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jeudi, 01 octobre 2015 14:36

Au nom des libertés

Attentat de Charlie Hebdo, exactions commises par Daech ... la tension entre liberté d’expression et liberté religieuse mal comprises entraîne de terribles violences. Lors de la 28e session du Conseil des droits de l’homme (Genève, du 2 au 27 mars 2015), Mgr Tomasi, nonce apostolique auprès de l’ONU, a fait une intervention remarquée à ce sujet.

La communauté internationale est actuellement confrontée à un défi délicat, complexe et urgent concernant le respect des sensibilités religieuses et la nécessité de trouver une coexistence pacifique dans un monde de plus en plus pluraliste : il s’agit de trouver une relation équitable entre la liberté d’expression et la liberté religieuse.
La relation entre ces droits fondamentaux de la personne humaine s’est avérée difficile à gérer et à traiter, tant au niveau normatif qu’institutionnel. Par ailleurs, il faut reconnaître « que le débat public et ouvert d’idées et le dialogue interconfessionnel et interculturel aux niveaux local, national et international peuvent ... jouer un rôle positif dans ... la lutte contre la haine religieuse, l’incitation à la haine et la violence. »[1] L’échec dans ce domaine est évident lorsque l’usage excessif et irresponsable de la liberté d’expression débouche sur l’intimidation, les menaces et les injures qui portent atteinte à la liberté de religion et peuvent malheureusement conduire à l’intolérance et à la violence. De même, le rap porteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction a mis l’accent sur la violence commise « au nom de la religion »[2] et sur ses causes profondes.
La violence, malheureusement, prolifère aujourd’hui. Si le génocide concerne tout acte commis avec l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel,[3] la communauté internationale assiste effectivement à une sorte de génocide dans certaines régions du monde, où la réduction en esclavage et la vente de femmes et d’enfants, le massacre de jeunes hommes, la destruction par le feu, la décapitation et l’exil forcé des gens continuent.
Dans ce contexte, la délégation du Saint-Siège souhaite attirer l’attention du Conseil des droits de l’homme sur le fait que ces crimes innommables, ainsi que d’autres, sont commis à l’encontre de communautés anciennes simplement parce que leur croyance, leur système social et leur culture sont différents de ceux des combattants fondamentalistes du groupe du soi-disant Etat islamique.
Le fait qu’on invoque la religion pour assassiner des gens et détruire les traces de la créativité humaine héritées de l’histoire rend ces atrocités encore plus repoussantes et plus odieuses. Une réaction de la Communauté internationale, qui laisserait enfin de côté les intérêts particuliers et sauverait des vies, constitue un impératif moral.
Pourtant la violence n’a pas sa source dans la religion, mais dans les interprétations erronées qui en sont faites et qui la transforment en idéologie. La même violence peut découler de l’idolâtrie de l’Etat et de l’économie et être un effet de la sécularisation.
Tous ces phénomènes tendent à éliminer la liberté individuelle et la responsabilité de chacun à l’égard des autres. Mais la violence est toujours un acte individuel et résulte d’une décision qui implique une responsabilité personnelle. C’est au travers de l’adoption d’une éthique de la responsabilité que la voie vers l’avenir peut devenir fructueuse, prévenir la violence et surmonter les impasses entre des positions extrêmes, celle qui cherche à maintenir la liberté d’expression sous toutes ses formes et celle qui rejette toute critique de la religion.

Du droit à l’abus
Le risque d’appliquer deux poids et deux mesures dans la protection des droits de l’homme n’est jamais très éloigné. Certaines limites à la liberté d’expression, imposées sélectivement par la loi, sont acceptées, alors que des attaques verbales, systématiques, provocatrices et violentes, sont approuvées.[4] La liberté d’expression utilisée abusivement pour blesser la dignité des personnes en insultant leurs convictions les plus profondes sème des graines de violence.
Oui, la liberté d’expression est un droit fondamental de l’homme, qu’il faut toujours faire respecter et protéger ; mais elle implique aussi l’obligation pour la personne de dire de manière responsable ce qu’elle pense en vue du bien commun. Sans ce droit, l’éducation, la démocratie, la spiritualité authentique seraient impossibles. Il ne justifie pas pour autant la relégation de la religion au rang de subculture négligeable, ni à celui de cible facile et admissible du ridicule et de la discrimination.
On peut sans doute admettre des arguments antireligieux, même sous forme d’ironie, comme il est admissible aussi d’utiliser l’ironie à propos de la laïcité ou de l’athéisme. La critique de la pensée religieuse peut même aider à démanteler divers extrémismes. Mais qu’est-ce qui peut justifier les insultes gratuites et la dérision malveillante des sensibilités et convictions religieuses d’autres personnes qui, après tout, sont égales en dignité ? Pouvons-nous nous moquer de l’identité culturelle de quelqu’un, de la couleur de sa peau, de ce qu’il croit dans son cœur ? Le « droit d’insulter » n’existe pas. La critique peut produire de bons résultats si elle tient compte du fait que les personnes importent davantage que leurs convictions ou leurs croyances et qu’elles ont, par le simple fait qu’elles sont humaines, un droit inné au respect.
L’absence d’une éthique de la responsabilité et de l’équité conduit à la radicalisation des positions, alors qu’au contraire le dialogue et la compréhension mutuelle sont nécessaires pour briser le cercle vicieux de la violence. L’Acte constitutif de l’UNESCO rappelle que « les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ».[5]
(traduction : Cl. Chimelli)

[1] • Conseil des droits de l’homme, Résolution 16/18 sur la « Lutte contre l’intolérance, les stéréotypes négatifs, la stigmatisation, la discrimination, l’incitation à la violence et la violence visant certaines personnes en raison de leur religion ou de leur conviction », § 5(h), p. 3.
[2] • Cf. doc. A/HRC/28/66 § 3-82, pp. 3-18.
[3] • Cf. art. 2 et 3 de la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide.
[4] • Cf. doc. A/HRC/25/34, § 127.
[5] • Acte constitutif de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, 1945. Préambule.

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