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choisir
juin 2013
Ce n'est pas la politique qui fut la ten-
tation majeure des intellectuels français
de l'entre-deux-guerres, mais l'action.
L'action a quelque chose de roman-
tique que la politique, qui gouverne et
administre, n'a pas : l'action révolution-
naire ou contre-révolutionnaire (selon le
sens que l'on prête à ces mots qui ont
parfois tendance à changer brusque-
ment de camp). Quoiqu'il en soit, pour
un intellectuel, l'homme d'action qui se
bat aux côtés de ses frères de lutte
pour une même cause rêvée ou réelle
- libération ou restauration souhaitée -
s'oppose à l'homme de cabinet. Ecrire
peut-être, mais après le combat et pour
raconter son combat. Que raconter
avant de s'être battu ? Comment pein-
dre la vie avant de l'avoir vécue ?
Drieu était fils de la guerre, comme
Bernanos et Montherlant. La paix a tué
ces hommes que la guerre avait faits. Il
leur manquera toujours cet alcool. Que
faire en temps de paix ? Qu'est-ce
qu'un bonheur sans grandeur ? Le
métier d'écrivain a toujours quelque
peu dé goû té un homme comme Drieu.
L'hom me est fait pour une aventure
plus haute, plus grande. Il est fait pour
le sacrifice. Or quel plus grand sacri-
fice que la guerre ?
Le bonheur étincelant de Stendhal
comme le malheur viril et luciférien de
Baudelaire, les hommes de la généra-
tion de Drieu ne pouvaient plus les goû-
ter. Ils arrivaient trop tard. Aragon devint
communiste. Bernanos né catho lique et
monarchiste le demeura et combattit
longtemps la République aux côtés de
Maurras. Montherlant resta apolitique,
tout en exaltant la grandeur partout où
il la voyait, notamment chez le prêtre et
le soldat, ces êtres séparés et dont la
vocation est le sacrifice. Drieu alla dans
toutes les directions, voulant embras-
ser tous les contraires.
A vingt ans, il se mit sur la même ligne
de départ que Montherlant, Bernanos,
Aragon ou Malraux, ses frères en litté-
rature, tous plus ou moins fils de
Barrès. C'est pour être lu par eux avant
tout qu'il écrivit, et c'est eux qu'il lut en
priorité.
Refus de l'homme
nouveau
Nietzsche avait vu mourir Dieu. Je ne
parle pas du dieu des philosophes.
Celui-là n'a aucune existence et aucun
intérêt. Je parle du vrai Dieu, celui
d'Abra ham, d'Isaac, de Jacob et de
Pascal. C'est celui-là et celui-là seul qui
intéressait Nietzsche. Drieu, lui, voit dis -
paraître l'homme ancien que Bau delaire
définissait comme prêtre, guerrier et
poète.
L'avènement de l'homme nouveau, his-
trion et consommateur, l'épou vante et le
dégoûte. Il refuse de s'éterniser dans
Amer Drieu
La littérature, un amour trop bavard
···
Gérard Joulié, Epalinges
Ecrivain et traducteur
Pierre Drieu la
Rochelle,
Romans, récits,
nouvelles,
Paris, Gallimard,
Bibliothèque de la
Pléiade 2012, 1936 p.