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Pour lutter contre le fléau de la drogue,
la Suisse s'est dotée au début des an -
nées 1990 d'une politique basée sur
quatre piliers : la « prévention », la
« thé rapie », la « réduction des risques »,
la « répression et la régulation du mar-
ché ». En vingt ans, la problématique
a évolué. Et bien que la révision de la loi
sur les stupéfiants n'ait été votée qu'en
2008 par le peuple, Olivier Guéniat pro-
pose de nouvelles dispositions pour
donner à la police des outils efficaces
de lutte contre les dealers et la délin-
quance.
Céline Fossati : Olivier Guéniat, vous
avez longtemps défendu la politique
des quatre piliers. Vous dites aujour -
d'hui qu'elle est un échec. Plus précisé-
ment que le volet « répression et régu-
lation du marché » est inefficace.
Qu'est-ce qui vous permet de poser ce
regard critique ?
Olivier Guéniat : « L'absence de résul-
tats. On ne peut pas se gargariser
d'avoir saisi 68 kilos de cocaïne quand
il s'en consomme chaque année en
Suisse 5 tonnes au minimum ! Malgré
les 900 policiers spécialisés dans la
lutte contre le trafic de drogue, la ré -
pression tourne en rond, le nombre de
toxicomanes n'a pas diminué et leur
situation s'est fortement dégradée. »
A quoi cela tient-il ?
« A la fin des années 1990, lorsque la
politique des quatre piliers a été mise
sur pied, on cherchait à sortir les héroï-
nomanes du statut de délinquant par
une prise en charge socio-thérapeu-
tique, notamment par une substitution
de l'héroïne par de la méthadone. Il y
avait alors très peu de cocaïne en
Suisse, une drogue principalement
con sommée par la jet set, sans forte
ad diction.
Puis, la chimie a trouvé une solution
permettant de fumer l'héroïne. Cette
héroïne base, substitut du sel hydro
chloré
d'héroïne issu de la morphine,
est fabriquée à moindre coût, avec une
chimie rudimentaire : un feu, un chau-
dron, un drap pour filtrer, des acides et
des bases. Conséquences ? Le prix du
gramme sur le marché a fortement chu -
té, passant de 300, voire 600 francs, à
50 francs, et les polytoxicomanes qui
craignaient la seringue ont commencé
à consommer massivement de l'hé-
roïne. »
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choisir
juin 2013
Drogues
« Il faut sortir du modèle répressif »
···
Une interview d'
Olivier Guéniat, Delémont (JU)
criminologue, membre de la Commission fédérale pour les
questions liées aux drogues
1
par
Céline Fossati,
journaliste, « choisir »
La politique suisse en
matière de drogue,
dite des quatre
piliers, est l'une des
plus modernes au
monde. Pourtant, fort
de son expérience de
terrain et de ses
échanges nationaux
et internationaux,
Olivier Guéniat n'hé-
site pas à remettre
en cause certains de
ses fondements. Son
credo : passer d'un
modèle basé sur l'in-
terdit à un régime
d'autorisations
ciblées visant à sécu-
riser l'espace public.
Une politique du
moindre mal.
1 · Chef de la police judiciaire neuchâteloise
depuis 1997 et chef de la police cantonale
jurassienne depuis 2011, Olivier Guéniat
doit mener à bien un projet de fusion entre
les polices des deux cantons. Il donne éga-
lement des cours de criminologie aux
Universités de Neuchâtel et de Lausanne.