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lundi, 04 mai 2020 16:50

Les animaux nous en mettent plein la vue

© PxHereDe la coccinelle au zèbre, en passant par le perroquet, le caméléon ou encore le poisson-cachemire, la faune déploie une multitude de couleurs et de motifs, parfois spectaculaires. Les naturalistes ont d’abord été surpris par cette palette qu’offrent les animaux; Darwin lui-même s’en étonnait! Mais cette exubérance n’est pas simplement beauté, elle a sa nécessité.

Chloé Laubu est docteure en biologie du comportement animal et vulgarisatrice scientifique. Voir son site Élan d’Sciences.

On sait aujourd’hui que les couleurs jouent un rôle dans la survie des animaux et dans leur succès à se reproduire: elles protègent, aident à chasser, à communiquer, à séduire... Elles sont un facteur essentiel dans la relation qu’entretient un animal avec son environnement social et physique.[1]

Ces couleurs chez les animaux ont deux origines, qui peuvent interagir pour produire toute la complexité des colorations que nous connaissons. La coloration chimique est liée à la présence de pigments, qui peuvent être d’origine alimentaire, environnementale ou être directement fabriqués par le corps. Les caroténoïdes, qui donnent une couleur orangé ou rouge aux animaux, ne sont par exemple trouvés que dans l’alimentation, alors que la mélanine, qui regroupe différents pigments de couleur foncée, est fabriquée par l’organisme.

La coloration d’origine mécanique explique pour sa part les colorations bleutées, iridescentes ou les reflets arc-en-ciel. Elle est la conséquence de phénomènes physiques liés aux structures qui recouvrent l’animal (la peau, les poils, les plumes, les écailles) et qui produisent des effets d’optiques. La coloration bleue du geai des chênes est ainsi la conséquence de la structure de ses plumes. Celles-ci présentent une surface spongieuse qui influence la diffraction de la lumière.

S’adapter à l’environnement

Pour la majorité des espèces, la coloration est peu flexible. Le changement prend du temps. Il faut, par exemple, attendre une mue. Néanmoins, certaines taches colorées peuvent, selon le contexte, être tour à tour dissimulées ou affichées. Les papillons peuvent déployer leurs ailes colorées, mais aussi cacher ces couleurs en refermant leurs ailes. Certains oiseaux ont des crêtes érectiles, certains lézards une gorge de couleurs vives qu’ils peuvent gonfler, des parures qu’il leur est possible de montrer au moment opportun.

Il existe tout de même des espèces capables de changer très rapidement de colorations, via des mouvements de granules de pigments sur leurs corps. Si les caméléons sont les plus connus, les champions dans ce domaine sont incontestablement les céphalopodes. De nombreuses espèces de poulpes ou de seiches peuvent en effet changer de teintes et de motifs instantanément.

Ces colorations aident les animaux à survivre dans leur environnement. Par exemple, en servant de rempart contre les parasites. Selon toute vraisemblance, les rayures des zèbres perturberaient le système visuel des insectes du fait d’une illusion d’optique et les protégeraient de ces indésirables.

La mélanine, pour sa part, protège des ultra-violets (c’est d’ailleurs la raison du bronzage des humains) mais joue aussi un rôle de thermorégulation. Ainsi les animaux plus foncés absorbent mieux la chaleur. Mais comment font alors les ours polaires pour survivre en Arctique? S’ils paraissent blancs au premier coup d’œil (ce qui est un bon camouflage sur la banquise), ils ont aussi des poils noirs très courts sous cette couche de poils blancs. Des poils qui s’échauffent rapidement à la lumière et leur permettent de se réchauffer.

Se camoufler

Que ce soit pour chasser ou se protéger des prédateurs, de nombreux animaux tentent en effet d’être discrets dans leur environnement. Ils peuvent afficher des couleurs dites cryptiques, qui se confondent avec l’arrière-plan. C’est le cas des lionnes, dont le pelage se mêle à l’herbe sèche dans laquelle elles se cachent pour chasser. La couleur des lièvres variables et des lagopèdes alpins (appelés aussi perdrix des neiges) évolue au cours des saisons pour assurer leur camouflage. Une faculté partagée par l’araignée-crabe Misumena vatia: couleur citron lorsqu’elle vit sur des fleurs de lys jaunes, elle blanchit sur une fleur blanche. Le caméléon, pour sa part, est capable d’ajuster sa coloration en quelques minutes, mais, comme on l’a vu, il est surpassé par la seiche qui, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, adapte sa couleur et ses motifs à son arrière-plan. Elle réussit même à alterner taches noires et taches blanches sur son corps si on la pose sur un damier!

La mascarade est une autre stratégie de camouflage. L’animal ne cherche pas à se rendre invisible, mais à ne pas être reconnu. Le papillon hibou leurre ainsi de nombreux prédateurs. Sur ses ailes ouvertes apparaît un motif qui ressemble à s’y méprendre à une tête de hibou qui en impressionne plus d’un! La pieuvre mimétique, elle, arrive à imiter la coloration et la démarche d’une quinzaine d’espèces différentes. Pour imiter des serpents de mer, elle s’enfouit par exemple dans un terrier, devient jaune et noire, et sort deux bras qu’elle fait onduler comme des serpents. Ce déguisement lui permet, selon le contexte, de se protéger en se faisant passer pour une espèce dangereuse ou d’approcher incognito ses proies.© Chloe Laubu

Avertir les prédateurs

Si les couleurs peuvent servir à se dissimuler, elles peuvent aussi avoir le rôle inverse: se montrer aux yeux de tous. Il s’agit pour les individus porteurs de ces couleurs d’indiquer aux potentiels prédateurs leur non-comestibilité ou leur dangerosité. Les couleurs servent donc d’outil de communication en direction des autres espèces, un message d’avertissement en somme.

Les couleurs vives ou les motifs contrastés permettent aux prédateurs d’apprendre rapidement à reconnaître quelles sont les espèces à éviter. Le rouge associé au noir est utilisé par différentes espèces pour signaler leur toxicité. On pense par exemple aux gendarmes (ou pyrrhocores), aux punaises rouges et noires ou aux coccinelles. Le sang de ces dernières est un vrai cocktail de poisons pour les mammifères et pour de nombreux oiseaux. Si l’un d’eux tente une attaque, la coccinelle en sécrète une goutte. Autant dire que le prédateur apprendra vite à éviter dorénavant ces proies rouges et noires!

Chasser

Chez la chouette effraie, la technique de chasse est influencée par la couleur du plumage. A priori, du fait de leur visibilité accentuée la nuit, celles qui ont un plumage blanc semblent défavorisées par rapport aux chouettes au plumage foncé. Mais elles ont développé en fait une autre stratégie de chasse: elles utilisent… la lune. Les soirs de pleine lune, le réfléchissement de l’astre sur leur plumage blanc provoque un flash lorsqu’elles fondent sur leurs proies; les rongeurs, éblouis, se figent sur place et se font facilement capturer. Certaines araignées peuvent aussi ajuster la couleur de leurs toiles pour qu’elles réfléchissent davantage le bleu, le vert et les ultra-violets, ce qui les rend plus attractives pour les proies.

Séduire

La coloration est de sus un outil de séduction chez de nombreuses espèces. Elle joue un rôle prépondérant au moment de choisir un partenaire pour se reproduire (la sélection sexuelle), car elle indique souvent la bonne santé ou la bonne qualité du prétendant. C’est le cas du rouge et de l’orange qui proviennent des caroténoïdes. Ces pigments, retrouvés dans l’alimentation, sont nécessaires au fonctionnement du système immunitaire. Ainsi un animal qui se permet d’afficher une telle couleur montre qu’il est en bonne forme. C’est pourquoi les mâles des poissons épinoches à trois épines qui arborent les ventres les plus rouges sont préférés par les femelles. Celles-ci vont jusqu’à développer une sensibilité accrue de leur système visuel pour cette couleur pendant la saison de reproduction. Chez les merles noirs, ce sont les mâles ayant les becs les plus orangés qui sont favorisés.

Le blanc immaculé d’un plumage est aussi apprécié par certains oiseaux, tels que les hirondelles, les moineaux ou les pies bavardes, car arborer un plumage blanc indique l’absence de parasites qui abîment prioritairement les plumes claires. De manière générale, tout plumage élaboré est un signe de qualité. Pensons à la traîne des mâles paons: seul un oiseau en pleine forme peut se permettre d’entretenir une telle parure qui exige tant de temps et d’énergie!

S’identifier

Les animaux communiquent donc avec leurs congénères en utilisant des signaux colorés. Ceux-ci fournissent des informations précieuses quant à leur identité (âge, sexe, statut social, liens familiaux, etc.). L’étendue de noir sur la poitrine des moineaux domestiques ou sur la tête des guêpes polistes indique leur statut social.

Les couleurs peuvent aussi servir à reconnaître le sexe d’un individu, ce qui se révèle très utile pour distinguer les adversaires à la course à la reproduction. Chez les seiches géantes australiennes, les mâles s’empressent de chasser les rivaux qu’ils aperçoivent au loin. Certains mâles de petite taille ont cependant trouvé la parade : ils imitent la coloration des femelles afin d’éviter ces attaques.

Les animaux capables de changer rapidement de couleurs signalent mieux aussi leurs émotions à leurs congénères.

Si la coloration peut servir à reconnaître les membres de sa famille, elle peut aussi aider à différencier ses œufs! Chez la rousserolle turdoïde, dont le nid se trouve régulièrement parasité par les coucous, les parents ont développé au cours de l’évolution des capacités visuelles pour distinguer la teinte de leurs œufs de ceux des coucous.

Exprimer ses émotions

Les rayures noires des poissons cichlidés zébrés gagnent par exemple en intensité lorsque leurs porteurs sont dans un état agressif. Chez les caméléons, face à une partenaire sexuelle, un mâle peut afficher des couleurs très vives pour signaler son excitation. Même chose pour les seiches pharaons qui arborent une coloration différente selon qu'elles approchent un congénère de manière pacifique ou non. Quant au rouge, qui vient parfois sur nos joues et signale nos émois, il aurait pu jouer un rôle essentiel dans l’évolution de notre vie sociale…

Invisibles pour nous

Pour finir, évoquons un monde invisible à nos yeux d’Homo sapiens: celui des ultra-violets. Les insectes, les poissons et les oiseaux s’en servent dans leur vie quotidienne. Les pollinisateurs les utilisent pour butiner: ils sont attirés par des pétales de fleurs ternes à nos yeux, mais qui en réalité réfléchissent intensément les ultra-violets. Chez les mésanges bleues, alors que mâles et femelles ont l’air identiques, ils diffèrent largement sous les ultra-violets, ce qui leur permet de se reconnaître à distance. Les faucons crécerelles, eux, se servent des ultra-violets pour chasser: ils peuvent détecter l’urine colorée des campagnols dans un champ.

On l’aura compris, la faune nous offre un monde éblouissant de couleurs, dont nous sommes loin d’avoir tout vu… et tout saisi! De belles découvertes nous attendent encore.

[1] Voir Innes C. Cuthill et al., «The biology of color», in Science n° 357, New York 2017, pp. 470-477.

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