background image
A m e r D r i e u
fera pas. Je suis dans un plan philoso-
phique, religieux, métaphysique. J'ai eu
le temps de me vouer assez sérieuse-
ment à la sainte science de l'Inde et en
un sens, comme je n'ai pas une grande
disposition mystique ni de grandes
facultés métaphysiques, il vaut mieux
pour moi partir au moment où je suis de
par les circonstances au plus haut de
l'enchantement. Peut-être serais-je re -
tombé dans mes flottements et mes
errements. Je suis encore susceptible
de tentations.
» En dehors de ma foi védantique,
1
j'ai
toujours pensé que de mourir à cin-
quante ans était le bon moment, avant
de commencer à être diminué par la
maladie et la vieillesse (j'ai une aortite,
de l'urée, des crises de sciatique et des
hémorroïdes, je perds la mémoire).
Avant d'entrer dans ce temps où l'on se
rattache à la vie avec l'avarice du
vieillard. Je voudrais ne plus écrire, ne
vivre que pour la méditation et la re -
traite. La littérature est devenue du ba -
vardage. Chacun se raconte, raconte
ses expériences. Plus rien n'est cons-
truit. Ça n'a pas plus d'intérêt que le
journalisme. Enfin tout est bien et je
serai heureux de mourir en pleine cons-
cience de mon plein choix, en
homme. »
Confession ultime
Après deux tentatives de suicide, Drieu
se donna la mort dans la nuit du 15
mars 1945. Sa confession, il l'écrivit
dans l'un de ses plus beaux textes,
Récit secret, dans lequel il décrit le der-
nier jour d'un homme qui va manger la
mort et qui renvoie à l'un de ses écrits
antérieurs, Le feu follet, qui dépeint la
même situation, si prémonitoire. On y
trouve son mépris, son détachement,
sa fidélité.
Sa vie fut une école de camaraderie,
d'élégance et de malheur. Il ne semble
pas que les femmes l'aient rendu très
heureux, bien que certaines semblent
lui avoir été très attachées. Comme
Baudelaire, il cherchait à leur échapper.
Peut-être pour pouvoir atteindre ses
altitudes védantiques qu'il n'était pas
sûr de pouvoir escalader par ses pro -
pres moyens.
La fraternité de frères d'armes était son
vrai pays, car il n'avait pas oublié la
Comédie de Char leroi. Et il se tua pour
sauver son âme. Mishima connaîtra un
destin analogue.
Drieu avait, à la fin de sa brève exis-
tence, prit ses distances vis-à-vis de la
société, du christianisme, de la poli-
tique, de l'histoire, de l'Occident et
même de l'humanité. Il marchait sur les
traces de Guénon et cherchait la vérité
en Orient, derrière le voile des apparen-
ces et de l'agitation fiévreuse et désor-
donnée des gens de notre race. Il n'est
pas sûr que l'Orient soit resté fidèle à
sa vocation de sagesse et d'immobilité.
G. J.
36
l
e
t
t
r
e
s
choisir
juin 2013
1 · « Relatif au Vedanta, l'interprétation philo-
sophique des védas (tradition ancestrale
hindoue) qui prône un monisme reposant
sur la notion de l'unité du moi individuel et
du soi universel, constituant la seul réalité
spirituelle » (définition du centre national de
ressources textuelles et lexicales, Nancy).
(n.d.l.r.)