Maurice Cheza, Luis Martínez Saavedra et Pierre Sauvage (dir.)
Dictionnaire historique de la théologie de la libération
Namur, Lessius 2017, 656 p.
La théologie de la libération (TdL) semblait s’être depuis longtemps étiolée, mais cet ouvrage la remet sous les projecteurs et montre que son évolution est toujours en cours. Développée à ses débuts, dans les années 1970, par le prêtre et théologien péruvien Gustavo Gutiérrez, à qui l’on attribue la paternité de cette approche élaborée au contact des plus pauvres et avec leur participation, la TdL s’est entretemps largement diversifiée.
Une bonne centaine de spécialistes, de vingt-huit nationalités, ont collaboré à l’élaboration de ce Dictionnaire qui comporte près de trois cents entrées ouvrant sur les thèmes phares, les pays et les personnes qui ont théorisé la TdL ou qui s’en sont inspirés et l’ont mise en pratique. Pour les auteurs, la TdL est une des rares théologies qui a toujours voulu agir sur l’histoire des peuples. On découvre au fil des pages qu’elle aborde depuis des décennies des problématiques longtemps laissées dans l’ombre : l’émancipation de la femme, celle des populations noires et indigènes, ou bien encore la question de la sauvegarde de la Création, à savoir l’écologie.
Avec le Père Gustavo Gutiérrez, reçu dans l’Ordre dominicain en 2004, le franciscain brésilien Leonardo Boff est considéré comme l’un des représentants les plus marquants de la théologie de la libération latino-américaine. Mais l’ouvrage permet de découvrir de nombreux autres protagonistes, moins connus sous nos latitudes, issus de con-tex-tes socio-culturels diversifiés. Le lecteur sera peut-être surpris de trouver des entrées sur l’Amérique du Nord (Canada et États-Unis) et l’Europe (Belgique, Espagne, France, Suisse). En fait, ces pays ont formé en Amérique latine un grand nombre de théologiens et d’acteurs pastoraux proches de la TdL. Beaucoup de formateurs du Nord se sont rendus dans les pays du Sud, surtout en Amérique latine ; certains y sont restés, notamment en tant que prêtres Fidei Donum. Ceux qui sont rentrés chez eux se sont inspirés de ce qu’ils avaient découvert, tentant de former en Europe ou en Amérique du Nord des communautés ecclésiales de base (CEB) ou des groupes du même style.
La présence du pape François sur le siège de Pierre a fait souffler un vent nouveau dans l’Église. Le pontife argentin s’est voulu d’emblée pasteur parmi les pasteurs «pénétrés de l’odeur de leurs brebis». Il a incité les prêtres, dès sa première messe chrismale, à se mettre au service des pauvres et des opprimés. Depuis un certain temps du reste, la TdL ne suscite plus la même défiance romaine, et la nouvelle génération de théologiens défriche de nouveaux champs de réflexion et d’action.
Il est loin le temps de l’instruction Sur quelques aspects de la théologie de la libération, rédigée en 1984 par le cardinal Joseph Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi! Le futur pape Benoît XVI dénonçait «des courants de pensée qui, sous le nom de ‹théologie de la libération›, proposent du contenu de la foi et de l’existence chrétienne une interprétation novatrice qui s’écarte gravement de la foi de l’Église, bien plus, qui en constitue la négation pratique». Des propos qui furent très bien accueillis et surtout utilisés par les puissants tenants du statu quo, tant dans les pays du Nord que dans ceux du Sud. Pour le Vatican, il s’agissait de mettre en garde contre les déviations dues à l’introduction dans la lecture de la réalité sociale d’éléments du marxisme. Il critiquait aussi des lectures ‹rationalisantes› de la Bible tendant à réduire l’histoire du Christ à celle d’un libérateur social et politique.
Le même cardinal Ratzinger allait, en 1986, publier une nouvelle instruction Sur la liberté chrétienne et la libération, qui, bien que n’annulant pas la première, la complétait et la nuançait. Rome y relisait la TdL de manière positive, en y introduisant la dimension spirituelle d’une théologie de la liberté. L’intervention de certaines figures de proue de l’épiscopat brésilien d’alors, soutenant les protagonistes les plus en vue de la TdL, n’était pas restée sans effet... La même année, Jean Paul II dira, dans une lettre adressée à l’épiscopat brésilien, que «la théologie de la libération est non seulement opportune, mais utile et nécessaire».
Cet ouvrage est destiné à ceux qui sont passionnés par la théologie, à ceux qui s’intéressent à l’histoire des idées et à celle des femmes et des hommes engagés dans la transformation d’une société foncièrement injuste, parfois au péril de leur vie. Le grand public dispose ici d’un instrument pratique pour accéder aux éléments essentiels de la TdL, qui s’est beaucoup diversifiée et affinée dans un contexte en perpétuel changement. L’ouvrage met en avant ces générations montantes qui travaillent à de nouvelles problématiques et qui bénéficient désormais d’une certaine reconnaissance de la part du Vatican.
Jacques Berset
Jérôme Cottin
Quand l’art dit la résurrection
Genève, Labor et Fides 2017, 196 p.
Le professeur Cottin propose d’explorer le thème de la résurrection du Christ à travers huit œuvres d’art occidentales. L’instant du passage de la mort à la vie de Jésus a donné lieu à une grande profusion de représentations artistiques alors qu’il n’est pas raconté dans l’Évangile. Les récits bibliques des apparitions post pascales ont voulu exprimer une conviction de foi : le Christ est réellement ressuscité. Il est une personne vivante, qui agit et continue d’agir pour le monde et pour nous. Personne n’a été témoin du moment de la résurrection du Christ ; du coup, les récits du Nouveau Testament concernant les apparitions du Christ ressuscité font une large part au visuel, en insistant sur la corporéité retrouvée du Christ.
Le langage de l’art est particulièrement adapté à penser théologiquement ce thème: représentation du Christ vivant en son corps glorieux, récits de rencontre avec le Ressuscité ou autres métaphores de résurrection. L’auteur situe d’abord chacun des tableaux -reproduits en couleur- dans son contexte historique et recherche la problématique du peintre. Arrive le moment où, en la contemplant, on se demande en quoi cette œuvre nous aide à penser la résurrection du Christ et comment les textes bibliques de la résurrection peuvent nous aider à approfondir la compréhension de cette production artistique. Ainsi la résurrection du Christ, qui est dépeinte par Grünewald en un célèbre et attrayant tableau, nous montre le visage du Christ resplendissant comme le soleil, affirmant par là, avec force, que la vie triomphe de la mort.
On pensait que les réformateurs ne prisaient pas les images ; et non, Luther, contrairement à Calvin, admirait beaucoup l’œuvre de son ami Cranach. Pour le Réformateur, «l’image parle au sens et fait jaillir nos images intérieures… Les choses spirituelles, on ne peut pas les comprendre si on ne les saisit pas en image.» Lucas Cranach l’Ancien illustre la théologie de Luther, centrée sur la Croix, en représentant dans un même tableau le Christ sur la croix et le Christ ressuscité : le Christ vaincu par la mort et le Christ vainqueur de la mort qu’il écrase, en même temps que le Diable, avec ses pieds de ressuscité.
Tous ceux qui s’intéressent à l’art -et nous sommes nombreux!- se délecteront à la lecture de cet ouvrage qui présente tant de connaissances sur des artistes connus comme Rembrandt, Van Gogh et d’autres.
Monique Desthieux
Christophe Chalamet
Une voie infiniment supérieure. Essai sur la foi, l’espérance et l’amour
Genève, Labor et Fides 2016, 254 p.
Dans son essai l’auteur, professeur à la Faculté de théologie de Genève, cherche le sens que peuvent avoir aujourd’hui ces trois vertus que sont la foi, l'espérance et l'amour, en tant qu’actes humains répondant à un autre acte qui les fonde : la puissance de l’Esprit. La foi, comme confiance, découle de la fidélité de Dieu à lui-même et au monde. L’espérance s’oriente vers l’horizon de la justice, c’est-à-dire de notre juste relation avec Dieu, avec nous-mêmes, le monde et le prochain. L’amour, enfin, a la primauté sur la foi et l’espérance en ce sens qu’il ne cesse jamais. Il caractérise jusqu’au tréfonds l’acte et l’être de Dieu.
Quand il en vient à l’espérance et à la dimension eschatologique de l’Évangile -ce qui vient oriente notre manière d’être et d’agir dans notre présent-, l’auteur examine la voie chrétienne et les autres voies religieuses. Quelle place accorder à l’une et aux autres? Une question cruciale. Si l’événement historique Jésus Christ est décisif, les chrétiens ne sont pas seuls à connaître Dieu. Toute la vérité ne se concentre pas dans le christianisme. Quel est le rapport entre la foi chrétienne et les autres croyances et chemins de foi de notre monde?
Nous sommes alors en face de plusieurs positions. Pour l’inclusivisme, tout homme a une foi chrétienne implicite : Jésus Christ est l’unique Seigneur et sauveur, mais les diverses traditions religieuses contiennent des éléments de vérité ; la confession de la foi chrétienne n’est donc pas le seul moyen de parvenir au salut. Les exclusivistes, de leur côté, ne veulent pas de chrétiens anonymes, comme l’avait proposé Karl Rahner. Et les pluralistes, pour leur part, estiment que les diverses traditions religieuses convergent vers la vérité, qui est Une, et que l’accès privilégié de la foi chrétienne est insupportable; il faudrait renoncer à ce privilège. La contradiction interne du pluralisme, c’est qu’il exclut ce qui le contredit et demande à chaque tradition de renoncer à des aspects centraux de son essence.
Les trois approches –inclusivisme, exclusivisme et pluralisme- sont inadéquates pour Chalamet. L’auteur reprend la formule du théologien jésuite Joseph Moingt: l’accord entre les religions est une symphonie différée. Et il ajoute: «L’Esprit de Dieu sauve, non le christianisme ou la foi. Il est toutefois difficile de reconnaître l’action de Dieu dans une tradition où la divinité écrase l’humain. Nous pouvons dire de Dieu ce qu’il n’est pas, mais il faut laisser ouverte la possibilité que l’ultime soit la visée des grandes religions.» La voie infiniment supérieure reprend le verset de 1Co 12,31, qui annonce l’amour et sa primauté.
Le sujet de cet ouvrage a fait l’objet de deux séminaires à la Faculté de théologie. Ce livre est remarquable et extrêmement documenté, discutant les auteurs contemporains catholiques et protestants aussi bien qu’Augustin, Thomas d’Aquin et Luther. Il est accompagné de plusieurs index.
Jean-Daniel Farine
Jean-Christophe Perrin
Penser l’au-delà de la mort en Orient et en Occident
Paris, Harmattan 2016, 258 p.
«Devant l’énigme de la mort, deux tentations sont possibles: être obsédé par la mort comme l’étaient les Égyptiens, ou la refouler comme le font les Modernes. Mais ni l’une ni l’autre de ces solutions ne pourront nous aider à apprécier la vie.» Jean-Christophe Perrin, enseignant pendant quinze ans de philosophie morale et d’histoire des religions au Canada, aujourd’hui pasteur de l’Église protestante unie, nous invite à relire le Livre des morts égyptien et le Livre des morts tibétain. À eux deux ces livres résument les croyances dans l’au-delà des cinq grandes religions du monde.
«Un point commun de toutes ces religions est le lien entre une vie moralement bonne et le sort dans l’au-delà. » La mort n’est pas la fin de tout, mais un passage vers une autre forme de vie. «Philosopher ne consiste pas à ‹vivre pour la mort› comme le voulait Heidegger, mais de vivre pour la vie tout en sachant que l’on va obligatoirement mourir.»
Cette vaste fresque éclaire la variété des croyances pour assumer sa vie pleinement. Les convictions sur l’au-delà sont la saveur, la couleur de notre propre vie… mais ne disent que des vérités relatives, propres à chaque religion. Il ne s’agit que de foi. Ceux qui sont passés au-delà ne reviennent jamais nous réconforter quant à nos interrogations!
Marie-Thérèse Bouchardy
François Gachoud
Explorer l’intime, au cœur de nos jardins secrets
Gollion, La Source Vive 2016, 208 p.
L’auteur, professeur de philosophie, pour explorer l’intime au cœur de nos jardins secrets, imagine un dialogue : un professeur à la retraite reçoit un jour un téléphone d’une de ses anciennes élèves devenue archéologue et vivant en Grèce. Elle l’invite pour un séjour dans sa maison au Cap Sunion afin de pouvoir, pendant quelques semaines discuter avec lui. Ce livre relate leurs entretiens et quelques conversations téléphoniques ultérieures. Le titre expose clairement leur fil rouge: l’intériorité fait de chaque être une personne comparable à nulle autre, en un mot irremplaçable.
Avec délicatesse, le philosophe, qui selon lui est un élaborateur de concept, analyse la culpabilité d’un enfant abusé dont l’harmonie a été mutilée. Quelques jours plus tard, on s’approche de la notion d’âme, présente dans quasi toutes les cultures et civilisations, distincte du corps mais jamais séparée tant que nous sommes vivants, et qui serait le principe de la vie invisible, le souffle.
Lors d’un entretien, la conversation tourne autour de l’amour de soi, du respect d’autrui et de sa dignité. Une femme violée est volée dans sa dignité profonde, la violence dont elle a été victime porte atteinte à sa propre vie. Puis, c’est J. J. Rousseau, avec son intuition sur la question de la beauté et de l’amour, qui va occuper le centre de la scène: «L’homme est bon par nature, c’est la société qui le corrompt.» Par nature, Rousseau entend le sentiment intérieur: «La vie est l’Origine, il la nomme nature.» Selon Aristote, convoiter des choses qui sont bonnes à nos yeux mais qui causent du mal à autrui ne peut être considéré comme bien. Le philosophe Levinas souligne que la recherche du bonheur conduisant à la donation de soi (croyant ou non croyant) rejoint la parole du Christ: «Ce que vous faites au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le faites.» C’est, nous dit le philosophe, en apprenant à donner qu’on reçoit ! Schopenhauer, qui voit l’univers comme absurde et sans Dieu, tente de trouver des stratégies en quête d’un vouloir vivre afin de fuir ce monde qui ne produit que souffrance et ennui. Pour Nietzsche, qui le suivra, ce vouloir vivre c’est le concept de Volonté de puissance, le déploiement de potentialités, dans le seul but d’être plus intensément soi-même, jusqu’à l’ivresse, rejoignant là les mystiques mais sans Dieu.
Puis vient une grande question: Dieu peut-il être intime? Oui, nous répond saint Augustin dans ses Confessions. Où cherchons-nous des signes révélateurs de l’intime? Quelle place pour la pudeur dans cet espace intime? Livre intense. À lire lentement, très lentement mais quelle belle expérience!
Marie-Luce Dayer
Lytta Basset
La Source que je cherche
Paris, Albin Michel 2017, 304 p.
«Pourquoi tenter de nommer cet Indicible que nous cherchons? […] Pourquoi, après avoir trouvé Dieu, éprouvons-nous toujours le sentiment de ne pas l’avoir trouvé?» Au travers de sa propre expérience, Lytta Basset essaie de rejoindre le lecteur ou la lectrice dans sa quête spirituelle. Face à l’incapacité de dire «Dieu», elle nous incite à rester des chercheurs, à nous mettre constamment en chemin, «en quête du Réel comme un dynamisme inépuisable». En se débarrassant des vieux oripeaux de Dieu (dieu méchant, pervers, indifférent, impuissant…), en brisant les idoles, l’intuition d’une Source ouvre une expérience inattendue, une recherche qui met en joie, qui éclaire l’intelligence.
Pétrie de textes bibliques, Lytta Basset poursuit sa quête du Vivant, d’un «Dieu qui libère… mais dont nul ne peut voir le visage… un Dieu qui donne aux humains un poids de lumière». La page est à écrire, chaque jour, «au cœur même du Vide». « Les lecteurs et lectrices seront-ils rejoints -éventuellement nourris- par ce que j’ai tenté d’évoquer? […] La Source que je cherche, c’est à chaque fois la source d’une libération -par rapport au carcan dans lequel nos actes, paroles, pensées, croyances, sentiments se trouvaient formatés, donc asphyxiés.»
Oui, tout ce que Lytta Basset a mis d’elle-même dans cet essai rejoint les interrogations ou les démissions de celles et ceux qui ont pris le large des institutions, faute d’avoir pu y trouver une crédibilité de l’expression «Dieu», par peur de se remettre en question, par stagnation de l’intelligence, par paresse ou par peur du vide. Elle ouvre une brèche vers l’Altérité, le Tout-Autre, la Source, le Lieu, le Vivant… Autant de manières symboliques de nommer Dieu, qui n’enferment pas mais mettent en marche.
Marie-Thérèse Bouchardy
Dominique Bourg, Jacques Maire et Philippe Roch (dir.)
Faire la paix avec la Terre
Genève, Jouvence 2017, 192 p.
Les quatorze contributions de cet ouvrage sont le résultat de deux rencontres éco-spirituelles tenues au Val de Consolation, ancien monastère du XVIIe siècle, dans un majestueux environnement du Jura français. Sont rassemblés les principaux acteurs de la Suisse romande de ce courant de pensée, auxquels se sont jointes les voix éminentes de Pierre Rabhi et de Khaled Bentounès, cheikh de la confrérie soufie nord-africaine Al-Alâwiyya. Catholiques, protestants, orthodoxes, musulmans, juifs, bouddhistes et représentants de la religion des origines, ce chamanisme qui reste l’inspiration des peuples premiers, joignent leurs voix pour aller à l’essentiel. À savoir que nous avons perdu le nord et ne sommes plus capables de trouver un sens à la vie, notre esprit se trouvant colonisé par une fuite en avant vers la possession matérielle. Alors l’âme s’assèche et le corps ne perçoit plus le monde. Nous sommes devenus des hors-sol, qui nous chassons nous-mêmes du Paradis que fut notre Terre, laquelle subit désormais l’Anthropocène, soit la somme de nos agressions irréfléchies. Or chaque fois que nous faisons du mal à la Terre, c’est à nous que nous le faisons.
La rédemption, soit le dépassement de la «démesure anthropocentrique» (Egger), ne viendra pas de rappels à la loi ou à la morale, mais du sentiment profond d’unité, du fait de ressentir dans notre chair l’interdépendance de chaque composante de l’Univers. Apprendre à vivre cette «relation d’interdépendance» (Egger), c’est retrouver «le simple bonheur d’être en vie» (Raurich). Dès lors «les démarches de lutte pour la planète doivent être incarnées dans des démarches intérieures» (Raurich). Pour le Grand Rabbin Guedj, «la spiritualité peut pallier la déficience du discours écologique classique. On comprend que la beauté du monde est le reflet de la présence de Dieu; attenter à cette beauté, dont je suis responsable, c’est attenter au divin, c’est chasser Dieu de la planète.»
Reste une question, obsédante: puisque Dieu a créé toute chose, comment expliquer la formidable ambivalence humaine dont il nous a dotés? Là où Pierre Rabhi invoque la «puissance de la modération», fidèle aux interpellations lucides du protestantisme, la pasteure Marie Cénec ramène au «mystère du mal», à cet homme qui, «meurtri par le mal en lui (…), est néanmoins capable de sagesse, justice et bonté».
René Longet
Alexandre Yersin
Voyages chez les Moïs d’Indochine
Genève, Olizane 2016, 196 p.
Incroyables aventures et extraordinaire exploit d’un médecin vaudois dans la partie sud de la cordillère Annamitique, de 1890 à 1894, avec tous les risques encourus : pluies diluviennes, chemins pas toujours tracés ou accessibles seulement à dos d’éléphant, sangsues, tigres, accueils plus ou moins mitigés… Alexandre Yersin, curieux et téméraire, traverse des régions dont les populations sont minées par des guerres intestines. Impossible de voyager léger dans ces régions où l’argent n’a pas cours et où il faut échanger ses services contre des cotonnades ou de la bibeloterie, selon le bon vouloir des chefs de village. Le médecin a appris à aimer ces « sauvages », les Moïs: «Ce sont de grands enfants qui ont besoin d’être dirigés par une main forte et juste», dit-il. Cartographie, vaccinations, diplomatie pour réunir des tribus en guerre les unes contre les autres.
Ce sont les récits de quatre de ses voyages qu’il retrace ici, parus dans diverses revues et publications entre 1893 et 1943. Plus tard il découvrira le bacille de la peste, à Hong-Kong. Une lecture riche en rebondissements et en humanité.
Marie-Thérèse Bouchardy
Ce lundi 21 août, les Étasuniens vont vivre une éclipse solaire totale. Une belle occasion de se souvenir que c'est en observant le Soleil caché derrière la Lune dans le golfe de Guinée, qu'Arthur Stanley Eddington a pu vérifier en 1915 la théorie de la relativité générale d'Einstein.
Une aventure scientifique pleine de rebondissements, où Eddington, Einstein, Lemaître, Hoyle et Gamow se lisent, se croisent et croisent même le fer par moments, relatée pour "choisir" par l'historien des sciences Jacques Arnould: Pourquoi ce ciel noir ?
Pour développer le thème de la "Nuit", vous pouvez commander le choisir n° 682, janvier-mars 2017, auprès de . Prix 13,50 frs + frais de port. Découvrez ici son sommaire.
Il y a 100 ans naissait Oscar Romero, archevêque du San Salvador, défenseur des droits de l'homme et des paysans, assassiné en mars 1980, béatifié en 2015. Sa biographie offre un concentré des changements de l’Église latino-américaine durant les dernières décennies. Le Père jésuite Martin Maier, grand connaisseur de la théologie de la libération, qui a vécu plusieurs années au San Salvador, dressait son parcours dans choisir à l'occasion du 20e anniversaire de son assassinat. Un article à redécouvrir pour en savoir plus sur cette figure exceptionnelle de l’Église contemporaine.
Retrouvez Martin Maier sj dans choisir n° 685, à paraître en octobre 2017, pour une réflexion autour des liens entre la foi chrétienne et la révolution, autour de la théologie de la libération et de Laudato Si'.
HISTOIRE
Sarah M. Grimké
Lettres sur l’égalité des sexes
Introduction, traduction et notes
par Michel Grandjean
Genève, Labor et Fides 2016, 278 p.
Sarah Grimké (1792-1873) a grandi à Charleston en Caroline du Sud, dans une famille riche et influente. Petite, elle est déjà sensible aux inégalités et sympathise avec les enfants des esclaves des plantations. Adolescente, elle découvre qu’elle ne pourra pas devenir avocate, les études étant réservées aux garçons. Il ne lui reste qu’à combler ses lacunes d’instruction par elle-même... Les manuels de latin et de grec que lui amène son frère Thomas la rendent capable de lire la Bible dans ses langues d’origine, ce qui lui permet de contrer les interprétations de versets bibliques dont abusent certains pour justifier l’oppression des Noirs et des femmes.
À partir de 1821, la jeune femme vit à Philadelphie, le centre de la lutte anti-esclavagiste. Elle y est rejointe par sa sœur Angelina. Elles s’engagent de concert pour l’égalité des droits entre tous et toutes et pour l’abolition de l’esclavage. Angelina est la première femme américaine à dénoncer publiquement l’esclavage. Elle devient l’idole des abolitionnistes et la bête noire des esclavagistes. Sarah, meilleure écrivaine qu’oratrice, rédige entre 1837 et 1838 ses quinze Lettres sur l’égalité des sexes, accessibles maintenant en français grâce à Michel Grandjean, professeur d’histoire du christianisme à l’Université de Genève, qui les a traduites en respectant le langage épicène de l’auteure et les a annotées et commentées. Michel Grandjean introduit son édition avec une biographie des sœurs Grimké et un aperçu du contexte historique.
Le travail théologique de Sarah Grimké maintient vivante l’essence d’une religion révélée dans des conditions historiques et sociales très éloignées. Son combat abolitionniste et son féminisme appuyés sur la Bible sont rejoints aujourd’hui par l’engagement social de militantes féministes ou tiers-mondistes chrétiennes, ainsi que par la lutte des féministes musulmanes pour lesquelles le Coran légitime le combat contre le patriarcat.
Anna Spillmann
TEMOIGNAGES
René Longet
Aller à l’essentiel
Repères pour notre temps
Entretiens avec Sandra Widmer Joly
Bière-Nîmes, Cabédita-Riresc 2016, 104 p.
Partir de l’« indignez-vous » pour aller à l’« engagez-vous ». Agir, fédérer, se responsabiliser, prendre conscience des menaces et des défis, se regrouper pour atteindre plus d’efficacité, telle est la morale très volontariste de René Longet. Elle s’est manifestée dans une vie d’engagement à en donner le tournis.
Dans la politique d’abord. René Longet a commencé curieusement par le haut, avec neuf ans de présence au Conseil national, puis a terminé avec trois législatures à l’exécutif de la Commune d’Onex. Cela correspond à son très fort désir de rester au contact de la réalité. Socialiste certes, mais pragmatique. La politique ne se fait pas contre l’économie, note-t-il, sa fonction doit être d’orienter la formidable énergie de l’économie de marché vers l’intérêt du plus grand nombre.
Son autre préoccupation centrale est celle de l’environnement. Ce citadin a gardé un contact étroit avec la nature. La découverte des désastres environnementaux l’a conduit à une attention à l’économie de montagne et à une incessante activité pour une mobilité responsable, le développement durable et la sortie du nucléaire. Car René Longet a une éthique humaniste. Il voit un parallélisme entre notre traitement de la nature et celui des humains. Et s’il aime la proximité de la politique communale, cantonale, fédérale, il reste convaincu que l’ampleur des problèmes nous oblige à les traiter dans leur dimension internationale.
Un pied dans l’associatif, un autre dans le monde politique donc, et un troisième dans les médias pour propager ses idées : le militant n’a pas ménagé sa peine. Beaucoup finissent fatigués, aigris, désabusés, remarque-t-il, mais lui n’en prend pas le chemin. « De plus en plus de gens n’arrivent plus à suivre, ni physiquement, ni moralement, cette course effrénée où l’on court on ne sait ni où ni pourquoi, et se retrouvent au bord du chemin. »
Je connais l’affection de René Longet pour François d’Assise, or il y a un mot que je n’ai pas vu apparaître dans son texte et qui mériterait d’y figurer : contemplation. Chez le pauvre d’Ombrie, l’amour de la nature, de l’homme et du Créateur donne cette unité qui apporte paix et repos dans la fraternité.
Jean-Blaise Fellay
Raphaël-Emmanuel Verhaeren
Histoire d’une conscience
Paris, Parole et Silence 2017, 458 p.
L’auteur, né en 1934, en Belgique, a d’abord été prêtre-ouvrier de 1962 à 1967. Son engagement au service d’autrui, son militantisme n’ont jamais faibli, mais le stress, la remise en question de son sacerdoce, le manque de dialogue dans l’Église, malgré le concile Vatican II, ont eu raison de sa santé.
On le retrouve à Paris (études de sociologie), puis à Grenoble (études d’économie qui le conduiront à être chercheur au CNRS). Son engagement syndical ne faiblit pas, car « l’amour passe aussi par le désir d’améliorer les conditions d’existence des gens ». Mariage, naissance de sa fille, rupture, amour de la montagne, perte de Dieu, rencontres aussi nombreuses que ses interrogations... La pratique du zen, ses recherches de plus en plus profondes au gré de ses expériences spirituelles lui redonnent confiance en une puissante énergie de Vie et lui font retrouver le sens du sacerdoce dans la « découverte d’un Souffle capable de nous libérer de nos chaînes ».
D’une vie très remplie où, en plus de son travail, il accompagne divers groupes spirituels dans l’esprit du zen, du dialogue interreligieux et de la lecture de la Bible ou d’autres textes des grandes traditions religieuses, il réussit à faire un hymne au silence, à l’amour, à l’ouverture de la conscience.
En relatant avec passion les étapes de sa vie, c’est tout un pan de l’histoire du militantisme, des combats ouvriers, de l’histoire de l’Église de la deuxième moitié du XXe siècle qu’il retrace. Dans la franchise et la transparence, ce livre témoigne des difficultés, des obstacles, du chaos parfois, mais éclairés par la lumière de l’Évangile. Par son sérieux, ce parcours de vie vaut la peine d’être lu pour éclairer nos propres interrogations.
Marie-Thérèse Bouchardy
PORTRAIT
Hervé de Boisbaudry
Jeanne de Lestonnac
Nièce de Montaigne,
fille de Marie, sainte
Paris, Cerf 2016, 100 p.
Admirable de ténacité, d’audace, d’organisation, d’humilité et de foi, cette fondatrice de la Compagnie de Marie-Notre-Dame (en 1607) qui, s’inspirant de ce que les jésuites avaient entrepris pour les garçons, a innové en créant des écoles pour filles. « À 51 ans, consciente du rôle croissant de la femme dans la société et de la médiocrité des propositions éducatives féminines, elle s’engage avec quatre compagnes dans une nouvelle forme de vie religieuse liant action et contemplation. »
Cela se réalise à Bordeaux où elle est née. Veuve à 41 ans et mère de famille, Jeanne de Lestonnac se met au service des malheureux, tout en administrant un grand domaine. Souhaitant devenir religieuse dans l’esprit ascétique de Thérèse d’Avila, elle entre au monastère des Feuillantines, à Toulouse, avant de retourner à Bordeaux où son projet d’une école pour les filles se met en place. Le calvinisme avait alors de profondes racines dans cette ville. Le père de Jeanne était un catholique convaincu et sa mère une calviniste engagée, d’où des heurts entre la fille et la mère.
La Compagnie de Marie-Notre-Dame va rapidement connaître un essor surprenant. À la mort de Jeanne en 1640, il y aura déjà trente maisons en France. Le but initial s’élargit, l’éducation demeurant l’essentiel : « Dans les lieux où l’attention sanitaire et l’éducation à la santé sont des nécessités urgentes, les hôpitaux, les centres de santé, les écoles d’infirmières sont des plateformes mises au service du soin et de la dignité de la vie. » Aujourd’hui, la Compagnie est répartie dans 26 pays et comprend 1470 religieuses et un grand nombre de laïcs engagés dans la mission éducatrice.
Béatifiée en 1900 et proclamée sainte en 1949, Jeanne témoigne, par son parcours lumineux, de la vitalité de l’être humain guidé et soutenu par la grâce de Dieu.
Willy Vogelsanger
SPIRITUALITE
Daniel Marguerat
Et la prière sauvera le monde
Bière, Cabédita 2016, 96 p.
Que peut-on faire pour travailler au Bien commun, aspiration nécessaire pour le Vivre ensemble. Daniel Marguerat partage ce qui lui paraît être essentiel : prier, car, il en a la conviction, c’est la prière qui sauvera chacun d’entre nous et finalement le monde. Citons quelques-uns de ses bienfaits.
La prière nous apprend à être disponibles à cette sidérante rencontre avec le Seigneur. Prier Dieu, parler à Dieu, c’est faire le pari que le silence qui fait écho à nos paroles n’est pas l’indice d’une absence, mais d’une certaine présence. En particulier dans l’épreuve. Celle-ci peut être si rude qu’elle fait perdre confiance en Dieu et en la vie. C’est alors qu’il nous faut demander à Dieu de nous rendre résilients, sachant que la certitude d’être aimé de Dieu constitue le socle de toute capacité à rebondir.
La prière est aussi ce lieu où, peu à peu, l’incrédulité se laisse contaminer par une confiance et un abandon à Dieu qui peut tout. Prier nous installe dans l’espérance, fait de nous des espérants. Au moment où il se place devant son Dieu et lui adresse des mots, le priant sait qu’en lui s’opère un phénomène dont il n’a pas la maîtrise : le souffle de l’Esprit le traverse et le transforme.
Tout au long de ses pages limpides, riches en citations bibliques, l’auteur traite ces questions essentielles : pourquoi prier ? quel Dieu prions-nous ? comment est-on exaucé ? la prière est-elle à même de nous transformer intérieurement ? Il cite de grands théologiens comme le Suisse Karl Barth dont la parole est toujours actuelle : « Joindre les mains pour prier, c’est se mettre à lutter contre les désordres du monde. »
Monique Desthieux
BIBLE
Andreas Dettwiler
Dans les coulisses de l’Évangile
Conversations avec
Matthieu Mégevand
Montrouge/Genève, Bayard/Labor
et Fides 2016, 220 p.
Il y a le maître, professeur de théologie à l’Université de Genève et spécialiste du Nouveau Testament, et l’ancien élève, éditeur et écrivain. L’ancien élève pose des questions très pertinentes et le maître donne des réponses ... autant que faire se peut.
Tout commence lors d’un cours de première année où, à la question de l’élève, le maître répond : « Dans ce sens, oui. On peut dire que Jésus s’est trompé. » Des années plus tard, cette réponse, qui avait interloqué et stimulé l’élève, ouvre le dialogue de ce livre.
Dans les coulisses de l’Évangile devrait permettre au lecteur d’apprécier, de manière scientifique mais accessible, le Nouveau Testament : sa formation, les livres qui le composent, la figure de Jésus, celle de Paul, la résurrection, les anges et les démons, les miracles, le christianisme naissant, la place des femmes, la sexualité et... la question de l’exclusivité de la foi chrétienne.
En lisant Paul et ses premières réceptions, on apprend beaucoup de choses, par exemple que ce qu’il considère comme vrai est toujours subjectif et concret. Subjectif dans le sens que cette vérité (le Christ) traverse et touche l’existence humaine dans son entier. Quand Paul évoque la figure du Christ, ce n’est pas tellement le Jésus de l’histoire (ses paroles, les détails de sa vie) qui l’intéresse, mais le projet de vie de ce Jésus. Le Jésus de Nazareth que nous suivons a voulu, à travers les paraboles, permettre aux gens de faire l’expérience de la proximité de Dieu et de la vivre comme un événement heureux et libérateur.
À une question sur le paradigme apocalyptique, le maître répond que ceux qui se sont servis de l’univers apocalyptique, avec sa temporalité, son imaginaire, vivaient à un époque de représentations qui n’est plus la nôtre. Ce serait une erreur de vouloir forcer le croyant à y adhérer.
Ce livre se lit avec intérêt : il propose une lecture audacieuse des textes et revient sur bien des idées préconçues, permettant d’approfondir et d’actualiser la foi chrétienne pour le monde contemporain.
Marie-Luce Dayer
Philippe Lefebvre
Propos intempestifs de la Bible sur la famille
Paris, Cerf 2016, 184 p.
L’auteur, dominicain et professeur d’Écriture sainte à l’Université de Fribourg, nous invite dans ses « propos intempestifs », en douze chapitres tous aussi intéressants les uns que les autres, à sortir des fausses évidences et à nous laisser bousculer pour aller vers des horizons nouveaux.
Ce livre, que je conseille vivement, insiste sur la nécessité de déposer ce que l’on croit savoir, afin d’écouter une Parole venue de plus loin que nous. Un psaume (119) nous éclaire : « Ouvrir tes paroles produit de la lumière et donne de l’intelligence aux gens simples. » Laissons-nous donc interroger par la Bible et prenons en compte certains aspects qu’elle suggère, afin d’y trouver un terreau sur lequel faire germer une réflexion.
L’auteur traite de la Bible et de la mémoire familiale, et revisite les mythologies, mythomanies familiales. Que signifient les termes homme et femme dans des cultures si éloignées de celle dans laquelle nous vivons ? Il faut aussi se souvenir que les mots des traductions successives ne veulent pas dire, dans les langues sources, ce qu’ils signifient aujourd’hui dans les idiomes européens.
L’Église n’échappe pas à la discordance : certains de ses membres déploient leur enseignement en complète contradiction avec leur façon de vivre. Bien sûr, il n’est pas question de se faire le juge des siècles passés, ni de tomber dans des fantasmagories sur la famille éternelle. Aborder la Bible requiert ascèse et retenue, car elle a été élaborée dans d’autres sociétés, dans d’autres temps et ne se transpose ni ne s’applique si aisément.
Philippe Lefebvre pose aussi un regard lucide sur les guerres qui ont provoqué des traumatismes terribles, lesquels se révèlent souvent deux ou trois générations plus tard, ou sur la colonisation. Dans le dernier chapitre, il passe en revue de nombreuses questions qui fâchent, comme les divorcés remariés, la répudiation des femmes, le mariage et les noces, les rencontres tâtonnantes et... le Christ époux d’une Église qui n’est pas celle qu’on pense. On ne ressort pas de ce livre comme on y est entré...
Marie-Luce Dayer
Chantal Reynier
Paul et la miséricorde
Paris, Cerf 2016, 114 p.
Au premier abord, ce ne serait pas auprès de Paul, l’apôtre des nations brandissant le glaive de la parole de Dieu, que nous chercherions un éclairage sur la miséricorde. Pour l’auteure, qui a scruté moult indices sur la biographie de Paul, ce n’est d’ailleurs que quelques dizaines d’années après sa rencontre avec le Christ que Paul évoquera la miséricorde de Dieu. Dans une lettre adressée à Timothée, tout en se remémorant son passé, il rend grâce au Christ qui lui a fait miséricorde.
Dès lors, son passé de persécuteur ne l’effraiera plus tant la miséricorde du Christ reçue apaisera ses angoisses, lui permettant d’entrer dans un rapport personnel avec son Seigneur, dont il parlera avec des mots dont lui seul a le génie.
Dans l’excès de la négation de Dieu où il se trouvait, Paul est rejoint par l’excès de la miséricorde de Dieu, inouïe, gratuite, infinie. Sa pensée et sa théologie futures sont en germe dans cette expérience unique qui illuminera le reste de sa vie. Ainsi l’apôtre aura à cœur de montrer comment Dieu déploie pour chacun les ressources infinies de sa miséricorde. S’il ne peut garder pour lui une telle expérience, c’est qu’elle est liée à sa mission et concerne l’humanité tout entière. Son témoignage atteste que son expérience peut être la nôtre, comme elle le fut pour saint Augustin, Paul Claudel, Max Jacob et tant d’autres.
Chantal Reynier nous fait part des bienfaits de la miséricorde enseignée par saint Paul, que ce soit la tendre compassion, la bienveillance, l’humilité, la douceur, la patience. L’apôtre nous entraîne à « être miséricordieux comme le Père » (Lc 6,36), c’est-à-dire à l’aimer de tout notre cœur, en nous laissant inspirer par l’Esprit saint. Lui dire que nous l’aimons, non par des paroles ou un activisme sans fin, mais par le service discret et attentionné à nos frères.
Monique Desthieux
GUIDE
Aude Ceccarelli
Kazakhstan. Chroniques vagabondes
Genève, Olizane 2017, 192 p.
Entre guide touristique et récit de voyage, ces chroniques sous forme d’abécédaire relatent le séjour de plusieurs années de l’auteur au Kazakhstan. En évitant une trace linéaire, nous plongeons dans un récit alerte, enjoué, émotionnel (le « tu » utilisé par l’auteur permet un certain recul), ancré dans la réalité sociale vécue au fil des jours. La curiosité aiguise les découvertes, les rencontres ; la visite des sites balaye tout le champ géographique du pays. Un panorama intéressant, complété par une carte, une bibliographie et une recette de cuisine kazakhe !
Une visite en sus, cet été, à l’Exposition universelle d’Astana, la capitale du Kazakhstan, permettra certainement de retrouver ces sensations dépaysantes et d’élargir ces connaissances.
Marie-Thérèse Bouchardy
PHILOSOPHIE
François Gachoud
Quand la philo donne le vertige
Exercices et intuitions
Gollion, La Source Vive 2016, 220 p.
Voilà un livre que j’aimerais avoir écrit. Je m’y retrouve en ce que je fus, comme François Gachoud, professeur de philosophie dans un collège, face à des jeunes de bonne culture qu’il s’agissait d’éveiller à cette discipline de l’esprit et à cette ouverture de l’intelligence qu’est la philosophie -soit à des questions fondamentales, aujourd’hui globalement appelées « existentielles ».
L’exercice que propose le pédagogue -au sens grec du terme et non à celui d’une pseudoscience enseignée à l’Université- est d’inspiration socratique. L’aporie est à considérer comme une première forme du vertige -une notion qui s’élargit dès lors qu’en philosophie le souci de l’existence l’emporte sur la définition de l’essence.
Gachoud est continûment fidèle à un propos central diversifié en quinze thèmes : l’idée que la philosophie introduit un vertige de la pensée, pratique une remise en question d’évidences sécurisantes et côtoie hardiment les abîmes. Et cela jusque dans le domaine de la science. C’est pourtant moins Heisenberg ou Einstein qui l’intéresse ici, que Pascal et Kierkegaard ; moins le scientifique ébloui par des innovations, que l’humain ébranlé par l’abîme qui environne son être, par la contingence qui fragilise son existence et par l’immensité de l’inconnu qui lui signifie ses limites. Donc ce qui alimente la réflexion « existentielle » sur la condition humaine et sur les éblouissements que peut provoquer le Réel.
Un beau chapitre sur le risque de la foi rappelle ce que le vertige signifie pour Kierkegaard. Je tiens toutefois à souligner une remarque relative à Nietzsche (chapitre 4), centrale à mon sens, sur le vertige de la vie : « Oui, Nietzsche au travers de son intuition de l’‹ éternel retour › percevait qu’il y a tout au fond de la vie qui surgit en son fond créateur, un principe de renouvellement et de transfiguration. (...) Ce pouvoir transfigurateur de la vie, quand il surgirait de la chair même contre la puissance de mort, porte un nom : résurrection. Le mystère de la résurrection représente sans doute le vertige le plus insaisissable de la vie. »
Philibert Secretan