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N o b l e s s e
o b l i g e
celui qui s’isole du monde, comme les religieuses de Port-Royal, sa Reine morte et tant d’autres de ses personnages qui, rassasiés ou non des plaisirs des sens, consacrent la fin de leur vie à une sainte retraite. Que peut faire un honnête homme dans un monde de marchands et d’histrions ? Aller au désert ! Il arrive même à certains écrivains de se taire, comme Rimbaud, Racine ou Gogol, ayant dit ce qu’ils estimaient avoir à dire. Mais c’est là un exemple rare qui n’aura jamais beaucoup d’imitateurs. Montherlant se prenait pour un individualiste, ennemi de la morale bourgeoise, partisan de tout ce qui exalte l’âme et comble les sens. Mais peut-on être à la fois un franc jouisseur et un homme de devoir, prêt à se sacrifier pour son pays ? Montherlant affirmait qu’un homme supérieur y parvient. Lui-même prétendit l’être et a su imposer à ses contemporains un masque de grand seigneur anarchisant, libertin et misogyne. Quoiqu’il en soit, il demeure un immense écrivain, un moraliste de premier ordre et un styliste merveilleux. Ses essais ont du mordant et du lyrisme et, dans ses romans, il s’est imposé comme un portraitiste au coup d’œil infaillible. Or ce style, s’il est l’homme même, nous place d’emblée au cœur d’un problème que nous posent cette œuvre et cette vie. Car une contradiction apparaît au premier regard entre le personnage, qui a occupé le devant de la scène littéraire française pendant plus de quarante ans, et cette écriture jaillie à travers trois siècles de la profonde nappe classique, sans qu’il y ait jamais pastiche. L’écriture la plus négligée, la plus libre, aux antipodes du style étudié et concerté de Gide ou de Valéry, une écriture qui, pour le naturel, ne
saurait être rapprochée que de celle d’un Léautaud ou d’une Colette, avec la différence que Colette, le nez collé à la terre, ne quittait jamais la nature d’un pas. Montherlant, lui, n’a jamais quitté ses livres de classe, il ne s’est jamais interrompu de jouer au Romain, ce qui à chaque instant le met en péril d’enflure, sans donner l’impression d’y succomber. Montherlant parle quelque part de son catholicisme à l’italienne. S’il a écrit Port Royal, son choix s’est fait à l’intérieur du paganisme. Mais qu’est-ce qu’un paganisme sur lequel sont venus se greffer deux mille ans de christianisme et d’histoire de France ? C’est un paganisme nourri de christianisme et qui n’a rien à voir avec ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui le néo-paganisme d’hommes sans mémoire qui n’ont jamais lu Homère ou Sophocle. Il a entendu la leçon des grands Anciens : Sénèque et Pétrone sont ses deux maîtres à penser. Il a du stoïque à ses heures les plus hautes, mais ce qui l’attire profondément, ce sont les basfonds où nous entraîne Suétone et que Tacite rapporte avec une horreur froide. La vie licencieuse des dieux et des Césars ne suscite pas en lui l’indignation vertueuse d’un saint Augustin ou d’un janséniste, disons tout simplement d’un honnête homme tel que l’imagina le XVIIe siècle, ce qu’il se pique souvent d’être.
Un empathique versatile
On ne connaît pas Montherlant si on ignore que son premier mouvement fut toujours de se mettre à la place des autres. A la place de l’ouvrier quand il y a la grève (mais aussi du patron quand il s’agit d’y mettre fin). A la place de l’indigène en Afrique, à la place de 35
lettres
avril 2014
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