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mercredi, 28 août 2019 10:14

Chine-Vatican, un exigeant pas de danse

Stephan Rothlin sj, Macau Ricci InstituteCe 26 août, Mgr Antoine Yao Shun a été ordonné évêque de Jining, au nord de la Chine, avec l’accord tant des autorités chinoises que du pape. Il s'agit de la première ordination d’un évêque en Chine depuis l’accord historique signé le 22 septembre 2018 entre le Saint-Siège et la République populaire de Chine. Le jésuite suisse Stephan Rothlin, directeur du Macau Ricci Institute, est un spécialiste de la Chine où il est établi et enseigne depuis 1998. Il revient sur cet accord signé il y a un an, après des décennies de négociations, qui a fait couler beaucoup d’encre.

L’ironie veut que le texte de cet accord ne soit toujours pas connu du public. Il est cependant certain que l’essentiel de son contenu porte sur la question épineuse de la nomination des évêques en Chine. Avec d’un côté la vision «catholique» de Rome, tenant à assurer son indépendance par rapport aux pouvoirs politiques quant au choix de ses bergers, et de l’autre le soupçon fondamental que nourrit Pékin à l’égard de tout pouvoir étranger, en l’occurrence le Vatican, qui se mêlerait des affaires internes du Royaume du Milieu.

Une longue tradition

L’élan de François, pape jésuite, s’inscrit dans la longue ligne des missionnaires envoyés en Chine depuis Matteo Ricci sj (1552-1610) et Johann Adam Schall von Bell sj (1592-1666), pour partager les trésors de la foi dans le Christ, mais aussi transmettre leurs connaissances scientifiques et techniques: biologie, médecine, mathématiques, cartographie, astronomie, sans oublier l’art de l’horlogerie du Zougois Franz Stadlin sj, qui géra durant 33 ans (1707-1740) les horloges de la Cité interdite à Pékin. C’est ainsi qu’en dépit des difficultés et d’expériences de rejet, un profond lien d’amitié a uni ces missionnaires aux Chinois, ce qui leur a permis d’obtenir de l’Empereur de Chine la permission de poursuivre leur mission.

L’accord de 2018 s’inscrit aussi dans une démarche déjà entreprise par les prédécesseurs du pape François, notamment Jean Paul II et Benoît XVI. Ce dernier avait écrit en 2007 une lettre aux Chinois catholiques, dans laquelle il exprimait son profond respect à l’égard de la culture chinoise, mais où il affirmait aussi qu’il ne peut y avoir qu’une seule Église. Benoît XVI rappelait ainsi quelques principes-clefs découlant de cette unité en Jésus-Christ.

Suite à ces efforts de rapprochements, Rome et Pékin s’étaient en outre déjà mis d’accord au fil des dernières années sur la nomination de quelques évêques. Ainsi de l’évêque de l’archidiocèse de Pékin, Mgr Joseph Li Shan, approuvé par les deux parties.

Travail de mémoire et espérance

Le processus complexe de l’accord de 2018 ne peut donc être abordé sans un exigeant travail de mémoire de ce long chemin d’amitié et de croix, qui inclut la rupture entre le Vatican et la communauté ecclésiale chinoise, aboutissant à l’existence parallèle d’une Église dite souterraine et d’une Église dite patriotique. L’accord ne garantit pas contre tous les risques, mais trace les lignes d’un futur où les deux parties, le Vatican et la Chine, pourront travailler ensemble.

Il est vrai qu’il implique un contrôle étatique quasi total sur toutes les communautés clandestines, non seulement pour ce qui touche les matières religieuses, mais aussi l’éducation ou les engagements sociaux. Il est donc bien compréhensible qu’un tel saut vers l’inconnu soit largement perçu comme hautement risqué et provoque des inquiétudes, en particulier parmi les communautés souterraines qui se demandent comment faire confiance à un régime qui leur était auparavant tellement hostile qu’il harcela durant des décennies ses membres et emprisonna ses prêtres, évêques et fidèles.

L’objectif pastoral

Pour comprendre ces actuels efforts de rapprochement, il faut se situer dans une vue pastorale et spirituelle. Pour le Vatican, l’accord vise à jeter une lumière pascale sur les moments particulièrement sombres vécus par les communautés catholiques chinoises, clandestines et officielles, baignant dans une méfiance mutuelle. En ce sens, cet accord est une ancre d’espérance jetée vers l’avenir.

L’objectif de cette démarche exigeante est de surmonter le scandale des communautés divisées, pour construire l’unité de tous ceux qui appartiennent au Christ. Voilà l’argument qui a été maintes fois énoncé par le cardinal Parolin et qui tient tant à cœur au pape François, fils spirituel de saint Ignace, ajusté à la lignée des premiers missionnaires en Chine. Saint François Xavier sj, Matteo Ricci sj, Adam Schall von Bell sj, Ferdinand Verbiest sj partageaient une passion profonde pour la Chine et étaient persuadés que ce pays offrait des clefs uniques aux autres cultures de l’Asie.

On ne peut pas douter de l’intention sincère à la source de cet accord: tout faire pour obtenir le bien de l’Église et des catholiques en Chine, mais aussi celui de l’ensemble de la population chinoise (1,34 milliards de personnes).

Enfin, dans une vue relevant plutôt du droit canon, on pourrait reconnaître ici la solution déjà appliquée dans le diocèse de Bâle: le gouvernement local a un droit de regard sur la liste des candidats à l’évêché et peut refuser une candidature. Au vu de cette expérience helvétique, nous pouvons nous rassurer: ce chemin n’aboutit pas à l’abîme.

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