Un rapport sur la qualité des eaux souterraines en Suisse, présenté jeudi 15 août 2019 par les autorités fédérales, montre que 15 à 20% des stations de mesure présentent des niveaux de nitrates supérieurs aux valeurs-limites. Sur le Plateau, là où l’agriculture est la plus intensive, ce sont 40% des sites qui dépassent les normes en la matière. Le problème est similaire pour les pesticides: 20% des stations analysées présentent des taux supérieurs à la norme.
La création nous donne tout ce dont nous avons besoin pour vivre sur Terre. Nous avons le devoir de conserver ces bases naturelles de la vie dont dépendront les générations à venir et tous les êtres vivants : de l’eau propre, des sols fertiles, une grande biodiversité, de l’air pur. Pour cela, il nous faut adapter notre production et notre consommation, notamment alimentaire.
Une grande partie de notre eau potable tombe, au sens propre, du ciel. Les eaux de pluie s’infiltrent dans les sols et alimentent les nappes phréatiques. D’où l’importance pour la qualité des eaux souterraines, et donc pour notre santé, d’une bonne composition des terres agricoles et des matières auxiliaires avec lesquelles nous produisons la nourriture.
Or nous ne sommes pas informés de manière transparente et honnête sur les conséquences de notre production alimentaire actuelle. On nous fait miroiter des campagnes idéales, verdoyantes, où poules, cochons et vaches (bien entendu avec des cornes) batifolent en liberté sous un ciel bleu. Cela n’a rien à voir avec la réalité. En Suisse, les poulets et les porcs vivent serrés les uns contre les autres.
L’élevage intensif, source de danger
L’agriculture -l’élevage en particulier- cause deux fois plus d’apport d’azote atmosphérique (et donc d’ammoniac, un gaz à base d’hydrogène et d’azote) que les transports, l’industrie et les ménages réunis. La Suisse se distingue dans cette surproduction. Elle engendre les émissions d’ammoniac à la surface des sols les plus élevées d’Europe, après les Pays-Bas : 95 % d’entre elles proviennent de l’agriculture, dont 90 % de l’élevage et du lisier (déjections animales liquéfiées). Cet ammoniac entraîne l’acidification et la surfertilisation des eaux, des sols et des forêts, menace la biodiversité, détériore le climat et pollue nos poumons avec ses poussières fines. Nos lacs souffrent aussi des excédents de fumure engendrés. En raison d'apports élevés en phosphate, les lacs de Baldegger, Hallwil, Sempach et Greifensee sont oxygénés artificiellement depuis des décennies déjà. Ces mesures coûtent chaque année des millions aux contribuables.
À ces facteurs de pollution des eaux s’ajoute le problème des antibiotiques. La production animale intensive, extrêmement éprouvante pour les animaux, ne peut fonctionner sans antibiotiques. La Suisse utilise pour ce faire des tonnes d’antibiotiques, qui sont épandues dans les champs via le lisier et le fumier, et de là entraînées dans le cycle de l’eau. Cela favorise la formation de bactéries résistantes aux antibiotiques. On en a même retrouvé dans notre eau potable. Une résistance qui inquiète la Commission fédérale d’experts pour la sécurité biologique, qui a qualifié en 2014 les bactéries de «plus grande menace biologique pour la santé de la population en Suisse».
Les pesticides dans nos eaux
Un autre problème pour les eaux est l’utilisation par l’agriculture suisse de pesticides, une pratique qui est devenue une normalité malgré les milliards investis dans les prestations écologiques requises depuis 1996. Les conséquences sont dévastatrices. Des cocktails de pesticides contenant jusqu’à 128 substances actives ont été mesurés dans nos cours d’eau et dans nos eaux souterraines (dont proviennent 80 % de notre eau potable) et les valeurs limites des pesticides dans les eaux de surface sont souvent dépassées. Or les eaux de surface alimentent également les captages d’eaux souterraines.
Mais au lieu de s’attaquer à la source du problème, le Conseil fédéral veut actuellement relever ces valeurs! (Cf. René Longet, Pesticides, un pas en avant, deux en arrière?) En ce qui concerne le glyphosate, la limite devrait même augmenter de 3600 fois, passant de 0,1 microgramme à 360 microgrammes par litre. Pourtant le glyphosate reste l’un des pesticides les plus controversés dans le monde. L’Organisation mondiale de la santé le considère comme «probablement cancérigène» et une nouvelle étude a montré qu’il affaiblit le système immunitaire des abeilles.
Un autre futur est possible
Avec l’Initiative pour une eau potable propre, nous voulons faire prendre conscience de l’urgente nécessité de réorienter la production de denrées alimentaires en Suisse. Nous demandons que les milliards de francs de subventions alloués par l’État à l’agriculture soient dirigés vers une production alimentaire sans pesticides et un élevage sans antibiotiques préventifs. Nos adversaires rétorquent à l’envi que la production agricole est impossible sans pesticides et que s’en passer menacerait notre sécurité alimentaire, alors même que des milliers d’agriculteurs nous prouvent le contraire depuis des décennies, engrangeant de hauts rendements et un certain succès économique.
Selon des recherches d’Avenir Suisse, la production alimentaire actuelle engendre des coûts supplémentaires annuels de 7,9 milliards. Mais si l’agriculture conventionnelle devait payer les dommages consécutifs à sa production, ses produits seraient beaucoup plus chers que les aliments produits de manière durable. Il faut le montrer à la population au lieu de la menacer de hausses de prix! D’autant plus que la demande des consommateurs et consommatrices en aliments sans pesticides augmente sans cesse.
Avec la volonté politique, les exigences de l’initiative déposée l’an passée pourraient être mises en œuvre. Le Conseil fédéral n’a-t-il pas admis en 2016 qu’après vingt et un ans de paiements directs, l’agriculture n’avait atteint aucun de ses objectifs environnementaux? Il est temps de chercher d’autres voies pour assumer la responsabilité des ressources nécessaires à notre vie.