Voici réunis en trois CD les extraits d'une série d'émissions diffusées en novembre dernier sur Espace 2 (RSR), dans le magazine « A vue d'esprit ». Les événements marquants survenus dans une période qui recouvre plus d'un siècle, le IVe, y sont traités en épisodes distincts pour lesquels on a fait appel à des savants reconnus. Historiens, archéologues, théologiens apportent l'éclairage le plus récent de leurs sciences respectives.
Leurs prestations, dans les CD seulement,[1] sont précédées de dialogues familiers attribués à des personnages du temps. On regrettera le hiatus qui se creuse entre la tonalité bouffonne des saynètes introduisant les différents chapitres et le haut niveau des experts sollicités. Il nous semble que loin de « faciliter l'accès au débat culturel », ces dialogues, où le souci de vulgarisation frôle la vulgarité (télescopage avec l'actualité, jeux de mots faciles, plaisanteries de garçons de... thermes), risquent de rebuter l'auditeur exigeant, sans pour autant préparer celui qui n'est en quête que de divertissement à absorber un discours substantiel. Il s'agit donc à chaque fois de patienter en attendant que le « conseiller » qui interpelle Constantin d'un invraisemblable « mon empereur » cède la parole à un Paul Veyne, à un Bruno Dumézil, à un Philippe Borgeaud ou au frère archiviste du Monastère de Ligugé.
Constantin donc, qui parviendra à supprimer tous ses rivaux, remporte la bataille du pont Milvius livrée sous le signe du chrisme et se convertit en 312. On n'a pas fini de s'interroger sur les motifs qui le poussent à embrasser la religion nouvelle. Résultat d'une vision ? Aboutissement d'un processus déjà engagé ? Mesure politique ? Ou, selon l'hypothèse de Paul Veyne, ambition d'appartenir à la religion des élites ? Toujours est-il qu'en attendant de confisquer les biens des temples païens, il proclame la liberté de culte pour ces chrétiens qui ne représentent dans l'Empire qu'une minorité estimée à 10 %.
Mais auparavant, pour régler les querelles théologiques qui agitent les esprits, il convoque en 325 le concile de Nicée, qu'il préside, selon la loi romaine, en sa qualité de pontifex maximus. La nature du Christ prête à controverse et les canons nicéens prévaudront. Certains « barbares » installés depuis plusieurs générations aux frontières et devenus chrétiens, tels les Goths convertis par le missionnaire Ulfila, sont ainsi déclarés hérétiques car disciples d'Arius.
Sous la protection de Constantin, l'Eglise gagne en puissance et le pouvoir ecclésiastique ne tarde pas à exercer son emprise sur le pouvoir civil. Si en 325 l'empereur se considère pour le moins l'égal des évêques, deux générations plus tard, en 390, son successeur Théodose, qui a déclaré le christianisme religion officielle et qui interdira la pratique des cultes non-chrétiens, se voit bel et bien excommunié par saint Ambroise, l'évêque de Milan, qui lui reproche le massacre de quelques milliers de spectateurs dans le théâtre de Thessalonique. C'est ce même Ambroise qui exercera une influence décisive sur la conversion d'un aristocrate au parcours classique, saint Augustin, qu'on nous présente - hélas ! - sur le divan du psychanalyste et auteur des Aveux plutôt que des Confessions, selon une récente traduction contestée.
D'une séquence consacrée au remaniement du calendrier, on apprend que c'est Constantin qui instaure le repos dominical en décidant que ce jour-là chacun ira prier son dieu. Les premiers chrétiens semblent avoir attaché plus d'importance à la célébration de l'Epiphanie qu'à celle de la nativité, et la fête de Noël est une innovation romaine, adoptée plus tard seulement dans la partie orientale de l'Empire. Comme certaines célébrations chrétiennes se superposent à des fêtes païennes - il en va de même pour les lieux de culte -, on a pensé que Noël remplaçait la fête du Sol Invictus du 25 décembre. Mais une autre hypothèse est avancée, basée sur un comput compliqué dont on nous expose le détail.
A cette époque aussi apparaît, en opposition au monachisme solitaire de marginaux, le retrait du monde en collectivité, qu'illustre la fondation par saint Martin, à Ligugé, du premier monastère de Gaule. Contrairement aux évêques qui alors prolongent l'aristocratie romaine, Martin n'est pas un personnage de cour mais un militaire, évangélisateur et exorciste, parcourant les campagnes et partageant son manteau. Se répand aussi la vogue des pèlerinages. Nous rencontrons bien sûr la voyageuse chrétienne Ethérie qui a visité les lieux saints, aménagés depuis que la mère de Constantin les a découverts, et qui a relaté son périple.
A contre-courant, Julien l'Apostat s'emploie, en 361, à réhabiliter le paganisme.[2] Imprégné de culture classique, ce neveu de Constantin est l'ultime rejeton d'une branche élaguée par assassinats lors de la disparition de ce dernier, mais sa mort prématurée met fin à la tentative. Outre quelques écrits philosophiques, il laisse derrière lui le souvenir d'une existence digne de quelque péplum hollywoodien...
En Suisse
Enfin l'accent est mis sur des faits en relation avec le territoire helvétique, dont le Valais qui abrite un sanctuaire de Mithra et où s'est implantée, dès la fin du IVe siècle, la légende de la légion thébaine. A Agaune, 6600 légionnaires venus d'Egypte sous les ordres du chrétien Maurice auraient été massacrés pour avoir refusé de combattre d'autres chrétiens. Mais outre que les sources (un récit tardif d'Eucher et un texte anonyme) sont divergentes, l'archéologie n'a livré aucun témoignage de ces événements. Ils comportent par ailleurs des invraisemblances difficiles à ignorer et alimentent encore les discussions des spécialistes.
Trois CD qui illustrent, on le voit, une époque de transition passionnante de l'Antiquité tardive, jalonnée d'événements décisifs et éclairée de grandes figures, où le christianisme émerge d'un monde en pleine mutation.