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jeudi, 02 juin 2022 13:04

La sécurité ne passe pas en premier par les armes

Norvège, base militaire de l'OTAN, Dovrefjell–Sunndalsfjella National Park. © Pascal Deloche/GodongDès l'annonce de la guerre en Ukraine, des voix gouvernementales et parlementaires se sont élevées pour demander le renforcement du budget militaire de la Suisse. Après le Conseil national, le Conseil des États à son tour a déposé, ce 2 juin 2022, une motion visant à passer progressivement les dépenses militaires de 5 à 7 milliards de francs d'ici à 2030. Responsable de la politique de développement chez Alliance Sud, Kristina Lanz appelle nos politiciens à gérer les graves crises mondiales générées par les guerres en se concentrant plutôt sur les moyens préventifs pour assurer la paix. Notamment le renforcement de la sécurité alimentaire.

La guerre en Ukraine fait resurgir dans toute l'Europe des peurs que l'on croyait oubliées. La réaction politique dans un tel scénario? Montrer sa force et s'armer! En Suisse aussi, le Conseil national a clairement approuvé de relever de plusieurs milliards de francs les dépenses de l'armée, à 1% du PIB d'ici 2030. Ce 2 juin, le Conseil des États lui a emboîté le pas en adoptant la motion en question. La «politique des hommes forts» s'est imposée. Pourtant, une course mondiale aux armements rend-elle vraiment le monde plus sûr à long terme? Et cet accent mis sur les chars et les munitions ne nous fait-il pas passer à côté de menaces bien plus sérieuses en termes de politique de sécurité?

Si nous élargissons un peu notre vision et nous tournons vers le «reste du monde» non occidental, nous constatons que la guerre, la violence et les violations des droits humains ne se limitent pas à l'Ukraine (la Syrie, l'Éthiopie et l'Afghanistan ne sont que quelques-uns des foyers de crise actuels). Ces pays peuvent certes paraître plus éloignés et moins importants du point de vue occidental, mais ces guerres entraînent, elles aussi, une déstabilisation régionale, le désespoir et la violence. Elles provoquent également des afflux de réfugiés qui, bien que nous essayions de les repousser par tous les moyens, nous concernent également. Ces personnes ont aussi besoin de solidarité et d'aide, tant dans leur pays d'origine que chez nous.

Une situation dramatique en Afrique de l’Est

Parallèlement, la guerre en Ukraine a des répercussions qui dépassent de loin les frontières de l'Europe. L'Ukraine et la Russie couvrent environ 30% de la production mondiale de blé et d'orge et plus de la moitié de la production mondiale d'huile de tournesol. De plus, la Biélorussie et la Russie sont à l’origine de près d’un cinquième de la production mondiale d'engrais et la Russie est le plus gros exportateur de gaz et le deuxième exportateur de pétrole au monde. En raison des goulots d'étranglement dans la production et la livraison, des sanctions et des blocages portuaires, les prix mondiaux des denrées alimentaires, des engrais et de l'énergie ont nettement pris l’ascenseur depuis le début de la guerre. Ces renchérissements peuvent certes peser sur notre porte-monnaie, mais dans de nombreux pays parmi les plus pauvres, qui doivent en même temps lutter contre les effets de la pandémie de coronavirus et de la crise climatique, ils sont synonymes de lutte pour la survie. La marge de manœuvre des gouvernements, parfois fortement endettés, est en outre grandement réduite.

Depuis 2019, le nombre de personnes menacées d'insécurité alimentaire a doublé, passant de 135 millions à 275 millions, selon le Programme alimentaire mondial (PAM); en parallèle, 49 millions de personnes sont actuellement gravement menacées de famine. La situation est particulièrement dramatique en Afrique de l’Est. Avant même que la guerre n'éclate en Ukraine, la région était déjà touchée par des sécheresses, des invasions de criquets et des pertes massives de récoltes. Des millions de personnes y sont donc menacées par la faim. Aujourd'hui, selon l’ONG Oxfam, une personne meurt de faim toutes les 48 secondes en Afrique de l'Est.

Une «tempête parfaite»

Plusieurs experts mettent en garde contre les conséquences mondiales de cette «tempête parfaite» - récessions économiques, crises de la dette, troubles sociaux et politiques ne sont que quelques-unes de ces conséquences (une analyse historique de la CNUCED montre ainsi une corrélation claire entre la hausse des prix alimentaires et les soulèvements populaires). Parallèlement, la crise climatique mondiale continue elle aussi de s'aggraver dramatiquement. Et là aussi, une nouvelle étude d’un consortium international de recherche (Stockholm International Peace Research Institute, SIPRI) établit une corrélation sans équivoque entre les risques environnementaux et climatiques, d'une part, et les crises sécuritaires d'autre part.

Ce n'est donc pas un hasard si les pays les plus touchés par le changement climatique sont aussi les plus concernés par la guerre, les crises et la fragilité. Les milieux scientifiques le disent sans ambages depuis longtemps: si nous n'agissons pas maintenant de toute urgence, nous risquons non seulement une pauvreté à large échelle, des famines et des crises des réfugiés dans le Sud mondial, mais aussi un effondrement complet du climat qui détruira la vie sur toute la planète.

Prévention des crises plutôt que sécurité de façade

Cette perspective plus large, mondiale, rend superflue la question de savoir si l'accroissement des dépenses de l'armée améliore réellement notre sécurité. Il est bien plus pertinent de s'attaquer enfin aux causes de la violence, de la guerre et des crises. Et à cet effet, comme le souligne notre prise de position 12 points dans la guerre pour la paix, il est absolument prioritaire d’investir davantage dans la coopération internationale, la réduction de la pauvreté, l’encouragement de la démocratie, dans la lutte contre la crise climatique et dans la transformation éco-sociale de notre système économique.

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