N o b l e s s e o b l i g e lettres Gravure de Raymond Carrance, pour « La ville dont le prince est un enfant » l’Allemagne pendant la guerre, à la place de Vichy, humble poste de sauvegarde et qui fut utile à beaucoup d’ingrats, même quand il refuse de servir son régime. Mais rien de révolutionnaire chez lui. Montherlant est encore plus athée en politique qu’en religion et ces mouvements d’indignation envers les petits, les humbles, les victimes le font sourire, car il sait bien qu’il appartient au parti ou à la classe dominante, quoique bien déclinante. S’il vivait aujourd’hui, il serait peut-être amené à changer son fusil d’épaule. Car ce qui dominait alors intellectuellement, religieusement, philosophiquement, socialement, démographiquement est aujourd’hui bien dominé. Montherlant vivait dans un monde où le superflu, le luxe d’un beau geste, était encore possible. On peut dire à l’Arabe : « Tu es mon frère », quand on est séparé de lui par une mer. Cette aisance de déplacement lui permit de se mettre facilement à la place d’autrui, mais aussi de s’en abstraire à son gré. Ce fut peut-être son erreur que d’écrire des livres où il effleurait ces questions, comme Solstice de juin, Service inutile ou Equi noxe de septembre. Service inutile… quel beau titre, pris d’ailleurs de saint Paul, mais bien sorti de son contexte, car quand saint Paul se mettait à la place de ses frères, ce n’était pas pour s’en retirer l’instant d’après et aller faire joujou avec Néron, ses mignons et les voyous, dans les terrains vagues de la banlieue romaine. Morale aristocratique S’il me fallait désigner ceux de ses livres que je préfère, je dirais, parmi son théâtre, Malatesta (un autre voyou de haut vol), Port-Royal, Brocéliande, La ville dont le prince est un enfant, La guerre civile et Don Juan. Comme ce Don Juan au visage ridé nous remue ! Et puis parmi les romans, je placerais au premier rang Le chaos et la nuit, parce que j’y retrouve le Montherlant don quichottesque, vieillissant et pathé tique, et surtout son dernier livre, Les garçons. Ce roman donne la clef et la tonalité de toute son œuvre. Avidité de jouissance, indignation non pas devant le mal mais devant la bassesse (à cet égard on peut parler de morale aristocratique au sens presque où Nietzsche entendait ce mot) et solide conscience de la vanité de tout. Tout cela baignant dans une lumière de tendresse et de gentillesse, qui n’est pas sans évoquer les embarquements de Watteau, et écrit dans la plus belle langue qui soit. Le génie de Montherlant, c’est le genius pueritiae. C’est le génie de sentir l’enfance-adolescence qui le fait par ler et qui s’élève comme une colonne lumineuse dans la sombre et chaotique nuit des rapports humains. On peut lui choisir avril 2014 36