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samedi, 06 novembre 2010 11:00

Le mariage dans l'Eglise

Legrain 42477Michel Legrain, L'Eglise catholique et le mariage en Occident et en Afrique, 3 volumes, Harmattan, Paris 2009, 176 p., 430 p. et 266 p.

Michel Legrain, missionnaire spiritain, est spécialiste des questions de sexualité et de mariage.[1] Il aborde ici la problématique de la vie matrimoniale en Occident (deux premiers volumes) et en Afrique (troisième volume).

Le premier volume, intitulé L'Eglise catholique entre méfiance et espérance, est consacré essentiellement à la critique de la structure générale de l'Eglise. Se basant sur la situation en France, l'auteur essaye de montrer que l'Eglise est fortement secouée et rencontre de nombreuses difficultés : en manque de prêtres, l'Eglise d'Occident importe ses pasteurs ; le nombre de divorces a augmenté et les chrétiens se marient de moins en moins à l'église, etc. Il analyse la doctrine de l'Eglise, ses projets, ses échecs et considère que l'urgence aujourd'hui porte sur l'annonce de l'Evangile.

Il ne condamne pas l'institution, mais sa doctrine et sa hiérarchie qui dicte les vérités à croire, les commandements à pratiquer et les rituels à observer, selon l'argumentation théologique qui dit que l'enseignement officiel de l'Eglise serait irréformable. Et de croire que les variantes proposées par les catholiques d'autres cultures, qui malheureusement restent dans les cartons de Rome, pourraient donner un nouvel élan à l'Eglise : celle-ci doit tendre vers une nouvelle évangélisation inculturée. Mais pour que l'inculturation réussisse, il faut décentraliser l'Eglise, c'est-à-dire redonner force, valeur et considération au pouvoir local. Le choc des cultures est une chance à ne pas rater.

Le tout du mariage

C'est dans ce contexte de frustration et de critique à l'égard de cette institution qui règle le mariage des baptisés catholiques que Michel Legrain aborde le second volume, qui a pour titre Ebranlement de l'édifice matrimonial. L'auteur y fait un inventaire de la vie matrimoniale entre deux baptisés, généralement en Occident, et traite différents thèmes et formes d'unions : mariage, remariage, mariage mixte, concubinage, fécondité, stérilité, avortement, adoption, etc.Il constate que l'Eglise catholique déploie depuis des siècles d'immenses efforts pour élaborer un système théologique, moral, pastoral et juridique apte à gérer le mariage des baptisés. C'est dans le bassin méditerranéen et en Occident, écrit-il, que l'Eglise a saisi, développé et systématisé l'enseignement doctrinal et pastoral qu'elle a imposé à tout baptisé concernant le mariage.

Il souligne que c'est au concile de Trente que théologiens et canonistes décidèrent que, désormais, les époux chrétiens latins qui demandent un mariage religieux doivent se présenter devant le curé ou son délégué, avec deux ou trois témoins, afin d'échanger validement leur consentement nuptial. Dès que le mariage est célébré, il devient un sacrement, et il est indissoluble dès qu'il est consommé. Autrement dit, la législation canonique affirme qu'il y a une identité parfaite entre le contrat et le sacrement. Pour les baptisés, « c'est le tout du mariage ou le rien du concubinage ».

Même si l'Eglise reconnaît que l'accès au mariage relève des droits fondamentaux, cette institution, par sa doctrine rigide, réduit la liberté de choix de ceux qui souhaitent se marier, remarque l'auteur. Elle dénie en même temps cet accès aux catholiques désirant se marier mais qui n'ont plus la foi catholique, aux catholiques divorcés qui décident de se remarier ainsi qu'à ceux non encore mariés qui veulent épouser une personne déjà divorcée. Du fait de cette législation, les unions avec les personnes qui ne partagent pas la foi catholique sont complexes.

La question est de savoir « qui contrôlera le mariage des chrétiens » ? Michel Legrain soutient l'idée d'un abandon de la logique juridico-canonique et souhaite une pluralité et une inventivité pastorales dans la célébration du mariage, tout en admettant une prépondérance à la logique de la foi. Il croit à une réconciliation ecclésiale et pense à une morale et à un droit qui seront mieux articulés.

En Afrique

Ce malaise est tout autant palpable en Afrique où de nombreux catholiques s'interrogent sur leur vie matrimoniale. L'auteur aborde ce thème dans le troisième volume, Inquiétudes des catholiques en Afrique. Il montre qu'en dépit de nombreuses difficultés, l'Eglise a réussi à s'implanter sur ce continent, se heurtant par le fait même à de nouvelles cultures. Souvent, elle n'en a pas tenu compte, se présentant elle-même comme une société parfaite, bien structurée. Son apostolat sur les nouvelles terres s'est déployé en fonction des valeurs privilégiées en Occident. Les cultures africaines ont été ignorées : toutes les décisions, surtout celles qui concernaient les sacrements, ont ainsi été prises par une autorité vivant sur un autre continent et ayant une autre culture.

Au fil des années, l'Eglise a cependant institué le Conseil pontifical de la Culture, qui est sensé être en dialogue avec les différentes cultures du monde. Malheureusement, selon l'auteur, il ne s'ouvre pas suffisamment au dialogue interculturel au sein de sa propre Eglise.

En ce qui concerne le mariage, ce missionnaire spiritain s'est penché sur quelques sociétés africaines et a constaté que les Africains le concluent par étapes. C'est une affaire très sérieuse, dit-il, longuement négociée, préparée et célébrée. En se mariant en accord avec les siens, l'Africain ne fonde pas une nouvelle famille : il vient renforcer la sienne, celle de son lignage. Cette union fondée en vue de la descendance est reconnue par toute la communauté.

Si l'Eglise reconnaît le mariage coutumier contracté par des non-baptisés, « cela change du tout au tout pour celles et ceux qu'elle a baptisés. Ceux-ci perdent en effet, par le fait même de leur baptême catholique, leur droit natif à se marier coutumièrement. » Ainsi, l'Eglise n'accepte pas de reconnaître comme valide et légitime le mariage célébré coutumièrement quand il comprend un conjoint catholique, aussi longtemps que ce mariage n'a pas revêtu les formes canoniques exigées. Ceci a pour conséquence, pour le conjoint catholique, l'interdiction d'accéder aux sacrements de pénitence et d'eucharistie.

Pourtant, écrit Michel Legrain, « aucun ethnologue, sociologue, psychologue ou historien ne s'aventurerait à parler aujourd'hui de la famille ou du mariage, en sous-entendant qu'il existe quelque part un modèle unique de famille et de mariage, unique et universel, en regard duquel les autres modes d'engagement et de fonctionnement matrimoniaux, conjugaux et parentaux seraient tenus pour des gauchissements, des déviances ». Aussi espère-t-il que l'Eglise reconnaîtra un jour le mariage coutumier de ceux et celles qu'elle a baptisés.

Un vieux débat

Michel Legrain soulève dans cette trilogie des problèmes concrets et réels touchant à la vie sociale des chrétiens. Ses sources sont fournies, ses analyses détaillées et ses critiques ouvrent de grandes discussions pour l'avenir du mariage des chrétiens. Par contre, il ne souligne pas assez, à mon avis, les aspects positifs de l'Eglise quant à la gestion du mariage des baptisés. Il faut reconnaître, par exemple, que l'Eglise va souvent ces dernières années au secours des couples baptisés en instance de séparation. Elle fait un grand effort pour examiner la qualité du consentement des époux le jour de leur mariage, même s'ils ont déjà eu depuis des enfants. Ce qui fait que les déclarations de nullité de mariage se sont multipliées !

Pour ce qui est du mariage coutumier africain, la problématique présentée par l'auteur, et à laquelle il a déjà consacré quelques écrits, a été débattue par de nombreux penseurs africains : théologiens, évêques, canonistes, etc. Elle continue de faire couler beaucoup d'encre aujourd'hui en Afrique. Vincent Mulago a consacré à ce thème une grande documentation qui a inspiré de nombreux auteurs. A sa suite, nous pouvons citer le cardinal Joseph-Albert Malula, Laurent Mpongo, Bénézet Bujo, etc. Tous plaident pour la reconnaissance du mariage coutumier des baptisés catholiques.[2]

Celle-ci ne signifie pas une soustraction de l'Afrique à la structure fondamentale de l'Eglise. Il s'agit tout simplement d'« indigéniser » cette institution et Michel Legrain n'insiste pas beaucoup là-dessus. Toutefois, avec l'apport de ses idées, on peut espérer que le mariage africain trouvera une place dans l'Eglise.

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