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Ma mère va à nouveau se plaindre :
« Encore un film arty » [elle dira plutôt
intellectuel] qui ne passe même pas sur
nos écrans genevois ! » J'avoue que La
Sirga
, la seule sortie à Paris qui m'ait
attiré cette semaine, n'était diffusée ici
que dans deux salles. Il est vrai qu'on
est aussi curieusement dans la lignée
de ma dernière chronique : un premier
film, colombien,
1
sans musique, avec
des personnages taiseux en prise avec
une nature imposante et magnifique.
Mais j'espère vraiment donner envie de
le voir, si ce n'est aujourd'hui en salle,
du moins demain à la télévision. Car ce
film de William Vega, présenté il y a un
an à la Quinzaine des réalisateurs à
Cannes, est impressionnant de maî-
trise, d'une grande beauté plastique et
nous entraîne lentement dans un uni-
vers imprégné d'une sourde tension.
Après la destruction criminelle de son
village, la jeune Alicia vient chercher
refuge chez son oncle Oscar, la seule
famille qui lui reste. Oscar est un céli -
ba taire bourru qui vit au bord d'un
grand lac des Andes. Il n'exprime
aucune compassion pour cette nièce
qu'il connaît mal, mais il l'accueille pour
une nuit. Alicia s'accroche et se fait peu
à peu accepter par son hôte mutique et
son employée revêche, en travaillant
dur à la restauration de La Sirga, l'au-
berge délabrée d'Oscar. Elle se retrou ve
malgré elle objet du désir de trois hom-
mes : un jeune passeur qui la courtise
la journée, Oscar qui la reluque le soir
et le fils d'Oscar qui réapparaît un jour,
le bras blessé...
La Sirga représente pour Alicia une
étape dans sa résilience, le projet de
reconstruire sa vie dans un lieu sûr.
Dans son film contemplatif, Vega nous
maintient en alerte : tout passe par le
non-dit, la suggestion. Le premier plan,
un homme empalé, dans la nature, suf-
fit à hanter tout le film. Le danger plane
constamment, comme les orages.
En suivant une jeune rescapée qui
retape une ruine pour en faire une
auberge accueillante, ornée de fleurs et
de rideaux, Vega dessine en creux une
violence masculine qui lui est étran-
gère. « Mon histoire est assez proche
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c
i
n
é
m
a
juin 2013
choisir
La force de
s'accrocher
···
Patrick Bittar
, Paris
Réalisateur de films
La Sirga, de
William Vega
« La Sirga »
1 · Cofinancé par la France.