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lundi, 01 décembre 2014 01:00

Eve et Marie

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Le Christ n'a eu de cesse de nous appeler à une humanité nouvelle, qui ne séparerait plus le charnel du spirituel (Eve et Marie). De nombreux prophètes ont enseigné à travers l'Histoire que « la vulnérabilité est révélatrice à la fois de l'humanité et de l'altérité » (Amanda Garcia).[1] Les traités internationaux de protection des droits humains adoptés au siècle passé, telle la Convention internationale des droits de l'enfant dont nous venons de fêter les 25 ans, révèlent combien cette idée maîtresse a pris racine dans le monde.

« La vulnérabilité ne dépend pas uniquement de facteurs physiques intrinsèques, mais est influencée par des éléments historiques, sociaux et économiques », souligne Amanda Garcia. En défendant les enfants, les malades, mais aussi les pécheurs, les étrangers, les femmes, Jésus ne se contente pas de prendre en compte les inégalités « naturelles » ; il s'attaque à celles qui sont créées par les sociétés humaines. Ainsi il reconnaît par exemple à Marie, sœur de Lazare, le droit, réservé alors aux hommes, de l'écouter et de suivre son enseignement plutôt que de s'affairer en cuisine (Lc 10,38-42). Vingt siècles plus tard, l'égalité des sexes est toujours en souffrance, certaines religions et cultures sortant difficilement des schémas patriarcaux. Les articles sur les femmes en Tunisie et au Japon proposés dans ce numéro montrent le chemin encore à parcourir. C'est vrai dans le monde arabo-musulman[2] et dans l'archipel, certes, mais aussi dans notre propre Eglise. Une occasion de faire avancer la cause des femmes nous sera offerte en 2015, avec les 40 ans de l'Année internationale de la femme, et surtout le deuxième volet du Synode sur la famille qui revisite l'approche de la sexualité par l'Eglise.

L'Eglise ne peut faire l'économie de ce constat, redoutable dans son paradoxe : quels que soient les volontés affichées et les objectifs recherchés, les lectures bibliques et les théologies avancées, tant que les structures d'autorité resteront aux mains des hommes,[3] le discours de l'Eglise sur les sexes et sur le rôle et la place des femmes dans le monde et dans sa propre institution sera déterminé à partir d'un point de vue masculin. Dans un livre choc préfacé par le jésuite Joseph Moingt, Le déni, enquête sur l'Eglise et l'égalité des sexes,[4] la journaliste Maud Amandier et la bibliste Alice Chablis démontent ce mécanisme. Parmi leurs thèses, celle-ci, centrale : l'Eglise, à la suite de Jésus, doit œuvrer pour l'égalité entre les sexes, aux sens biologique et social (issus de l'éducation et de la culture). Elle est ainsi appelée à dépasser sa propre résistance à la fameuse théorie des genres (les sexes sociaux),[5] sans s'arrêter aux abus qui l'accompagnent. Ce qui induit une répartition des pouvoirs institutionnels et une réaffirmation plus claire des relectures des Ecritures qui sortent la femme des archétypes bibliques (Eve ou Marie, la pécheresse insoumise ou la Vierge servante) encore en vigueur.

C'est là une responsabilité majeure de l'Eglise dans le monde. En tant que guide spirituel qu'elle veut être, elle doit inspirer les sociétés, les inviter à dépasser la peur de la femme et les visions purement déterministes ou culturelles des sexes, ou encore uniquement instrumentales comme celles présentées ces dernières années par le FMI et la Banque mondiale.[6] Et (se) persuader que « la relation humaine n'est pas d'abord sexuée, contrairement à ce que l'institution veut croire et défend constamment. La relation humaine est de personne à personne. »[7]
Lucienne Bittar

[1] •Voir son article aux pp. 24-25 de ce numéro.
[2] •Des initiatives en ce sens sont aussi à l'œuvre dans l'islam. Le Congrès international féminin pour une culture de paix, organisé à Oran du 27 octobre au 2 novembre par l'Association internationale soufie Alâwiyya (ASIA), du cheikh Khaled Bentounes, a été très remarqué. Son objectif : agir pour la paix, en promouvant les droits des femmes et l'égalité des sexes. ASIA, ONG accréditée auprès des Nations Unies, a lancé une campagne de mobilisation internationale pour que l'ONU décrète une Journée mondiale du vivre ensemble. (www.jmve.ch).
[3] •A titre d'exemple, seules quatre femmes pour trente hommes sont déclarées docteurs de l'Eglise.
[4] •Paris, Bayard 2014, 394 p.
[5] •Pour s'en convaincre, il suffit de penser à l'émoi qu'a suscité chez des catholiques la proposition de nommer docteur honoris causa de la Faculté des lettres de Fribourg la philosophe américaine Judith Butler, théoricienne du gender.
[6] •Plus précisément, l'égalité des sexes est présentée comme un « outil » de développement économique. Voir l'article d'Annick Chevillot, aux pp. 17-20 de ce numéro.
[7] •Le déni, op. cit., pp. 369-70.

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