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vendredi, 19 septembre 2014 10:14

Centreafrique. A la recherche de la paix

Malgré son nouveau gouvernement de transition, la République Centrafricaine s'enfonce dans une guerre meurtrière, aux accents confessionnels. La France et l'Union européenne y ont envoyé à la mi-février des soldats supplémentaires. Comment le pays en est-il arrivé là ? Retour sur une histoire mouvementée, marquée depuis 30 ans par une instabilité politique qui nuit au développement.

La République Centrafricaine (RCA) reste un territoire mystérieux et méconnu par les Occidentaux, malgré son nom si facile à retenir. Cet immense pays, très peu peuplé,[1] est l'un des plus pauvres au monde. Pourtant, il possède un énorme potentiel, car son sous-sol est particulièrement riche en minerais. Sa production officielle de diamants alluvionnaires, située dans le sud-ouest, est de très bonne qualité et sert pour les diamants de joaillerie (entreprise de Beers, Afrique du Sud). Autres minerais recherchés, l'aluminium, le cuivre et l'uranium, qui est exporté par le groupe industriel français Areva. Tout cela suscite de la convoitise.
Située au beau milieu de l'Afrique, partageant ses frontières avec des pays aux visages très diversifiés (tels les deux Soudan, en guerre, le Tchad, pays quasi désertique, ou le Cameroun, pourvu de montagnes et de bordure de mer), la RCA souffre d'une longue histoire d'instabilité politique et de soulèvements. Depuis son indépendance en août 1960, elle a connu de nombreux changements de régime, le plus célèbre étant celui de l'empereur Jean-Bédel Bokassa.[2] Aussi peine-t-elle à se frayer un chemin vers le développement. La corruption y est omniprésente et certains gouvernants, mal inspirés, prennent la gestion de la nation pour un exercice où seuls comptent l'intérêt personnel, l'essor du clan, de la famille ou de l'ethnie. En outre, depuis 2008, la LRA (Lord's Resistance Army)[3] et son leader, l'ougandais Joseph Kony, se trouvent sur le territoire centrafricain. Ce mouvement de rébellion, à l'origine lancé contre le gouvernement ougandais, est marqué par Interpol et la CIA de la notice rouge.[4]

La Séléka...
En 2003, après avoir connu plusieurs années d'exil, l'ancien général de Bokassa et militaire de carrière François Bozizé arrive au pouvoir suite à un coup d'Etat, alors que son prédécesseur, Felix-Ange Patassé, se trouve en voyage à l'étranger. Bozizé va exercer son pouvoir jusqu'au 24 mars 2013.
Suite à son incapacité à faire taire son propre ego, son tribalisme, la corruption et l'impunité, il est renversé à son tour par une alliance militaire, appelée la Séléka (coalition, en sango, langue principale du pays avec le français). La coalition rebelle prend le contrôle de Bangui - capitale et ville la plus peuplée du pays, avec un peu moins d'un million d'habitants - au terme d'une offensive éclair. Le président Bozizé fuit au Cameroun. Le chef de file de la Séléka, Michel Djotodia, de formation militaire et diplomate, s'autoproclame alors président par intérim.
Depuis lors, la RCA se trouve en proie au chaos généralisé. On estime le nombre de morts à plusieurs milliers, principalement des civils, et le nombre des réfugiés (en majeure partie au Cameroun et en RDC) à un million (chiffres de janvier 2014). Un centrafricain sur cinq ! Pour certains observateurs internationaux, cela s'explique par la nature même de la Séléka, une « coalition de groupes très hétérogènes, appuyée par des mercenaires étrangers, des brigands et des coupeurs de route de tout poil ».[5]
Mais revenons au changement anticonstitutionnel du 24 mars 2013, soit à la prise du pouvoir par les troupes rebelles de la Séléka, pour une période dite de transition de 18 mois maximum, censée culminer avec la tenue d'élections présidentielles et législatives. La situation n'évoluera pas comme prévu. Sur le plan politique, plusieurs désaccords opposent les deux têtes de l'exécutif, à savoir le président Michel Djotodia et le Premier ministre Nicolas Tiangaye. Ils n'arrivent pas à donner l'impulsion nécessaire à la conduite de la transition.
Les provinces sont particulièrement touchées par le chaos. Les paysans fuient les villages, ne se sentant plus protégés par les troupes centrafricaines, celles-ci n'existant par ailleurs quasi plus. Leurs récoltes sont régulièrement pillées et saccagées. A Bossangoa, région de l'ancien président Bozizé, chef-lieu d'une préfecture importante, sont installés des camps de fortune abritant de nombreux déplacés. Les épidémies (rougeole, paludisme) y prolifèrent. La crise sanitaire s'accompagne d'une crise alimentaire, provoquant une flambée des prix des denrées de base. Les Nations Unies estiment ainsi que 2,6 millions de Centrafricains ont besoin d'une aide humanitaire d'urgence.[6]

...et les anti-Balaka
Officiellement dissoute en septembre 2013, la Séléka continue à terroriser les civils. Ses dirigeants, militaires de formation, se posent en chefs et s'octroient de véritables fiefs en province, sans même l'accord de Bangui. Ils règnent par la terreur, incendiant des centaines de villages et tirant au hasard sur des habitants terrifiés, majoritairement chrétiens. Des milices d'autodéfense villageoises se créent alors : les anti-Balaka (antimachette, en sango).[7] Ce groupe s'érige contre certains dirigeants de la Séléka, principalement des musulmans, d'origine étrangère parfois, soit soudanaise soit tchadienne. A prédominance chrétienne et animiste les milices anti-Balaka ripostent à la violence des Séléka en commettant elles-mêmes des abus. La situation humanitaire se dégrade encore considérablement à la suite des attaques meurtrières du 5 décembre 2013, à Bangui, lancées par des éléments anti-Balaka.[8]
Se joignent à ce groupe des partisans de l'ex-président Bozizé et des anciens militaires de l'armée centrafricaine régulière, les FACA, de retour de leur fuite au Cameroun ou au Congo.

Réaction française
Les exactions répétées des Séléka et le désordre causé par l'intervention des anti-Balaka incitent la France à lancer l'opération Sangaris, après douze mois de préparation (la première réunion sur le sujet de la Centrafrique s'était tenue le 3 décembre 2012 au Ministère de la défense, à Paris). C'est sur la base de trois sources indépendantes les unes des autres - les Services français de renseignement, des organisations non-gouvernementales, telles Mercy Corps ou le Programme alimentaire mondial (PAM), et des institutions religieuses chrétiennes et musulmanes - que François Hollande décide d'intervenir militairement en Centrafrique. «
Les rapports dramatiques des ONG et des Eglises... ont joué un rôle, mettant en garde contre l'instauration d'une zone grise propice aux infiltrations djihadistes au cœur de l'Afrique. A cet égard, le syndrome rwandais, qui poursuit les socialistes français depuis plus de vingt ans, a pesé de tout son poids. Surtout ne pas être accusés d'avoir, par indifférence, laissé se perpétrer des massacres dans un pays où la France est censée exercer une responsabilité historique. »[9]
Mais la France ne peut se permettre de jouer cavalier seul, il lui faut un allié de poids : les Nations Unies. La résolution présentée par la France est adoptée à l'unanimité le 5 décembre 2013 par le Conseil de sécurité de l'ONU. Celle-ci autorise les troupes françaises et la force panafricaine à faire usage de la force. Pour le président Hollande, au plus bas des sondages en France, cette intervention pourrait bien lui permettre de redorer son blason, comme précédemment avec le Mali. Pour appuyer ses troupes dans son engagement sur le terrain, le président français, de retour des grandioses obsèques de Nelson Mandela en Afrique du Sud, va même s'arrêter une journée à Bangui, accompagné par son ministre de la Défense.
Une des différences majeures toutefois entre l'opération Serval et l'opération Sangaris est que l'ennemi djihadiste est clairement identifiable au Mali, alors qu'en RCA, il se cache parmi la population et se mêle à elle. Sans parler des scènes « gratuites » de pillage qui font florès dans la capitale. La résolution des Nations Unies prévoit donc aussi la création d'une commission d'enquête sur les droits de l'homme et un embargo sur les armes à destination de la RCA pendant un an. Elle veut permettre l'établissement de la MISCA (Mission internationale de sou tien à la Centrafrique) et son dé - ploiement pour une « période de douze mois », avec pour mission de « protéger les civils, de rétablir l'ordre et la sécurité, de stabiliser le pays » et de faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire.
Placée sous le commandement du général congolais Jean-Marie Michel Mokoko, la MISCA est déployée le 19 décembre 2013. Elle comprend 4500 soldats, de différents pays contributeurs, notamment le Burundi, le Congo, la RDC, le Gabon et le Tchad. L'intervention du Tchad et de ses soldats est vite contestée par la population centrafricaine, qui leur reproche d'être en faveur des anciens rebelles, c'est-à-dire de la Séléka. La population souhaite plutôt l'envoi des Casques bleus neutres.

Pressions internationales
La France se trouve vite dépassée par les événements.[10] Les affrontements interethniques et interreligieux qui s'intensifient après son intervention font craindre à Washington une situation « prégénocidaire ».[11] La France et la communauté internationale se doivent d'intervenir, car l'instabilité de la RCA, en ce début 2014, menace de s'étendre aux pays voisins, dont la République démocratique du Congo (RDC) où un grand nombre d'ex-Séléka a trouvé refuge.[12]
C'est dans ce contexte que s'est tenu les 9 et 10 janvier derniers, à Ndjamena, capitale du Tchad, un Sommet extraordinaire des chefs d'Etat et de gouvernement de la CEEAC.[13] Ces derniers ont poussé le président et le Premier ministre de la RCA à démissionner immédiatement. On reproche, en effet, à Djotodia d'avoir progressivement perdu le contrôle des combattants de la Séléka, essentiellement des musulmans ; le président Hollande l'accuse même d'un laisser-aller. On lui reproche également de chercher à islamiser le pays à majorité chrétienne et on soupçonne ses troupes de recevoir des armes et des munitions de pays islamiques, comme le Qatar.
Le 20 janvier 2014, à l'issue d'un second tour, Catherine Samba Panza, juriste de formation, maire de la ville de Bangui, est élue chef d'Etat de la transition par les députés de l'Assemblée. Chrétienne née au Tchad, d'un père camerounais et d'une mère centrafricaine, elle parle parfaitement arabe, « ce qui la rend plus à même de comprendre la minorité musulmane ».[14]

Espoir fragile
Avec la démission du président par intérim Michel Djotodia, premier président musulman de la Centrafrique, la transition est relancée en RCA et la vie institutionnelle peut se réorganiser. Mais les affrontements entre anti-Balaka et ex-Seleka continuent à occasionner de graves violations des droits de l'homme, notamment des assassinats, des enlèvements et des pillages. Les violences interconfessionnelles, comprenant des attaques contre des mosquées, provoquent des centaines de morts et des déplacements massifs de populations. L'insécurité, combinée à la stigmatisation de certaines communautés, a poussé de nombreuses communautés étrangères à quitter le pays.
Les tâches du futur gouvernement sont donc en priorité celles du désarmement et de la démobilisation des anciens combattants de tout bord, ex-Séléka comme anti-Balaka. Dans un deuxième temps, il devra veiller à une réforme du secteur de la sécurité. Catherine Samba Panza a aussi pour mission de favoriser la réconciliation entre chrétiens et musulmans et d'organiser le retour des milliers de déplacés, dont une bonne partie de l'intelligentsia.
Pour rétablir l'ordre, les nouvelles autorités centrafricaines peuvent compter sur le soutien militaire des troupes françaises de l'opération Sangaris, mais aussi sur les soldats de la MISCA, dont les effectifs doivent être portés tout prochainement à 6000 hommes.
Le nouveau gouvernement centrafricain peut également compter sur l'aide de la Banque mondiale, qui a annoncé en janvier qu'elle mobilisera 100 millions de dollars d'aide d'urgence pour la République centrafricaine. Une aide qui vise à rétablir les services publics de base et à fournir au peuple de la nourriture, des soins de santé et d'autres services vitaux. Espérons que le pays et son économie, déjà quasi inexistante vers la fin du régime de Bozizé, pourront se relever de ces cendres meurtrières...

[1] • Environ 5 millions d'habitants, répartis sur du pays. 623000 km2, dans 16 préfectures et 71 sous-préfectures.
[2] • Le 4 décembre 1976, le président Jean-Bédel Bokassa, ancien militaire au service de la France, s'autoproclame empereur, poursuivant son modèle Napoléon. Il est renversé par les services spéciaux français en septembre 1979 à la suite de l'opération Barracuda.
[3] • Traduit par « Armée de résistance du Seigneur ».
[4] • Depuis octobre 2001, les Etats-Unis ont inscrit la LRA sur la liste des organisations terroristes. Le 20 mai 2013, le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon a présenté un rapport accusant la LRA d'avoir tué plus de 100000 personnes en Afrique centrale ces 25 dernières années. Il estime également qu'elle a perpétré l'enlèvement de 60000 à 100000 enfants pour les enrôler de force et le déplacement de 2,5 millions de personnes (source : Lemonde.fr du 21 mai 2013). 623 000 km2, dans 16 s'autoproclamait empereur, poursuivant modèle Napoléon. Il sera Unies un rapport accusant la LRA d'avoir tué plus de 100000 personnes force et causé le déplacement de 2,5 millions de personnes (source mai 2013).
[5] • L'Echo illustré, Genève, 19 décembre 2013, p. 5.
[6] • Rapport du Programme alimentaire mondial du 13.01.2013. Soldats de l'armée centrafricaine.
[7] • Une autre définition est donnée : « antibalaka » viendrait de « anti-balle Aka », de AK-47, diminutif de la Kalachnikov. Bardés de leurs grigris, les anti-Balaka se pensent protégés des balles et invincibles.
[8] • Le Père Jean-Marius Toussaint Zoumalde, capucin du couvent Saint-Laurent de Bouar (nord-ouest), explique : « Auparavant, ils traquaient les coupeurs de routes parce que l'armée et les gendarmes en étaient incapables. Maintenant, ils veulent se venger des exactions commises par les Séléka. » Ces coupeurs de route, anciennement appelés les Zaraguinas, sévissent dans le nord et l'ouest du pays depuis une quinzaine d'années. Les forces gouvernementales, même à l'époque du président Bozizé, ont toujours été incapables de les neutraliser. D'où la création de milices communales, comme les anti-balaka, pour protéger les troupeaux et les villages. On aurait donc tort de croire que ces miliciens ne sont apparus qu'en septembre dernier, après les exactions massives des rebelles de la Séléka.
[9] • F. Soudan et V. Duhem, in Jeune Afrique, Paris, 18.12.1013.
[10] • Deux jours à peine après le début de l'opération Sangaris, on comptera déjà deux morts parmi les troupes françaises.
[11] • L'Echo illustré, Genève, 19.12.2013, p. 5.
[12] • Reuters.
[13] • La Communauté économique des Etats de l'Afrique Centrale est une organisation internationale créée en 1980.
[14] • Le Figaro, Paris, 21.01.2014, p. 3.

Foyers de l'espérance

L'auteur, actuellement prêtre de plusieurs villages dans la campagne genevoise, a séjourné pendant trois ans en RCA. Ancien Fidei Donum (prêtre sans frontières), il connaît bien la région et retourne régulièrement en Centrafrique. L'été dernier, il a profité de son séjour pour y rencontrer l'archevêque de Bangui, Mgr Dieudonné, ainsi qu'un des deux ministres de l'éducation. L'abbé Jelen a fondé en 2011 l'Association foyers de l'espérance, pour venir en aide aux étudiants disposant de peu de moyens. Cette association travaille en partenariat avec la JEC (Jeunesse étudiante catholique) et se propose de construire des logements pour étudiants. Un premier bâtiment devrait s'ouvrir en RCA l'été prochain. L'abbé Jelen a été aidé dans la rédaction de son article par Innocent Tikoisse, membre du comité de l'association, directeur général du Foyer de Bangui, juriste et assistant au CICR de Bangui. [www.foyers-esperance.org.]

 

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