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L e s
L u mi è r e s
d u
p é n a l
histoire
contre les supplices de l’Ancien régime, la prison vise à corriger puis resocialiser les condamnés, au terme d’une détention calculée légalement selon la gravité du crime réprimé. Sous l’Ancien régime, flétri, marqué et violenté, le corps du condamné incarne le monopole étatique du droit de punir contre l’atrocité du crime. La stigmatisation, l’infamie et la flétrissure forgent la pédagogie de l’effroi, appliquée sur l’échafaud par l’exécuteur de la haute justice (bourreau), afin d’intimider la foule, voire prévenir le crime par la terreur du châtiment. Avant la Révolu tion française, qui remplace les supplices par la seule « privation de la vie », la liturgie du corps violenté est universelle dans l’Europe de l’Ancien régime. L’« éclat des supplices », pour reprendre le concept fondateur de Michel Foucault dans Surveiller et punir (1975), répond au mal du crime par celui de la peine. Parmi d’autres doctrinaires-pénalistes d’après 1750, le juriste Daniel Jousse (1704-1781) détaille l’arsenal pénal des juges de son époque : « Les peines qui sont en usage en France, dans les Tribunaux ordinaires de justice, sont : le feu ; la peine d’être tiré à quatre chevaux ; la roue ; la potence ; la tête tranchée ; la peine d’être traîné sur la claie ; la question avec ou sans réserve de preuve ; la galère à temps ou à perpétuité ; le bannissement perpétuel ou à temps ; le poing coupé ; la lèvre coupée ; la langue coupée ou percée d’un fer chaud ; le fouet ; la flétrissure ; le pilori ; le carcan ; la réclusion à temps, ou à toujours, dans une maison de force […] »4 Plaçant la violence et la flétrissure corporelles avant l’enfermement, commune à toute l’Europe de l’Ancien régime, cette échelle de l’excès pénal viole les droits naturels des justiciables
selon Beccaria, qui lie la sécularisation du contentieux criminel à la modération du droit de punir.
Appel à la modération
Pour repenser le droit de punir de son temps, l’ancrer dans la modernité sociale des Lumières et le faire coïncider aux droits naturels des justiciables, Beccaria prône la légalité codifiée des délits et des peines, contre leur arbitraire qui remonte au XVIe siècle au moins. En outre, il déconstruit les liens traditionnels entre les contentieux et les peines, afin d’en séculariser les implications punitives que nourrit la morale religieuse. Pour Beccaria, les délits ne sont pas des péchés, mais des infractions sociales. La peine est donc la réponse politique de la société sécularisée, et non pas la rétribution expiatoire du péché. Dans ce contexte épistémologique, il réclame, par exemple, la dépénalisation de l’homosexualité, qui est alors poursuivie capitalement un peu partout en Europe comme un « crime contre nature ». Ou encore, estimant que le suicide appartient aux droits naturels des individus, il en exige la dépénalisation. De cette manière, le juge cessera de flétrir le désespéré comme le révolté contre Dieu en condamnant son cadavre à la traction publique sur la claie d’infamie. Attentif aux inégalités juridico-sociales de l’Ancien régime, Beccaria estime, en outre, que le vol, souvent qualifié comme le crime capital du malfaiteur envoyé au gibet, s’impute à l’inégale répartition des richesses. La prévention des crimes contre
4 • In Traité de la justice criminelle de France (1781), pp. 38-39.
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