Il y a vingt ans, en novembre 1959, paraissait le premier numéro de la revue CHOISIR. A l'occasion de cet anniversaire, je voudrais proposer à ses lecteurs et à ses rédacteurs, à tous ses collaborateurs et amis, quelques brèves réflexions sur: qu'est-ce que «choisir», aujourd'hui? En effet, cette question ne reflète-t-elle pas le souci de tous ceux qui, dans le monde actuel, se veulent à la fois fidèles à l'héritage reçu et ouverts sur l'avenir, de ceux qui luttent pour que les droits de la personne humaine soient, en tous les pays, respectés, de ceux qui cherchent à faire de leur vie un témoignage de justice et de vérité? - -- I - Chaque jour, à travers les quotidiens et les magazines, la radio, la télévision, la publicité, etc., un nombre extraordinaire de nouvelles et d'informations nous parviennent, presque instantanément, de toutes les parties du monde. Il ne nous est pas possible de tout comprendre, de mesurer la portée de tous les événements, de situer notre propre histoire par rapport à l'histoire de tous les hommes de notre planète. Il nous faut donc choisir... mais selon quels critères? N'avons-nous pas tendance à favoriser notre tranquillité et notre bien-être personnel, nos intérêts locaux ou nationaux, notre idéologie, nos convictions politiques, nos traditions? Finalement, en nous croyant à l'écoute du monde à travers les mass media, ne finissons-nous pas par n'écouter que nous-mêmes, pour nous protéger, nous sécuriser, vivre selon nos convenances particulières? -Aussi avons-nous besoin, de temps en temps, de prendre du recul, de nous laisser questionner sur nos centres d'intérêt, de revoir nos choix. C'est certainement un des rôles d'une revue mensuelle comme CHOISIR de nous y aider, en élargissant nos perspectives et en provoquant notre réflexion. Par exemple, en Asie, en Afrique, en Amérique latine, des peuples vivent le présent et préparent l'avenir d'une manière que nous connaissons encore mal et qui pourtant, en cette fin du XXe siècle, n'est pas sans transformer notre vie occidentale... - -- II - Les informations que nous recevons sont souvent ponctuelles, formulées pour que nous les consommions rapidement, assaisonnées de telle sorte qu'elles font choc aujourd'hui et qu'elles seront oubliées demain. Nous devons nous rappeler que les véritables acteurs de l'actualité ne sont ni des personnages anonymes, sans chair ni âme, ni ces vedettes dont les faits et gestes spectaculaires nous sont complaisamment décrits, mais des hommes et des femmes qui, dans le concret quotidien, vivent, aiment, souffrent et espèrent sans toujours pouvoir se faire entendre et être reconnus. -Choisir, en ce cas, c'est être attentif aux personnes, respecter leur originalité, chercher à les comprendre, et ne pas se contenter de regroupements factices (les «marginaux» !), de dénominations superficielles (les « immigrés»!), de coups de projecteur qui éblouissent plus qu'ils n'éclairent. A travers ses rédacteurs, la revue CHOISIR peut prendre les moyens d'expliquer les événements et de situer les problèmes, afin que les personnes soient respectées dans leur histoire, dans leur enracinement en un pays et une culture, dans leurs travaux actuels, dans leurs aspirations. - -- III - L'histoire des communautés humaines est faite de beaucoup d'incompréhensions mutuelles: mal-entendus, mal-vus, mal-lus! Aujourd'hui plus que jamais, ne faut-il pas choisir des lieux privilégiés de rencontre, d'écoute réciproque, de dialogue confiant? Et ce qui est valable pour la société humaine l'est plus encore pour les Eglises. La foi des uns et des autres est tellement mystérieuse qu'à toutes les époques et dans tous les pays, il faut du temps pour se comprendre, s'accepter et se respecter mutuellement, et pour envisager une démarche commune. La revue CHOISIR doit être, là où elle se trouve ? et je sais que c'est une de ses orientations majeures ? un lieu où se cherchent, s'élaborent patiemment et s'expriment cette disponibilité aux autres et cette ouverture à l'Autre, un lieu qui invite au choix difficile, en Europe particulièrement, entre la routine aveugle mais rassurante, et le dialogue lucide qui exige courage et oubli de soi. - -- IV - Dès ses origines, la Compagnie de Jésus a demandé à certains de ses membres d'accomplir leur mission par le moyen de l'écrit: livres théologiques, ouvrages apologétiques, catéchismes, récits de voyages missionnaires, etc. Actuellement, à l'époque des mass media, des jésuites ont, dans beaucoup de pays, la responsabilité de nombreuses publications souvent en collaboration avec des laïcs. Comment se formule aujourd'hui la mission de ces jésuites? A la suite du Concile Vatican II, la Compagnie de Jésus, lors de sa dernière Congrégation Générale, a choisi des orientations prioritaires: le service de la foi et la promotion de la justice. Comment une revue comme CHOISIR pourrait-elle rester étrangère à cet engagement et ne pas se faire l'interprète des plus pauvres? Comment pourrait-elle ne pas expliciter cette foi en un Dieu qui aime et qui sauve? Fidèle au Christ qui nous guide et à l'Esprit qui nous anime dans l'Eglise, Peuple de Dieu, comment pourrait-elle ne pas choisir le risque évangélique de proclamer la vérité? -Que la revue CHOISIR poursuive demain le programme commencé il y a vingt ans: une approche plus vraie des problèmes actuels, une meilleure compréhension entre les hommes, une formation à une vie de foi plus profonde selon le message de l'Evangile; tel est le souhait que je formule, à l'intention de ses lecteurs et de ses rédacteurs, en cet anniversaire.