
Un abîme insondable, un gouffre toujours noir
Où la torche à la main je descends chaque soir»

On est très loin ici de l’effacement à la Jaccottet, effacement bien protestante qui ne laisse plus rien subsister du monde et de l’homme. Notre poète désire entrer dans le royaume de l’oubli, mais il veut y entrer avec lucidité. Le poème qui ouvre le recueil est un portrait en miroir. La figure d’Œdipe se mêle à celle du poète. Tous les deux font face à la vieillesse, qui est décrite par une série de périphrases: «Je suis un vieux mendiant, amnésique, imbécile», «un fantôme flottant», «un vieux coq», «un ivrogne», «un vagabond».

La femme, figure de salut

Avant qu’apparaisse la femme comme figure du salut: «Une femme ! Une femme aux longs cheveux défaits/Pour s’allonger sur moi et me ressusciter.» Il enchaîne ensuite sur l’évocation de la femme disparue: «Je marche dans la nuit auprès d’une ombre chère/Qui marchait à mon bras de son pas incertain.» À cette douleur de l’amour manquant répond en écho le souvenir d’un amour total, physique, sensuel et sentimental dans le poème intitulé À une morte amoureuse. Les lettres d’amour de celle qui est morte et qu’il «s’enivre à relire» expriment un bien-être, une plénitude passés. Grâce à ses lettres «j’ai sorti de l’oubli les années fabuleuses/Où l’Amour nous tenait dans ses mains merveilleuses».

Le plaisir et la mort

Entre La vieillesse d’Œdipe et À une morte amoureuse est placé Les enfants prodigues. Ce poème donne l’état de l’humanité depuis les Jardins du Paradis, d’où elle s’est faite chassée, jusqu’à nos jours. L’homme tel qu’il est aime l’épouvante, le mal, l’enfer et les «idoles de la chair». Une fois de plus, Sylvoisal explore les péchés de l’homme, celui de la chair surtout. «La femme nous fait oublier notre sort», écrit-t-il, pour nous dire que «ce n’est pas aimer que d’aimer sans la chair» (mais pour nous dire aussi en même temps que ce n’est pas aimer que d’aimer que par la chair). «Le Plaisir et la Mort sont deux monstres charmants» qui ne s’opposent pas mais au contraire se complètent… et unissent leurs forces pour dévorer l’homme.
Quant à l’homme d’aujourd’hui, nous dit Sylvoisal, il a commis deux péchés graves, «le premier en doutant que nous fussions sauvés/Le second en croyant que nous fussions damnés». Ce vers à lui seul dit la confusion et le désespoir sans remède de l’homme sans Dieu, qui est celui de l’homme d’aujourd’hui, mais aussi et surtout le cynisme mortel de l’inversion du bien et du mal. L’homme ancien cherchait le bien et la vérité, l’homme nouveau cherche le mal et le mensonge.
Avec cette question qui revient inlassablement sous la plume du poète: «Qui nous ramènera dans les Jardins du bien? Qui nous affranchira du pouvoir de Satan?»

Sylvoisal
Poèmes à moi-même
Le Cadratin 2017, 44 p.

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