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dans le sens de la roue voilée, celle qui ne tourne pas rond et qui fait violence aux membres les plus faibles de la société. Mais cette disparition des visages qui se dissolvent dans la liquidité monétaire n’est pas le dernier mot de la leçon. L’argent, selon le poète Paul Claudel, est un véritable « sacrement » de notre société, un signe « sensible et efficace », comme le disait le catéchisme de mon enfance. Le bitcoin nous le rappelle : signe sensible d’une réalité qu’on ne voit pas mais qui permet aux parties prenantes de « faire corps ». Il nous aide à comprendre combien les récits de la résurrection détruisent l’illusion d’un corps « glorieux » (comme disent les théologiens pour parler du corps du Christ ressuscité) imaginé comme le corps physique, un cadavre réanimé en quelque sorte. Saint Paul est pourtant très clair : nous sommes les membres de son corps, c’est nous le corps du Christ. Comment cela peut-il se faire ? Marcel Proust a, comme par inadvertance, désigné dans Le temps retrouvé l’opérateur de cette transmutation : « Seule la perception grossière et erronée place tout dans l’objet, quand tout est dans l’esprit. »3 L’opérateur de toute incarnation est l’esprit. L’esprit n’est pas contenu dans le corps à la manière d’un gaz dans une bouteille ; bien au contraire, c’est lui qui fait le corps : il réunit ce qui est distinct et, verso de la même expérience, le corps ne prend conscience de lui-même que dans la rencontre avec ce qui le limite. Quand il s’agit du Ressuscité, le corps est le fruit de l’esprit du Christ, esprit d’amour qui remplace les relations calculées du donnant-donnant (celle symbolisée par le bitcoin) par des relations de gratuité. « Toi en moi, moi en toi », comme Jésus définit l’amour dans l’évangile selon saint Jean (17,21). C’est l’expérience de MarieMadeleine pour celui qu’elle continue à aimer par-delà le tombeau. Selon la formule de saint Paul, ce n’est plus elle qui faisait vivre le Christ par la pensée, les souvenirs et les regrets ; c’est le Christ qui vivait en elle. Le bitcoin nous conduit ainsi bien loin d’un matérialisme vulgaire qui s’épuise à imaginer le ressuscité comme un cadavre qui bouge encore. Il nous mène vers l’expérience de notre commune humanité dans le Christ. Etienne Perrot sj
1 • De l’anglais « coin », pièce de monnaie, et « bit », unité d’information binaire. (n.d.l.r.) 2 • « Du danger de l’argent », in choisir n° 651, mars 2014, pp. 13-15. 3 • Paris, Gallimard 1990, p. 219.
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éditorial
avril 2014
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